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C onceptions de l’auto-évaluation développées par les enseignants formateurs en soins infirmiers et en enseignement primaire dans

Effets et interrogations induits par les conceptions relevées

7.1 C onceptions de l’auto-évaluation développées par les enseignants formateurs en soins infirmiers et en enseignement primaire dans

l’accompagnement des pratiques professionnelles en formation

initiale

Des diverses analyses effectuées, il ne peut pas être relevé de réelles différences de conceptions inter-sites (EPS & ENI) concernant les conceptions de la formation et de l’auto-évaluation dans l’accompagnement des pratiques professionnelles. Les seules différences de conceptions relevées touchent aux enjeux de l’auto-évaluation et à l’identité professionnelle des enseignants-formateurs interviewés. Par contre, l’absence d’une conception univoque de l’action professionnelle est marquée au sein même de chacun des deux groupes d’enseignants-formateurs (EPS & ENI).

Conçue dans un mouvement réflexif, l’auto-évaluation en situation de stages est généralement entendue, par les formateurs interrogés, comme une capacité à analyser ses pratiques professionnelles, à confronter son regard à d’autres points de vue, à auto- réguler ses apprentissages et à en questionner le sens. Bien que n’ayant pas les mêmes implications dans la réalité professionnelle des deux métiers pris en considération dans l’étude, la maîtrise d’une ‘compétence’ d’auto-évaluation est jugée nécessaire, par l’ensemble des enseignants-formateurs, à l’exercice des métiers d’infirmier ou d’enseignant primaire. Néanmoins, tant les formateurs de l’école du personnel soignant que ceux de l’école normale d’enseignants primaires reconnaissent qu’en soins infirmiers l’absence d’une capacité d’auto-évaluation a des impacts directs, pouvant mettre en jeu la sécurité même des patients, alors qu’en enseignement de tels effets n’existent pas. De plus, une différence de fonction assignée à l’auto-évaluation de l’étudiant en situation de stages peut être soulignée entre formateurs de l’EPS et formateurs de l’ENI. En effet, dans l’auto-évaluation qu’ils sollicitent de leurs stagiaires, les enseignants-formateurs de l’école du personnel soignant accordent une importance-clé à ses aspects affectifs, liés à la reconnaissance de soi, à la confiance en soi, à l’expression et à la gestion des sentiments et des émotions, jugés indispensables à l’exercice professionnel en soins infirmiers ; alors qu’à l’école normale d’enseignants primaires, les formateurs mettent plutôt l’accent sur les aspects cognitifs de l’auto- évaluation, considérée avant tout comme un outil de formation au service de l’amélioration des pratiques d’enseignement-apprentissage-évaluation.

Selon les formateurs interrogés, l’auto-évaluation en formation professionnelle permet l’analyse des performances, le repérage des besoins, le développement personnel et professionnel, ainsi que l’accès progressif à l’autonomie et à la responsabilité professionnelles. Outil de formation, exigeant de porter un regard critique sur soi et engageant l’apprenant dans son intégrité, l’auto-évaluation est généralement comprise comme une lucidité, un discernement permettant d’évaluer la distance entre le prévu et le réalisé, de se situer par rapport aux objectifs de formation. Ainsi, l’auto-évaluation amène le stagiaire à repérer ses limites et à se fixer des objectifs personnels de formation, en fonction de critères co-définis avec ses enseignants-formateurs. Elle nécessite un recul permettant l’émergence des prises de conscience et la remise en question. L’auto-évaluation passe par l’hétéro-évaluation, au sens des trois mouvements d’auto-évaluation — recul, distanciation et décentration — définis par Campanale (1997). Si cet auto-contrôle des procédures, opéré en lien avec les objectifs institutionnels de fin de formation, est généralement reconnu par la majorité des formateurs interrogés, sites confondus, certains proposent de dépasser ce seul mouvement métacognitif, pour tendre à un auto-questionnement des processus

d’apprentissage. Ils articulent ainsi les deux logiques d’auto-évaluation — auto-contrôle et auto-questionnement — sans néanmoins atteindre pleinement le questionnement du sens des projets professionnels, qui assure des fonctions de ‘promotion des potentiels’ et de construction de soi, comme le présente Vial (1999b, 2000a, 2001) dans une logique du ‘Reste’ en auto-évaluation. Pour ces formateurs, dans une optique socio- constructiviste de l’action, l’auto-évaluation s’insère dans un processus dynamique qui comprend non seulement la ‘mesure’ des écarts entre référents et référés, mais également la production de sens et l’aide à la décision, car, selon eux, ce qui donne sens à l’auto-évaluation, c’est son exposition au regard d’autrui. Afin de construire son identité professionnelle, le stagiaire doit se distancier de ses pratiques grâce à une capacité d’auto-questionnement qui favorise la réflexivité. Dans cette visée, le processus d’enseignement-apprentissage-évaluation doit privilégier l’implication, la collaboration, la flexibilité et l’adaptation.

Pour dépasser l’auto-évaluation spontanée, se réduisant à la seule mise en lumière des lacunes, les enseignants-formateurs de l’EPS et de l’ENI soulignent la nécessité d’une formation à l’auto-évaluation. Dans cette visée, ils proposent à leurs étudiants des outils et des dispositifs favorisant cet apprentissage progressif de l’auto- évaluation réfléchie.

Selon les enseignants de l’EPS et de l’ENI, pour de nombreux stagiaires, s’auto- évaluer consiste à répondre aux attentes de leurs enseignants-formateurs, référents ou maîtres de stages, biaisant ainsi les buts visés par l’auto-évaluation. De même, dans l’analyse des résultats du Q-sort, une telle fonction de l’auto-évaluation est nettement rejetée par les enseignants-formateurs. Malgré tout, conformer l’apprenant aux attentes du formateur demeure le risque de tout processus d’auto-évaluation. Or, bien que les enseignants-formateurs se défendent de vouloir une auto-évaluation de l’étudiant correspondant à leurs attentes ou une auto-évaluation réalisée uniquement en référence à des objectifs institutionnels imposés et non intégrés, ils peinent à situer l’autonomie dans un contexte où les modalités de l’auto-évaluation sont assumées par le stagiaire dans une logique d’auto-questionnement. De l’avis de plusieurs formateurs, l’auto- évaluation de l’étudiant en situation de stages devrait s’associer à une autonomie conçue dans sa relation aux autres, demandant au formateur de se distancier d’une évaluation normative. Cependant, la conception générale qui se dégage des entretiens laisse apparaître une conception de l’autonomie entendue comme une autogestion ou une liberté totale laissées au formé, ce que les formateurs refusent de mettre en place. Tout en reconnaissant que l’auto-évaluation doit permettre d’atteindre l’autonomie et la responsabilité nécessaires à la professionnalisation, la majorité des formateurs interrogés décrivent des pratiques d’auto-évaluation des étudiants en situation de stages qui n’atteignent pas vraiment cet objectif. L’ambivalence conceptuelle, entre autonomie et évaluation externe, s’avère toutefois moins forte chez les enseignants-formateurs de l’école du personnel soignant, pour lesquels les fonctions certificative et formative sont théoriquement séparées dans l’accompagnement des stages, que chez leurs homologues de l’école normale d’enseignants primaires, institution dans laquelle les maîtres-guides assument à la fois l’évaluation formative et l’évaluation certificative des stagiaires. Cette notion d’autonomie, constitutive de l’identité professionnelle en soins infirmiers et en enseignement primaire, reste donc équivoque quant à son développement en formation chez la plupart des enseignants-formateurs ayant pris part aux entretiens. Bien que défendant une conception de l’apprentissage situé, se réalisant dans l’action, correspondant au modèle de l’autonomie (Varela, 1989b), la majorité des formateurs interrogés s’inscrivent dans une conception quelque peu ambiguë de l’apprentissage,

correspondant à des pratiques liées en partie au modèle de la commande (Varela, 1989a).

Les conceptions de l’auto-évaluation sont naturellement rattachées aux conceptions de l’évaluation en général. Or, de nombreux formateurs, aussi bien à l’école du personnel soignant qu’à l’école normale I, peinent à situer l’auto-évaluation dans un ou plusieurs types d’évaluation — formatif et/ou sommatif — et à en préciser la ou les fonctions (d’accompagnement, de formation, de certification...). Ils soulignent toutefois les difficultés qui surgissent à placer l’auto-évaluation dans une fonction certificative, tout particulièrement celles touchant au rapport formateur-formé.

7.2

En réponse à la première hypothèse de recherche

H 1 :

Les conceptions de l’auto-évaluation développées par les enseignants-formateurs en soins infirmiers et en enseignement primaire, en situation d’accompagnement de stages, sont liées à leur identité professionnelle (parcours de formation et insertion institutionnelle).

Est avancée dans cette hypothèse, l’idée que les conceptions de l’auto-évaluation développées par les enseignants de l’EPS et de l’ENI dépendent de leur identité professionnelle de formateurs en soins infirmiers ou en enseignement primaire, identité construite dans leur parcours de formation, au travers de leurs expériences professionnelles d’infirmier ou d’enseignant primaire et d’enseignant-formateur, et par leur insertion institutionnelle.

Les enseignants-formateurs en soins infirmiers et en enseignement primaire, ayant pris part à l’étude, travaillent dans des contextes institutionnels différents, fortement ancrés dans une histoire professionnelle, d’où le développement d’identités collectives forcément autres, leur professionnalisation s’étant édifiée à la fois sur le champ de leur activité professionnelle et sur celui de leur formation. En ce sens, les diverses analyses réalisées mettent en évidence certaines différences identitaires entre les formateurs de l’école du personnel soignant et ceux de l’école normale d’enseignants primaires.

Tant à l’école du personnel soignant qu’à l’école normale I, les formateurs se reconnaissent une identité professionnelle avant tout fondée sur leur parcours de formation et sur leur expérience passée d’infirmier ou d’enseignant primaire. Pour ces différents formateurs, l’influence de l’institution à laquelle ils appartiennent est relativement faible dans la construction de leur identité professionnelle. Bien que l’identité professionnelle soit à considérer comme une dynamique interactionnelle, et non comme une forme stable et univoque d’appartenance de l’individu à une organisation, la faible influence institutionnelle constatée engendre une difficulté à construire une identité professionnelle collective, au sein même de chacun des deux corps de formateurs pris en compte dans l’étude. Cette construction identitaire collective semble cependant plus difficile à construire pour les enseignants-formateurs de l’école du personnel soignant. En effet, ces derniers présentent des différences identitaires intra- sites plus marquées que leurs homologues de l’école normale I. Ces différences sont dues essentiellement à des parcours professionnels et de formation distincts. Bien que tous issus d’une formation initiale en soins infirmiers, les formateurs de l’école du personnel soignant sont spécialisés dans les divers domaines de la santé : gériatrie,

pédiatrie, psychiatrie, soins à domicile, soins généraux, soins palliatifs... De plus, contrairement à leurs homologues de l’ENI, les formateurs de l’EPS ont vécu un changement identitaire important lors de leur passage de la profession infirmière à celle d’enseignant-formateur en soins infirmiers.

A l’école du personnel soignant, le travail en équipe des formateurs est institutionnellement faible, alors qu’il est présent à l’école normale d’enseignants primaires. Ainsi, bien que l’infirmier travaille communément au sein d’équipes de soins, ce n’est pas le cas pour les enseignants-formateurs de l’EPS. Toutefois, malgré son insertion dans une équipe médicale, l’infirmier est souvent seul dans le quotidien, devant assumer des décisions prises dans l’urgence. Ces faits contredisent en partie ce que je soulignais dans la partie théorique de l’étude, mettant en évidence le fait que l’identification au travail en équipe serait familière en soins infirmiers et non naturelle en enseignement.

Les enseignants-formateurs interrogés affirment que l’auto-évaluation de l’étudiant est peu stimulée et encouragée dans leurs institutions, dans la mesure où celles-là ne mettent pas vraiment l’accent sur la mise en place d’une ‘authentique’ auto- évaluation en situation de co-évaluation de stages et sur une éventuelle formation à l’auto-évaluation. Ils souhaiteraient qu’une formation à l’auto-évaluation soit mise sur pied par leur institution d’exercice professionnel, tant à leur intention qu’à celle des formés.

Une formation professionnelle combinée à la praxis, soucieuse de développer une aptitude à s’auto-évaluer au travers de l’analyse de ses pratiques, dans un mouvement de mise à distance, est le lieu même de construction d’une identité professionnelle prenant naissance au cœur de l’institution de formation. Pratiquer une auto-évaluation questionnante, notamment par l’auto-questionnement, c’est interroger ses pratiques, et par là son identité en la confrontant aux autres. En ce sens, plusieurs personnes interviewées, aussi bien à l’école du personnel soignant qu’à l’école normale d’enseignants primaires de Fribourg, souhaiteraient développer leur propre auto- évaluation, et se mettre ainsi dans la situation des étudiants, pour saisir au mieux le bien-fondé des pratiques d’auto-évaluation.

L’identité professionnelle renvoie à la notion de culture partagée, qui ne doit pas être délayée dans une indifférenciation standardisée. En ce sens, les enseignants- formateurs interrogés s’opposent à l’adoption d’une conception unique et de démarches communes en matière de suivi des étudiants en stages. L’élaboration d’une culture commune, au sein de laquelle les confrontations de points de vue et les divergences de représentations ont leur place et sont partagées, devrait finalement favoriser la construction d’une identité professionnelle collective, impliquant l’explicitation et la négociation de savoirs d’actions, de représentations et de valeurs communes.