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2.4 Le rôle du système moteur lors de la perception de parole

2.4.3 Recruter le système moteur dans l’apprentissage perceptif

Le lien entre production et perception de parole lors de l’apprentissage

perceptif a déjà été mentionné (voir Chapitre 2.3.1). Comme nous venons de le

voir, l’auditeur semble s’adapter à la parole qu’il perçoit grâce à un certain nombre

de processus imitatifs, le plus souvent implicites. Les ajustements qui en résultent

serviraient, en fin de compte, à mieux percevoir la parole. Afin de spécifiquement

tester ce lien lors de l’apprentissage, Adank, Hagoort et Bekkering, (2010) ont

évalué si l’imitation explicite de la parole perçue permettait à des participants de

mieux la comprendre dans un second temps. L’apprentissage perceptif s’est fait sur

un accent néerlandais produit par une locutrice native, créé artificiellement grâce à

des règles phonologiques inventées construites spécifiquement pour l’expérience.

Pour estimer les performances des participants – eux aussi néerlandais natifs –

deux tests ont été réalisés. Dans chacun de ces tests, les participants avaient pour

tâche de répéter cent phrases présentées dans le bruit. Chaque phrase comportait

quatre mots cibles qui permettaient d’évaluer quantitativement les performances.

Si les participants étaient capables de répéter plus de la moitié des mots cibles, le

niveau de bruit de la phrase suivante était augmenté, rendant la tâche plus facile.

Inversement, si les participants répétaient correctement moins de la moitié des

mots cibles, alors le niveau de bruit était diminué, rendant la tâche plus difficile. Le

niveau de bruit ne changeait pas d’une phrase à la suivante s’ils répétaient

exactement deux mots corrects sur quatre. Ainsi, le niveau de bruit au cours de

l’expérience s’adaptait à la performance du participant La performance au cours

d’un test était mesurée grâce au niveau de bruit évoluant au cours de l’expérience

(Plomp & Mimpen, 1979) : il s’agit de la moyenne du niveau de bruit sur l’ensemble

des phrases présentées (« Speech Reception Threshold », SRT, d’autant plus bas

que la performance perceptive est grande). Entre les deux tests, les participants

étaient assignés à différents groupes d’entraînement perceptif. Le groupe

« Baseline » (Contrôle), ne bénéficiait pas d’entraînement mais participait

simplement aux deux tests, afin de vérifier qu’il n’y ait pas d’apprentissage

spontané lors de la passation des tests. Les autres groupes perçevaient cent autres

phrases présentées clairement (sans bruit). Les groupes avaient chacun une tâche

spécifique, à savoir : le groupe « Listening » (Écoute) devait simplement écouter les

stimuli d’entraînement, le groupe « Repeating » (Répétition) devait répéter – sans

reproduire l’accent – les stimuli, le groupe « Transcription » (Transcription)

retranscrivait orthographiquement les phrases perçues, le groupe « Imitation »

(Imitation) devait imiter les phrases présentées, et enfin les participants du groupe

« Imitation + Noise » (Imitation dans le bruit) imitaient les phrases présentées sans

être capables d’entendre leurs propres imitations (casque diffusant du bruit dans

les oreilles). Les résultats sont présentés sur la Figure 11 qui illustre les différences

entre les performances, mesurées par le SRT, du premier test (avant

l’entraînement) et celle du second (après l’entraînement) pour les différents

groupes. Ainsi, une valeur positive (SRT plus élevé dans le premier test) indique

une meilleure performance dans le second test par rapport au premier. On peut

noter un effet d’apprentissage passif lors de l’entraînement dans la condition

Contrôle. Une autre étude (Kreitewolf, Mathias, & von Kriegstein, 2017) rapporte

un tel effet, qui pourrait pointer sur un mécanisme d’apprentissage implicite et

systématique lors de la perception de parole. Cependant, ce mécanisme (s’il n’en

est qu’un) est mal compris, notamment dans les interactions quotidiennes (Case,

Seyfarth, & Levi, 2018).

Figure 11 : Extrait de Adank et al. (2010). Différence de SRT (Speech Reception Threshold) entre le premier et le second test pour chacun des groupes de participants [Baseline = Contrôle, Listening = Écoute, Repeating = Répétition, Transcription = Transcription, Imitation(+ Noise) = Imitation (avec

bruit)]

Les performances des groupes Écoute, Transcription et Répétition ne sont

pas significativement différentes de celles du groupe Contrôle. On observe même

une tendance de performances légèrement plus faibles pour le groupe

« Répétition » : il est suggéré que la production gênerait lors de l’apprentissage

perceptif, comme ce serait le cas pour apprendre des mots ou sons dans une langue

étrangère (Baese-Berk & Samuel, 2016). On pourrait également suggérer que les

représentations motrices impliquées lors de la répétition sont celles de l’auditeur

et non du locuteur, et qu’elles pourraient entrer en conflit dans la tâche perceptive,

contrairement à celles impliquées dans l’imitation qui se rapprocheraient de celles

du locuteur. En effet, les seuls groupes ayant une performance significativement

différente du groupe Contrôle sont ceux ayant eu recours à l’imitation pendant

l’apprentissage. Le gain en intelligibilité observé est maintenu même si le

participant n’est pas en mesure d’entendre ses propres imitations (condition

Imitation avec bruit). L’effet de l’imitation ne se borne donc pas à doubler l’entrée

auditive créée lors de la production de parole par l’auditeur. L’appel explicite aux

processus imitatifs mis en jeu lors de la perception de parole permettrait à

l’auditeur de mieux ajuster son système perceptif à la parole qu’il perçoit.

Le système moteur est évidemment impliqué dans la production de parole

mais également lors de la perception de parole. Conséquemment, il joue un rôle

dans la perception multisensorielle et l’apprentissage perceptif, auxquels nous

nous sommes intéressés plus tôt. Ces deux processus cognitifs perceptifs seraient

modulés par la configuration du système de production de parole de l’auditeur.

2.5 Percevoir une parole différente : le cas de la parole des