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Faut-il peindre ce qu’il y a sur un visage, ce qu’il y a dans un visage ou ce qui se cache derrière un visage ? Pablo Picasso

Ce chapitre expose succinctement la méthodologie de recherche65

liée aux entretiens menés auprès des enseignants-formateurs et des directeurs des deux établissements pris en compte dans l’étude : l’école du personnel soignant de Fribourg (EPS) et l’école normale d’enseignants primaires de Fribourg (ENI).

Pour étudier les conceptions de l’auto-évaluation développées par les formateurs en soins infirmiers et en enseignement primaire dans l’accompagnement des stages de pratiques professionnelles en formation initiale, j’ai résolument opté pour une approche qualitative en privilégiant une démarche d’analyse d’entretiens semi-directifs, liant représentations de l’auto-évaluation en formation, discours sur l’auto-évaluation, descriptions de pratiques d’auto-évaluation et valeurs s’y référant. Je m’attache notamment, dans cette analyse, aux articulations et aux connotations du discours, ne me focalisant pas directement sur une analyse de contenus. Cependant, la prise en compte

65 Je m’appuie notamment, dans ma démarche de recherche, sur les ouvrages méthodologiques suivants :

- Deslauriers, J.-P. (éd.) (1988). Les méthodes de la recherche qualitative. Sillery : Presses de l’Université du Québec.

- De Ketele, J.-M., & Roegiers, X. (1996). Méthodologies du recueil d’informations : Fondements des méthodes d’observations, de questionnaires, d’interviews et d’études de documents. Bruxelles : De Boeck.

- Denzin, N. K., & Lincoln, Y. S. (eds.) (1994). Handbook of qualitative research. London : Sage. - Huberman, M., & Miles, M. (1991). L’analyse des données qualitatives. Recueil de nouvelles

méthodes. Bruxelles : De Boeck.

- Lessard-Hébert, M., Goyette, G., & Boutin, G. (1997). La recherche qualitative. Fondements et pratiques. Bruxelles : De Boeck.

- Mucchielli, A. (éd.) (1996). Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales. Paris : Colin.

de ce qui bouleverse parfois la structure du récit conscient des enseignants-formateurs interrogés me permet d’atteindre ce que Mollo-Bouvier (1986) nomme ‘l’irruption de l’inexprimable’. Ces éléments parasites du discours, tels pauses, expressions du visage, hésitations, voire malaises et étonnements, m’aident en partie à construire les conceptions des personnes interrogées, au travers de leur identité tant personnelle que professionnelle, tout particulièrement pour l’établissement des portraits (section 6.4). J’en tiens compte dans les écoutes qui précèdent mes analyses, sans toutefois les mettre comme tels en lumière dans le texte. Je rejoins par là la révision de la pensée scientifique de la première moitié du XXème

siècle, qui affirme que l’observateur appartient au champ de son observation, l’objet qu’il étudie n’étant pas une chose mais un rapport ou une série de relations, s’opposant à la pensée newtonienne qui attribue une réalité aux objets, excluant toute métarelation (Bateson, 1972). Finalement, cette problématique se veut mise en tension des concepts exposés dans le deuxième chapitre.

Dans ce chapitre, je garde à l’esprit la difficulté méthodologique que pose l’appréhension des conceptions, tant au niveau de leur recueil que de leur analyse au travers des données obtenues. En effet, comme le souligne Moscovici (1984), la conception se compose à la fois de son contenu et de son organisation. Dès lors, son étude nécessite l’usage de méthodes visant, d’une part, à repérer et à faire émerger ses éléments constitutifs, et, d’autre part, à découvrir l’organisation de ces éléments afin d’en étudier les relations et la signification centrale : le noyau. Il importe de saisir au mieux les conceptions des enseignants-formateurs et de voir en quoi ces conceptions sont pertinentes pour cerner leur objet et comprendre leur importance dans les pratiques déclarées, afin de pouvoir en inférer, ensuite, l’impact sur les pratiques effectives. Etudier les conceptions de l’auto-évaluation développées par les formateurs en soins infirmiers et en enseignement primaire, dans l’accompagnement des pratiques professionnelles de leurs étudiants, est d’autant plus difficile que leur approche ne peut s’effectuer sans accorder une attention particulière aux différences de perception et de conceptualisation de l’objet même de la recherche. En effet, bien qu’appréhendée dans une optique constructiviste de la pensée, il m’est nécessaire cependant de garder à l’esprit que la réalité demeure une construction subjective, en l’occurrence d’un objet complexe et polysémique. La validation d’une conception ne peut se réaliser comme celle d’un fait, car ce qui est déclaré par le formateur interrogé relève de sa conviction et non d’un fait établi. La conception qu’il exprime dans son discours est à rechercher, souvent, dans ce qui se cache derrière ce qui est dit, dans les interstices du déclaré. Notamment, si je me situais dans une visée de recherche-action-formation et non dans l’optique d’une recherche compréhensive et explicative que je privilégie ici, fondée sur le discours des enseignants-formateurs sur leurs conceptions de l’auto-évaluation en situation de stages, une démarche d’auto-confrontation croisée serait indispensable afin de vérifier, en vue de montrer aux formateurs, que ce qu’ils disent de l’auto-évaluation des étudiants est en cohérence, ou non, avec ce qu’ils font réellement lorsqu’ils sont en situation d’accompagnement de stagiaires en formation professionnelle.

Mon statut face à l’objet de recherche n’est pas anodin ; il s’inscrit dans ma démarche d’appropriation, telle que je l’ai décrite en introduction de mon travail. Ayant œuvré durant trois ans à l’ENI, puis, par la suite, dans diverses commissions de réflexion sur la mise en place de la HEP de Fribourg, je me considère comme un chercheur impliqué, en tant qu’acteur, dans son objet d’étude. Je demeure bien conscient que cette posture de port d’une double casquette — mon appartenance à la population étudiée et mes propres conceptions de l’auto-évaluation en situation de stages — influence en partie le propos de la recherche. Le fait que je connaisse les enseignants- formateurs et le directeur de l’ENI, avec lesquels j’ai travaillé durant trois années, que

j’entretienne encore des relations professionnelles et des contacts amicaux avec certains d’entre eux, et que ma collègue Marlyse Pillonel travaille à l’EPS, a eu l’avantage de favoriser une grande franchise, une ouverture et une liberté de ton des échanges. Toutefois, afin de restreindre la subjectivité due à notre bonne connaissance réciproque des personnes questionnées, nous avons conduit les entretiens ensemble, laissant la parole plutôt à l’interviewer qui ne connaissait pas l’interviewé et à l’autre le soin de prendre des notes. J’ose espérer que le défi du chercheur impliqué a été ainsi relevé, mettant notre connaissance réciproque des institutions professionnelles prises en compte au service de nos études respectives, comme le suggère Rotenberger (2002). L’objectivité est naturellement recherchée mais je reste conscient que, quelle que soit sa posture, le chercheur influe toujours sur son objet d’étude, même s’il cherche naturellement à éviter tout écueil. Au cours des entretiens, tant ma collègue que moi- même avons parfois induit certaines réponses, en fonction de notre manière de formuler telle question ou telle autre, voire de réagir à telle réponse. Ces situations ont été repérées dans le texte, puis supprimées dans l’analyse, afin d’assurer au mieux la fiabilité des données recueillies.

La méthode clinique a été choisie afin d’aborder les phénomènes à investiguer. Grâce au cadre d’écoute qu’il nécessite, l’entretien clinique permet la co-construction du sens de ce qui est dit. Dans ce but de compréhension de ce que l’autre dit, comme le souligne Vial (2000b), il s’avère indispensable que le chercheur vive une relation dans laquelle la conceptualisation est présente en permanence. De plus, selon Blin (1997), les représentations peuvent aisément être étudiées à partir du matériel langagier, d’où l’intérêt de l’entretien semi-directif. Ainsi, la verbalisation constitue une approche intéressante et pertinente pour atteindre les conceptions déclarées de d’auto-évaluation des pratiques professionnelles en stages de formation initiale en soins infirmiers et en enseignement primaire ; bien conscient cependant que le langage est tout à la fois partial et partiel. La méthode de l’interview non directif, privilégiée dans la recherche, permet de recueillir des informations sur les conceptions des formateurs : leurs représentations, leurs opinions et leurs façons de percevoir l’auto-évaluation en formation initiale en soins infirmiers et en enseignement primaire. Cette méthode autorise tout à la fois une certaine directivité en ce qui concerne les thèmes traités lors des entretiens, les objets sur lesquels, en tant que chercheur, je souhaite recueillir des informations, et une non directivité à l’intérieur de l’exploration de ces thématiques. Comme le précise Boutin (1997), la méthode de l’interview non directif permet de dégager des profils de formateurs, regroupés sous des catégories interprétatives, évoquant un sens issu des synthèses de ce que les interviewés ont dit et de la façon dont le chercheur réagit. Le chercheur établit des liens, entre les catégories et les thématiques, afin de comprendre, par le détail, l’expérience des personnes interrogées, à partir de leur point de vue et de la signification qu’elles donnent à leurs actions. L’analyse croisée des données est complétée et enrichie par la présentation des portraits de certains formateurs. Ces portraits mettent en lumière, au sein des institutions prises en considération dans l’étude, l’hétérogénéité des formateurs, en termes d’âge et de genre, d’expériences professionnelles et de taux d’activité, d’identité professionnelle et de rapports à la profession et à la formation. Ces multiples variables individuelles soulignent le fait que l’appartenance à des cultures différentes de formation et d’établissement, bien que mise en évidence dans le travail, ne compose qu’une partie des variables pertinentes énoncées en section 4.2.

Comme le relève Van der Maren (1996), pour l’établissement d’un échantillonnage qualitatif, les caractéristiques des sujets sont plus importantes que leur

nombre. Il s’agit donc de composer un échantillon théorique, basé sur les principales variables à étudier. Les formateurs ont été sélectionnés selon la diversité de leurs fonctions dans les institutions d’étude et leur reconnaissance professionnelle au sein de leur corps de métier, due soit à leur statut professionnel ou à leurs diplômes, soit à leurs collègues ou à leur institution d’appartenance. J’ai choisi d’interroger des personnes ayant une expérience professionnelle de plusieurs années, étant donné le fait que pour construire un discours appuyé sur sa pratique, il faut, selon Huberman (1989), une maîtrise professionnelle et une expérience ; ce d’autant que les personnes ne sont pas observées dans leurs pratiques. C’est leur discours enregistré qui fait l’objet de l’analyse. Une observation directe de l’accompagnement en situation de stages professionnels n’a pas pu être réalisée, tant pour des raisons éthiques que pour des raisons organisationnelles et de disponibilité. Pour la constitution de la population de référence, j’ai également procédé par investigations successives, l’échantillon se constituant au fur et à mesure des contacts établis.

Le tableau 7 et le tableau 8 présentent les caractéristiques de la population interrogée lors des 18 entretiens de recherche qui font suite aux 4 entretiens exploratoires (tableau 2, section 3.1.1).

Tableau 7 : Caractéristiques de l’échantillon des entretiens de recherche

(enseignants-formateurs)

N° Institution Fonction Depuis Né-e Sexe entretien Durée

5 EPS Enseignante-formatrice 11 ans 1962 F 50’

6 EPS Ens.-formatrice & resp.-programmesa 12 ans 1959 F 50’

7 EPS Enseignante-formatrice 6 ans 1969 F 45’

8 ENI Ens.-formateur & resp.-coordinationb 20 ans 1948 M 40’

9 EPS Ens.-formatrice & resp.-programmes 20 ans 1950 F 40’

10 EPS Enseignante-formatrice 4 ans 1945 F 50’

11 EPS Enseignant-formateur 5 ans 1961 M 70’

12 ENI Enseignant-formateur (& directeur)c 20 ans 1941 M 45’

13 ENI Enseignante-formatrice 4 ans 1969 F 50’

14 ENI Enseignant-formateur 4 ans 1951 M 45’

15 ENI Ens.-formatrice & collaboratrice HEPd 14 ans 1955 F 70’

16 ENI Enseignant-formateur 20 ans 1951 M 50’

17 EPS Ens.-formatrice & resp.-programmes 8 ans 1964 F 40’

18 ENI Enseignant-formateur 5 ans 1966 M 50’

19 ENI Enseignante-formatrice 2 ans 1966 F 55’

20 ENI Enseignant-formateur 20 ans 1945 M 50’

Note. aCette fonction de responsable des programmes consiste à organiser la planification

programmatique pour une année du cursus d’études et à en assumer la responsabilité de mise en œuvre.

bLa tâche de responsable de la coordination comprend, notamment, la planification des stages

pratiques, l’organisation des séances entre enseignants de la formation professionnelle, l’information aux étudiants et l’organisation des rencontres d’information et de formation avec les praticiens-formateurs.

cRetraitée depuis quelques mois au moment de l’entretien, cette personne a assumé durant cinq

années la direction de l’ENI, après avoir été instituteur, durant quinze ans, puis, parallèlement, inspecteur scolaire des jeunes maîtres et enseignant-formateur, durant vingt ans.

dCette enseignante avait pour mandat de coordonner, avec d’autres personnes, la planification

de la mise en œuvre de la HEP qui a remplacé l’ENI.

Il est à noter qu’un équilibre entre les sexes n’a pas pu être réalisé pour les enseignants-formateurs, à l’EPS les formatrices étant plus nombreuses que leurs

homologues masculins et inversement à l’ENI. Les interlocuteurs n’ont cependant jamais souligné explicitement de différences entre hommes et femmes concernant mes préoccupations de recherche.

Toutes les personnes sollicitées ont volontiers accepté de contribuer à la recherche, m’autorisant notamment à utiliser en citations des bribes de leurs propos, afin d’expliciter et d’enrichir mon étude.

Les enseignants-formateurs interviewés ne pouvant pas être considérés comme des informateurs neutres, j’ai donc fait appel à cette deuxième source de données de recherche, constituée par les entretiens menés avec les directeurs de l’EPS et de l’ENI (tableau 8), ainsi que par l’analyse de textes et de documents concernant le statut donné à l’auto-évaluation dans ces institutions de formation professionnelle (règlements, directives de stages, grilles d’évaluation de stages...). Ces entretiens et ces analyses documentaires m’ont notamment permis de mieux cerner les établissements de formation, leur culture et le statut qu’ils attribuent à l’auto-évaluation en situation de stages. Notre connaissance réciproque des ‘terrains’ explorés, celle de ma collègue Marlyse Pillonel pour l’EPS et la mienne pour l’ENI, constitue également une importante source de données.

Tableau 8 : Caractéristiques de l’échantillon des entretiens de recherche

(directeurs)

N° Institution Fonction Durant Né-e Sexe entretien Durée

21 EPS Directeur 24 ans 1941 M 90’