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2.5 Percevoir une parole différente : le cas de la parole des personnes avec

2.5.2 Les spécificités motrices, anatomiques, physiologiques, et sensorielles des

sensorielles des systèmes phonatoire et orofacial pouvant impacter la parole des

personnes avec T21

La T21 se caractérise par des spécificités anatomiques, physiologiques,

motrices et sensorielles des systèmes phonatoire et orofacial qui sont plus ou

moins marquées d’un individu à l’autre. On note de plus une prévalence plus

importante de problèmes de santé liés à la sphère orofaciale, telle que rapportée

par les parents, chez les personnes avec T21 que chez leurs frères et sœurs

tout-venant (Hennequin, Allison, & Veyrune, 2000).

La T21 est souvent associée à la dysarthrie et/ou l’apraxie de la parole dès

l’enfance (Rupela, Velleman, & Andrianopoulos, 2016). En résultent des profils de

production de parole complexes, desquels peuvent rendre compte chacun des

troubles moteurs mentionnés ci-dessus qui peuvent servir de cadre afin de mieux

comprendre les difficultés de l’individu avec T21 pour parler. La dysarthrie

désigne un trouble moteur d’origine neurologique perturbant la production de

parole et qui peut-être reliée à différentes étiologies (Liss, Spitzer, Caviness, Adler,

& Edwards, 2000). Elle empêche la bonne transmission des messages neuraux vers

les muscles du corps impliqués dans la production de parole. Il s’agit donc d’un

trouble lié à la transmission des commandes motrices qui touche spécifiquement la

parole et l’altère à plusieurs niveaux (systèmes phonatoires et articulatoires) ce

qui résulte ainsi en un déficit d’intelligibilité. Cette pathologie fait l’objet d’une

recherche attentive afin de comprendre ce qui différencie la parole typique de celle

pathologique et de mettre le jour sur les processus moteurs nécessaires à une

bonne communication (Fougeron et al., 2010). Cependant, le trouble de la

production de la parole dans la T21 ne se réduit pas à la dysarthrie : c’est un

trouble complexe qui est parfois plutôt identifié comme « apraxique » (déficience

neurologique perturbant la planification des mouvements moteurs de parole) mais

qui présente aussi des troubles moteurs non spécifiques (Rupela et al., 2016). On

notera aussi des difficultés de coordination entre les lèvres et la bouche ainsi

qu’une tendance à une ouverture verticale excessive (Hennequin, Faulks, Veyrune,

& Bourdiol, 1999 ; Spender, Dennis, Stein, Cave, & Percy, 1995).

D’autre part, da Silva et collègues (2010) ont mis en évidence des capacités

pulmonaires réduites chez un groupe de 15 individus avec T21 par rapport à un

groupe tou de même taille (da Silva et al., 2010). Les personnes avec T21 auraient

aussi plus de mal à contrôler la pression intra-orale lors de la production de parole

que des personnes typiques (Rosin, Swift, Bless, & Kluppel Vetter, 1988). Un bon

contrôle du système respiratoire est pourtant crucial pour produire la parole

puisque c’est l’air expulsé par les poumons qui permet, lors de son passage à

travers le larynx, de produire le voisement.

La T21 se caractérise également par une anatomie spécifique de la sphère

orofaciale. Bien que la langue aurait une taille moyenne comparable à celle

observée chez les locuteurs typiques (Guimaraes, Donnelly, Shott, Amin, & Kalra,

2008 ; Macho, Andrade, Areias, Coelho, & Melo, 2014), la taille réduite de la cavité

orale (Borghi, 1990) résulterait en une macroglossie relative (Guimaraes et al.,

2008 ; Hennequin et al., 1999), c’est-à-dire une langue trop grosse relativement à

l’espace buccal disponible et donc gênante pour articuler précisément et

correctement les sons de parole. Si la taille et le volume pharyngaux ne semblent

pas altérées (Xue, Kaine, & Ng, 2010), les personnes avec T21 présentent

généralement un palais de forme atypique, dite en escalier (Kent & Vorperian,

2013), accentuant les limites articulatoires imposées par la langue. D’après le

rapport des Centers for Disease Control and Prevention (2006) qui ont répertorié

18 types de déficiences à la naissance et leur prévalence aux Etats-Unis, la

déficience la plus fréquente serait la présence d’une fente palatine (l’absence

partielle ou complète de la voûte buccale séparant la cavité orale de la cavité

nasale) suivie de la T21, Il souligne de plus un risque de comorbidité entre ces

deux déficiences relativement important. Plus généralement, on associe la T21 à un

palais plus haut, plus court et plus étroit que chez les individus typiques

(Hennequin et al., 1999). De telles spécificités peuvent provoquer des anomalies

occlusales (Macho et al., 2014) et gêner certaines fonctions comme la mastication,

la déglutition mais aussi la production de parole. Lors de l’articulation des sons de

parole, notamment de certaines consonnes, la réalisation d’une constriction entre

la langue et le palais est cruciale ; les anomalies combinées du palais et de la langue

nécessitent alors que le locuteur procède à un certain nombre d’ajustements lors

de la production de parole. Cela peut entraîner une plus grande variabilité

acoustique dans les sons de parole produits, par rapport à celle observée chez des

locuteurs tout-venant ainsi que des réajustements de stratégies articulatoires dus à

un espace d’articulation consonantique restreint, pouvant provoquer la

neutralisation de certains contrastes, tels que celui entre les consonnes [d] et [g]

par exemple comme c’est le cas chez les enfants avec fente palatine (Béchet, Hirsch,

Fauth, & Sock, 2012).

La T21 se caractérise aussi par des anatomies dentaire et musculaire

atypiques (Hennequin et al., 1999 ; Kent & Vorperian, 2013). La disposition des

dents ainsi que leur nombre parfois atypique (Hennequin et al., 1999) peuvent

gêner la langue dans sa position de repos mais aussi pour l’articulation de

certaines consonnes telles que les apico-dentales. Concernant les muscles

orofaciaux, il est noté que certains seraient peu différenciés ou même inexistants

en comparaison avec la population tout-venant (Kent & Vorperian, 2013). Au delà

d’une configuration différente des muscles des articulateurs de parole, un autre

trait caractéristique de la T21 est une hypotonie générale, potentiellement liée à un

seuil d’activation musculaire plus élevé (Connaghan & Moore, 2013 ; da Silva et al.,

2010 ; Latash, Wood, & Ulrich, 2008 ; Morris, Vaughan, & Vaccaro, 1982). Ainsi,

activer un muscle et le maintenir étiré serait plus difficile pour les personnes avec

T21 que pour les personnes tout-venant. On constate aussi un mauvais contrôle de

la pression de la langue (Hashimoto, Igari, & Hanawa, 2014). Notons que certaines

des anomalies anatomiques citées ci-dessus résultent directement de l’expression

phénotypique de la particularité chromosomique alors que d’autres sont des

conséquences de mécanismes adaptatifs que les individus mettent spontanément

en place pour compenser certaines difficultés fonctionnelles (e.g. Hashimoto et al.,

2014 ; Hennequin et al., 1999). Par exemple, l’hypotonie générale a un impact

direct sur la posture des individus qui en retour peut avoir tendance, combinée à

d’autres facteurs, à une mauvaise position des voies aériennes supérieures

impactant la respiration. Pour améliorer l’accès des voies aériennes, les individus

auraient ainsi tendance à abaisser leur mâchoire inférieure et sortir leur langue

(Hennequin et al., 1999).

La plupart des individus avec T21 ont de plus des problèmes auditifs (Kent

& Vorperian, 2013). Ceci aurait pour conséquence un appauvrissement du retour

sensoriel auditif nécessaire pour la production de parole (Levelt, 1989, 1995),

notamment lors de son acquisition, et contribuerait donc à un retard du

développement des capacités langagières orales en comparaison aux individus

normo-entendants.