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La reconversion professionnelle

La notion de reconversion professionnelle est polysémique : changement biographique, bifurcation, rupture, crise, transition professionnelle… Il convient donc de la définir, d’autant plus qu’elle recouvre une pluralité de situations, toutes différentes les unes des autres.

1. Des approches multiples

Afin de rompre avec le sens commun et avec les pré-notions au sens d’E. Durkheim, nous avons choisi d’approcher la notion de reconversion professionnelle par le concept de transition professionnelle. Ce concept de transition professionnelle correspond le mieux à ce que nous avons observé dans mon enquête exploratoire, c’est-à-dire en conservant la notion de continuité dans le parcours des personnes : « La transition met le temps de son

côté. Elle conjugue le passé, le présent et le futur. Elle n'a pas la dramaturgie de la crise, la charge émotionnelle de la rupture. Elle supporte l'ordinaire, une certaine continuité dans la discontinuité, de la conjonction dans la disjonction. Elle comporte un entre-deux qui autorise l'élaboration confrontante de la perte, de l'abandon de ce qui hier assurait la stabilité, la reconnaissance, un entre-deux qui autorise l'exploration des conséquences et la construction d'un imaginaire d'avenir ». (B. Bergier, S. Bourdon, 2009, p. 14).

La reconversion professionnelle est souvent pensée en termes de rupture, marquant ainsi le passage d’une situation à une autre. Or, nous faisons le choix méthodologique de nous appuyer sur les auteurs qui vont suivre, comme J. Guichard et M. Huteau ou encore R. Dupuy, et de penser avec eux la reconversion professionnelle comme une transition, prenant en compte la temporalité et l’histoire de l’individu avec un avant, un pendant et un après (et donc un passé, un présent et un avenir).

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Dans la littérature, plusieurs catégorisations sont opérées par les différents auteurs :

- C. Négroni distingue la reconversion « choisie » et la reconversion « subie ». Il est ainsi souvent question dans la littérature de reconversion professionnelle volontaire : « est identifiée comme un changement d’activité, de secteur, ou de

profession opéré de manière volontaire » (2005, p. 313), souvent associée à des

questions de mobilité ascendante (de type promotion). Cette notion de volonté est mise en lien avec les notions de choix ou d’anticipation à la différence de la reconversion subie.

- F. Dorgère dans la revue Les transitions professionnelles en question (2012), distingue ainsi les transitions externes (« changement envisagé en dehors du

domaine de compétences d'origine ») des transitions internes au domaine de

compétences (« évolution au sein du domaine de métier d'origine »).

Les différents auteurs qui ont travaillé sur ce sujet portent leur regard de manière différente et ne ciblent pas tout à fait les mêmes éléments du processus de reconversion. Nous allons voir d’une part, des auteurs qui mettent l’accent sur le type de transition et leur impact (J. Guichard et M. Huteau, et N. K. Schlossberg), et d’autre part, des auteurs qui souhaitent mettre l’accent sur la part active de l’individu dans le processus de reconversion professionnelle. Ces différences conceptuelles sont liées à la place et au rôle laissés à l’individu : « Considérée comme une adaptation à une nouvelle situation, l’accent était

mis, avant les années quatre-vingt, sur les transformations des conduites et des représentations des individus qu’elle provoquait. Ensuite, l’individu a été considéré comme un acteur intervenant dans ce processus, agissant selon ses intentions définies en fonction de ses représentations » (I. Havet, 2006, p. 150).

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2. Une première définition de la transition : les conséquences

de la reconversion comme objet d’étude

J. Guichard et M. Huteau définissent 75 concepts en lien avec le champ de l’orientation et de l’insertion, avec parmi eux, une définition de la transition (dans le cadre de la reconversion professionnelle) regroupant plusieurs acceptions :

- « la transition comme « passage d’une étape à une autre de l’existence ou de la

carrière professionnelle : ces « transitions normatives » correspondent à des transformations anticipables, à des normes sociales, et s’inscrivent dans la perspective d’un développement continu du sujet tout au long de la vie ;

- la transition liée à « un changement induit soit par un « événement » surgissant de

manière aléatoire dans l’un des domaines de la vie, soit par l’absence d’un événement « normalement » attendu » : ces transitions sont dites évènementielles ; qu’il survienne ou non, l’événement est source de rupture (positive ou négative) ;

- la transition envisagée comme résultat « de la transformation d’un [ou plusieurs]

contexte[s] où interagit l’individu », ou encore le passage régulier, voire quotidien, de l’individu d’un contexte d’activité à un autre » (E. Reille-Baudrin dans Les transitions professionnelles en question, 2012, p. 59).

N. K. Schlossberg définit le concept de transition par « Tout événement ou absence [d’un

événement prévu] qui a pour effet de transformer les relations, les routines, les croyances et les rôles [de l’individu] » (dans J. Guichard et M. Huteau, 2001, p. 180), dans lequel

l’idée de changement est présente. Dans sa conception, un évènement n’est transition que s’il est perçu comme tel par l’individu. N. K. Schlossberg s’intéresse au comportement de l’individu, à la façon dont il réagit, aux stratégies qu’il déploie pour faire face aux événements qui marquent le cours de sa vie : « 4 catégories de facteurs déterminent la

manière dont un individu fait face à une transition : la situation, soi, le soutien, les stratégies (les quatre S). A ces quatre facteurs se combinent, d’une part, l’image que l’individu se fait de cette transition, et d’autre part, son évaluation subjective de ses capacités à y faire face. » (J. Guichard et M. Huteau, 2001, p. 193).

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Ces auteurs envisagent d’identifier l’origine de la transition. V. Hélardot l’appelle événement déclenchant ou inaugural. Le reproche qui peut être fait à ces auteurs est de ne pas suffisamment prendre en considération l’individu comme un acteur, mais uniquement comme quelqu’un qui réagit simplement face à une transition, un événement.

3. L’individu, partie prenante dans le processus de

reconversion professionnelle

A. Baubion-Broye, R. Dupuy et A. Le Blanc soutiennent le sujet dans son action et insistent davantage sur le rôle de l’individu et sur sa participation. R. Dupuy et A. Le Blanc préfèrent aborder les transitions « comme des espaces-temps de coconstruction du

changement individuel et social ». (2001, p. 74). Nous ne nous situons pas dans le cadre de l’ajustement de l’individu à son environnement mais bien dans l’individu-acteur. En effet, R. Dupuy insiste sur la notion de sujet actif « dans le décodage des spécificités de

la situation qui évolue d’une part, et la part de singularité inévitable qui se manifeste dans le mode de réponse à cette évolution d’autre part » (R. Dupuy dans A. Baubion-Broye,

1998, p. 49). La part de singularité correspondant tant aux réactions de l’individu qu’aux significations apportées aux événements, à la situation.

R. Dupuy s’appuie sur la définition de C. M. Parkes qui définit le concept de transition comme « les changements d’ordre majeur dans l’espace de vie, qui ont des effets durables,

qui se produisent dans un laps de temps relativement court et qui affectent de manière déterminante la représentation du monde » (R. Dupuy dans A. Baubion-Broye, 1998,

p. 49) pour élaborer la sienne : « processus d’élaboration du changement, de sources

externes et/ou internes, qui permettent à un individu dans un espace temps plus ou moins long (phases que l’on retrouve tout au long du cycle de vie), de déployer des conduites

actives de préservation des identités de rôles qu’il valorise et/ou de se déplacer vers un nouvel équilibre identitaire et ce, en interaction avec autrui 13» (R. Dupuy dans A. Baubion-Broye, 1998, p. 53-54). L’auteur fait le lien avec le concept d’identité, le remaniement identitaire opéré du fait de la transition.

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L’individu est au cœur d’« enjeux axiologiques et activités de personnalisation » dans le sens où il va devoir mettre en place de véritables stratégies identitaires. Les transitions sont « des phases de reconstruction active des valeurs et des normes fondant la reconnaissance

et la valorisation de soi et d’autrui » (R. Dupuy, A. Le Blanc, 2001, p. 68). C’est ce que

souligne M. Caita Zufferey (dans M.H. Soulet, 2011, p. 91) lorsqu’elle dit « Abandonner

une forme d'existence pour en embrasser une autre, modifier la nature des relations que l'on noue avec autrui, transformer son identité sociale et personnelle, se repositionner dans le système social : derrière la réorientation biographique on entrevoit une dynamique de l'abandon et une dynamique de l’inclusion ».

Le modèle de R. Dupuy et A. Le Blanc consiste à « affirmer une part de responsabilité du sujet14, comme des institutions, dans la définition et la transformation de ses identités sociales. C’est considérer les trajectoires socio-professionnelles des individus comme relevant bien sûr de conditions socio-économiques et culturelles, mais aussi de stratégies identitaires singulières, marquées notamment par des rapports au temps, des représentations de genre, des conceptions du travail, des visées de maîtrise et d’emprise, des attentes de rôles sociaux, extrêmement diversifiées » (R. Dupuy, A. Le Blanc, 2001,

p.74).

La dimension identitaire (même si elle n’est pas toujours parlé en ces termes) est souligné par plusieurs auteurs dont C. Négroni : « La réorientation professionnelle ne se résume pas

à la construction d’un projet professionnel qui consisterait en la simple adaptation d’un individu à un nouvel emploi ; pour que la translation soit réussie, le projet doit être entendu comme projection de soi dans le futur » (C. Négroni, 2005, p. 329).

Enfin, le concept de reconversion professionnelle au sens de transition implique la notion d’incertitude : « Si la transition se définit comme un « entre-deux » —entre deux situations

—ici seule est connu la situation maintenant caduque ; le second terme, celui de l'aval de la transition, est non représentable pour la personne, marqué du sceau de l'incertitude »

(A. Baubion-Broye, 1998, page 111). R. Dupuy et A. Le Blanc complètent en indiquant où se situe l’incertitude : « Incertitude que les possibles souhaités avant la transition ne soient

pas réalisables au terme de celle-ci, incertitude que s’ouvrent au cours de la transition de

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nouveaux possibles non encore envisagés, incertitude que d’autres aspirations (personnelles ou familiales) prennent le « devant » et changent la signification de cette insertion professionnelle, plus ou moins lointaine, plus ou moins désirée » (R. Dupuy et

A. Le Blanc, 2001, p. 73).

La reconversion professionnelle, au sens de transition, est un réel changement dans la vie de l’individu, tant du point de vue de la place et du rôle qu’il occupe dans la société, que du point de vue identitaire. La transition est un processus durant lequel l’individu va construire de nouvelles façons d’agir, trouver de nouvelles raisons d’exister, tout en se référant au vécu passé et à l’anticipation de l’avenir.

B. L’identité

Afin d’éclairer notre question, nous avons choisi d’aborder le concept d’identité par une approche globale tout d’abord, puis plus ciblée ensuite en lien avec le travail et le handicap.

L’identité est une notion complexe, multiforme, se situant au carrefour de nombreuses disciplines (sociologie, psychologie, droit, etc). Nous utiliserons les théories développées en psychosociologie par P. Tap, et en sociologie par E. Goffman et C. Dubar, disciplines qui nous paraissent complémentaires pour traiter notre question de recherche.

L’identité se construit tout au long de la vie en lien avec les changements que vivent les individus. Nous nous attacherons ici au(x) changement(s) qu’implique la reconversion professionnelle.

L’identité possède des caractéristiques objectives (s’appuie sur des critères sociaux, juridiques…) et subjectives (perceptions, sentiments, représentations de soi en lien avec le regard d’autrui).

Tout comme dans la définition de la reconversion professionnelle, la place laissée à l’individu a toute son importance. En effet, l’évolution de la conception de l’individu a permis de voir évoluer le concept d’identité : « A la préoccupation holiste s’est peu à peu

substituée la préoccupation de l’individu. L’idéologie de la réalisation de soi-même s’est imposée face à la conception d’une société comme un tout définissant la place et la

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fonction de chacun. C’est aujourd’hui à l’individu lui-même de construire sa cohérence dans un monde éclaté ; c’est à lui de donner un sens à son existence. » (J. Barus-Michel,

E. Enriquez, A. Levy, 2006, p. 177).

1. Approche psychosociologique

Pour P. Tap, l’identité personnelle correspond à « un système de sentiments et de

représentations de soi, c’est-à-dire à l’ensemble des caractéristiques physiques, psychologiques, morales, juridiques, sociales et culturelles à partir desquelles la personne peut se définir, se présenter, se connaître et se faire connaître, ou à partir desquelles autrui peut la définir, la situer, ou la reconnaître » (P. Tap, 1979, p. 9). Il s’agit d’un

double processus : une « définition interne » (ce que l’on attend de lui, l’image qu’autrui lui renvoie de lui-même,…) et une « définition externe » (l’image qu’il a de lui-même, ce qu’il a envie d’être,…) : « Mon identité c’est donc ce qui me rend semblable à moi-même

et différent des autres, c’est ce par quoi je me sens exister en tant que personne et en tant que personnage social (rôles, fonctions), ce par quoi je me définis et me connais, me sens accepté et reconnu comme tel par autrui, mes groupes et ma culture d’appartenance »

(P. Tap, 1986, p. 8).

P. Tap identifie sept dimensions constitutives de l’identité personnelle :

- dimension temporelle de la conscience de soi c’est-à-dire le sentiment de continuité : « Etre quelqu’un c’est construire un passé, valoriser le temps présent et organiser des projets » (P. Tap, 1986, p. 8) ;

- sentiment d’unité ou de cohérence en lien avec l’histoire personnelle ;

- systèmes d’identités multiples et richesse de cette diversité (identité physique, juridique, ethnique, sociale,…) ;

- séparation/autonomie/affirmation : « elle se constitue dans la mesure où l’individu

s’oppose au monde extérieur ou à autrui en tant qu’être distinct » (P. Tap, 1979,

p. 11). Sans affirmation, « elle peut même se dissoudre dans la dépendance,

l’assimilation passive à autrui ou la conformité aux attentes du groupe » (P. Tap,

1986, p. 8) ;

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- action et production d’œuvres : « c’est par l’engagement, la prise de responsabilité,

la création, l’action sur les objets et la coaction sociale que l’identité s’affirme et se consolide » (P. Tap, 1986, p. 9) ;

- valeur : « par l’action et l’œuvre, l’individu se valorise aux yeux d’autrui et par

contre-coup à ses propres yeux » (P. Tap, 1979, p. 12). Ceci met en évidence le

rôle des attentes et du regard d’autrui sur soi.

P. Tap a travaillé sur la façon dont l’individu gère des situations difficiles, notamment les changements socio-économiques : « Ses conduites sont plus ou moins fortement

déterminées par sa situation sociale, en particulier professionnelle, par ses ressources économiques, ses croyances, ses appartenances et ses orientations culturelles. On ne doit pas minimiser pour autant les aspects subjectifs des conduites, l’importance des représentations et des sentiments à partir desquels la personne réagit (attaque et se défend), s’autoévalue (estime de soi, valorisation ou dépréciation), s’oriente, communique, etc. » (P. Tap, M. De Lourdes Vasconcelos, 2004, p. 9).

Il a ainsi développé 4 types de stratégies, dites stratégies de personnalisation c’est-à-dire permettant à l’individu d’exister en tant que personne :

- Les stratégies identitaires : affirmation ou défense de la définition de soi, dans ce que l’individu a été (passé), dans ce qu’il est (présent), et dans ce qu’il veut être (futur). Il s’agit d’être le même (ancrage identitaire), d’être soi-même (affirmation et valorisation identitaires), et de devenir soi-même (aspiration aux changements personnels).

- Les stratégies de positionnement social c’est-à-dire la quête de reconnaissance d’une position sociale, s’intégrer socialement : « Prendre position, c’est se poser en

tant que sujet singulier, c’est avoir un rôle à jouer, prendre place parmi d’autres et s’affirmer, choisir, évaluer » (P. Tap, S. Esparbès-Pistre, 2001, p. 5).

- Les stratégies de « coping » en faisant face à la situation par des stratégies de contrôle, de soutien social, de retrait et de refus. Cela rejoint l’idée de l’individu acteur.

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Nous pouvons retenir de P. Tap les trois points clés liés au développement de l’individu tout au long de sa vie : donner sens aux événements de vie c’est-à-dire prendre conscience de soi-même (de ses potentialités et de ses limites), la quête d’une identité personnelle (telle que nous l’avons définie) et la quête de reconnaissance sociale.

2. Approche interactionniste

Pour E. Goffman, l’identité se construit à partir des rôles que les individus jouent sur la scène sociale : « L'interaction face à face, “système social en miniature” se joue entre un

acteur et les autres qui constituent ainsi le public. On suppose que “toute personne placée en présence des autres a de multiples raisons d'essayer de contrôler l'impression qu'ils reçoivent de la situation” (idem). Dans cet esprit toute interaction met en œuvre un jeu dramatique (ou représentation) durant lequel l’acteur développe un ou des “rôles” devant un public » (J-P. Durand, R. Weil, 1999, p. 249).

E. Goffman distingue l’identité sociale de l’identité personnelle. L’identité personnelle étant ainsi définie : « Pour moi, quand je parle d’ « identité personnelle », je n'ai en vue

que les deux premières notions : les signes patents ou porte-identité, et la combinaison unique de faits biographiques qui finit par s'attacher à l’individu à l'aide précisément des supports de son identité » (E. Goffman, 1975, p. 74). L’identité sociale correspond : « Par suite, lorsque qu’un inconnu se présente à nous, ses premières apparitions ont toutes chances de nous mettre en mesure de prévoir la catégorie à laquelle il appartient et les attributs qu'il possède, son « identité sociale », pour employer un terme meilleur que celui de « statut social », car il s'y inclue des attributs personnels tels que l’ « honnêteté », tout autant que les attributs structuraux comme la « profession ». Nous appuyant alors sur ces anticipations, nous les transformons en attentes normatives, en exigences présentées à bon droit » (E. Goffman, 1975, p. 12).

Ceci nous montre l’importance dans le concept d’identité de la double dimension qu’est la définition de soi et de la définition d’autrui sur soi.

L’identité sociale se subdivise en deux dimensions: l’identité sociale réelle (constituée par les caractéristiques possédées par l’individu), et l’identité sociale virtuelle (celle qu’autrui lui confère sur la base de l’apparence, d’attributs manifestes). « Les actes d’assignation, de

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catégorisation par les autres reposent sur le repérage d’attributs spécifiques, ceux qui paraissent « anormaux », « bizarres » ou simplement « différents » – tels des difformités physiques, des comportements déviants ou des attributs de race, nationalité ou religion – que Goffman regroupe sous le terme de stigmate » (C. Dubar, 2007, p. 16).

Le stigmate constitue l’écart entre l’identité sociale réelle et l’identité sociale virtuelle : « Dès lors, l'intérêt général de l'étude des stigmates est qu'elle met en lumière la façon

dont certains attributs vont, dans une société donnée, avoir des effets sur la constitution de l'identité individuelle dans l'interaction » (J. Nizet, N. Rigaud, 2005, p. 28)

Cette approche nous apparaît très opérante pour le public que nous étudions, et nous la reprendrons plus loin dans notre travail.

C. Dubar synthétise ainsi la pensée de E. Goffman : « Au cœur de l’interaction, selon

Goffman, la métaphore du dialogue entre un « normal » et un « stigmatisé » permet de comprendre en quoi l’identité constitue, en fait, un rapport social entre assignation et revendication, appartenance pour autrui et définition pour soi, stigmatisation et réactions au stigmate. L’identité, lorsqu’elle résulte d’une stigmatisation, initiale ou ultérieure,

engendre un processus réactif, une dynamique d’intériorisation du stigmate initial mais aussi de révoltes/crises contre ces assignations et donc un processus de construction/destruction/reconstructions identitaires, tout au long de la vie. Il s’agit en fait de tenter de concilier les deux pôles entre lesquels balance le processus identitaire : celui de la reproduction sociale « stable » (impliquant souvent la répétition culturelle) et celui de l’invention réactive, de la mobilité volontaire (impliquant souvent un sentiment d’illégitimité, de fragilité culturelle15

» (C. Dubar, 2007, p. 16-17).

L’approche interactionniste met l’accent sur l’importance des relations à autrui dans la définition de soi et s’intéresse particulièrement aux processus d’ajustement. Selon E. Goffman, ces ajustements sont possibles du fait de la pluralité de « soi » dont dispose le sujet. Celui-ci peut ainsi s’adapter aux attentes d’autrui, utilisant l’une ou l’autre des composantes identitaires appropriée à la situation. L’individu se met en scène et se conforme aux attentes d’autrui.

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3. Approche existentialiste

C. Dubar, dans son ouvrage La crise des identités, se rattache au courant « existentialiste » ou nominaliste. Pour lui :

- L’identité est un paradoxe : « C'est le résultat d'une double opération langagière :

différenciation et généralisation. La première est celle qui vise à définir la différence, ce qui fait la singularité de quelque chose ou de quelqu'un par rapport à quelqu'un ou quelque chose d'autre : l'identité c'est la différence. La seconde est celle qui cherche à définir le point commun à une classe d'éléments tous différents d’un même autre : l'identité c'est l'appartenance commune » (C. Dubar, 2010a,

p. 3). Ce paradoxe est souligné par d’autres auteurs dont P. Tap.

- Il n’y a pas d’ « existence essentielle », de différence entre les individus mais des