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Reconstruire les réseaux dans un « État alloti » (Leenders 2012) : un processus territorialisé ?

L’eau potable et

C HAPITRE 4 R ÉORGANISER LES SERVICES D ’ EAU , RECONSTRUIRE L ’ ÉTAT ? ENTRE AGENDAS INTERNATIONAUX ET JEUX POLITIQUES LOCAUX

4.1. Renouveler et développer les réseaux : saisir l’action publique dans le système politico-économique libanais

4.1.1. Reconstruire les réseaux dans un « État alloti » (Leenders 2012) : un processus territorialisé ?

Alors que les administrations ont subi d’importants dommages, le gouvernement apparaît en effet soucieux de « ne pas conditionner le démarrage de la reconstruction du pays

Les figures 16 et 17 ont été construites à partir des données du recensement des immeubles de 1997 mené par

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l’Administration Central de la Statistique. Hormis les données construites par la Lyonnaise des eaux lors de sa mission technique d’appui au secteur réalisé en 1994, déjà exploitées dans la partie précédente et manquant d’exhaustivité, ce sont les données les plus proches de la fin du conflit civil. Comme pour les données de 1994, le service a cependant déjà été amélioré par rapport à 1990.

Figure 17 - Des réseaux incapables de suivre la croissance urbaine durant les années de guerre : l’exemple du Akkar (source : ACS 1997 - réalisation : Christèle Allès, 2014)

à la réforme hasardeuse de son administration » (Ingels 1999 : 248). Celle-ci est alors confiée

à des administrations dites « de la reconstruction », qui rassemblent des administrations existantes, comme le ministère des finances, et des administrations de mission, sur lesquelles le gouvernement décide de concentrer son attention en leur attribuant personnel et enveloppes budgétaires conséquentes (Ingels 1999). Pour ce qui est des services d’eau, trois administrations sont concernées au premier chef. Le Conseil du Développement et de la Reconstruction (CDR) et le Conseil du Sud sont relancés respectivement en 1991 et 1992, et deux nouvelles administrations sont créés, le Ministère et le Fond Central des Déplacés, en 1992 également. Ces dernières sont chargées de financer et de mettre en œuvre les programmes nécessaires au retour dans leurs villages et régions d’origine de tous les déplacés libanais et d’améliorer leur situation sociale et économique (Kanafani-Zahar 2004). On constate ainsi une grande continuité avec les solutions trouvées durant la guerre, la réhabilitation et la construction d’administrations ad hoc concourant à la marginalisation d’un Ministère des Ressources Hydrauliques et Electriques qui, comme on l’a vu dans la partie précédente, avait pourtant tant bien que mal mené ses missions durant le conflit (graphique 12).

Ces administrations apparaissent exemplaires de la répartition des ressources de l’État entre leaders politico-communautaires qui marque le Liban d’après-guerre et elles témoignent d’une forme de reproduction du système milicien à l’intérieur de l’État (Picard 1994), processus que Reinoud Leenders qualifie d’allotissement de l’État (2012) . Ainsi, alors que 218

Je traduis ici l’expression « allotment state ».

218 Millions de $ 0 25 50 75 100

Eau potable Assainissement

20 23 32 45 9 MEE CDR

Conseil du Sud Caisse des déplacés

Graphique 12 - Dépenses annuelles d’investissements par les institutions en charge de la reconstruction telles qu’estimées en 2008 (Source : World Bank 2010 : 37)

l’Administration Civile de la Montagne met fin à ses activités en 1991, Walid Jumblatt, leader du Parti Socialiste Progressiste (PSP) , met la main sur le Ministère des déplacés dès 1992. 219

Celui-ci a depuis été occupé par Walid Jumblatt lui-même (1992-1998) ou par un membre de son bloc parlementaire, moyen d’en contrôler les flux financiers et d’utiliser l’institution dans un objectif clientèliste (Verdeil et al. 2007 ; De Clerck 2009). Le Conseil du Sud est quant à lui un élément clé de la stratégie d’intégration à l’État du mouvement Amal, milice chiite devenu parti politique à la fin du conflit, héritière du Mouvement des déshérités de l’imam Musa Sadr. Depuis que Nabih Berri est devenu leader du mouvement en 1984, celui-ci cherche en effet à intégrer le système politique libanais en occupant des postes ministériels mais aussi des directions d’administrations, afin de «.pouvoir redistribuer les ressources publiques, dues à la communauté chiite qu’il représente et qui en est écartée depuis des décennies » (Harb 2005 : 126 ). Depuis 1984, le conseil d’administration et la direction du 220

Conseil du Sud sont ainsi occupés par un membre de Amal, et celui-ci doit sans doute sa réactivation en 1992 à l’élection de Nabih Berry à la présidence du parlement cette même année. Le CDR apparaît quant à lui comme l’instrument de Rafic Hariri, lui ayant permis de «.concrétiser le slogan sur lequel il joue toute sa crédibilité politique : la

reconstruction.» (Rayes, 1997). Actif dans des opérations de travaux publics au Liban depuis les années 1980 à travers ses entreprises et sa fondation, Rafic Hariri positionne son entourage au sein de l’institution avant même d’être nommé premier ministre. Dès 1991, l’ancien président de la société de travaux publics de Hariri Oger Liban, Fadl Chalak, est en effet nommé président du CDR, avant d’être remplacé en 1995 par l’ex-directeur de Oger international à Paris, Nabil Jisr, poste qu’il occupe toujours aujourd’hui. De plus, les hauts cadres libanais de l’institution comme les experts temporaires étrangers qu’elle peut employer sont pour une bonne part issus de la nébuleuse de sociétés contrôlée par Rafic Hariri (Ingels, 1999). Le rattachement politique du Ministère des Ressources Hydrauliques apparaît quant à lui moins clair et surtout plus sujet au changement. Jusqu’au milieu des années 2000, le poste est régulièrement occupé par des membres du mouvement Amal, mais aussi par un phalangiste proche de la Syrie de 1993 à 1998, Elie Hobeika, et par plusieurs personnalités à l’affiliation moins claire et au profil technicien (figure 18).

Le Parti Socialiste Progressiste est fondé en 1949 par le chef druze Kamal Jumblatt. Officiellement laïc, il est

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le principal parti politique représentant la communauté druze libanaise.

Mona Harb cite ici le chef du bureau du service de l’éducation de Amal dans la banlieue sud.

F igu re 18 - Le s ec te u r d e l ’e au d ep u is la fi n d e l a gu er re c ivi le : s yn th ès e d es é vol u ti on s in sti tu ti on n el le s e t d es p rogr amme s d ’ap p u i au s ec te u r

Dans quelle mesure ces affiliations affectent-elles le processus de reconstruction des services d’eau, notamment sur le plan spatial, dans un contexte où le conflit civil a profondément renforcé la répartition territoriale de la population sur une base communautaire ? Autrement dit, ces affiliations politico-communautaires tendent-elles à produire de la différenciation spatiale dans la remise à niveau puis le développement des réseaux d’eau potable et d’assainissement ?

Il faut tout d’abord noter que ces administrations opèrent de manière fort différente. Le Conseil du Sud et la Caisse des déplacés réalisent surtout des projets de petite échelle . Un 221

ouvrage présentant le bilan de l’action du Conseil du Sud entre 1992 et 2002 montre bien que celui-ci intervient essentiellement à une échelle villageoise (maǧlis al-ǧnūb 2003), en réponse aux demandes qui lui sont adressées localement, sans planification d’ensemble. Avec l’éducation (construction d’écoles) et les réseaux électriques, l’eau potable y occupe une bonne place, alors que l’assainissement est assez peu représenté (graphique 13). Le nombre de projets réalisés chaque année est tout à fait révélateur de leur faible ampleur. On compte en effet 110 projets réalisés en 1997. Ils comprennent le percement de forages dans plusieurs villages, la construction de châteaux d’eau (photographie 2), la réhabilitation ou l’extension de petits réseaux. Les missions du Conseil du Sud limitent par ailleurs son action aux

mohafaza du Liban-Sud et de Nabatyé, ainsi qu’aux caza de Rachaya et de la Bekaa-Ouest,

territoires à dominante chiite qui constituent le principal bastion électoral du mouvement Amal.

Pour le Conseil du Sud, on peut cependant évoquer le projet d’alimentation en eau potable de la région de

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Hasbaya-Marjayoun à partir de la source de Wazzani (Allès 2007), la construction de stations de pompage sur la source de Aïn Zarka et la rivière Zahrani. Je n’ai pas connaissance de projets d’importance par le Ministère ou la Caisse des Déplacés, mais je n’ai pas mené de recherches approfondies sur la question.

Ce n’est pas le cas du Ministère des déplacés, qui n’opère a priori pas territorialement. Les déplacés du Sud sont cependant exclus de ses missions au profit du Conseil du Sud dès 1994, limitant ainsi son champ d’intervention territorial et consolidant celui du Conseil du Sud. L’analyse des opérations menées par le Ministère a de plus montré que si celles-ci ont

0 35 70 105 140 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 Ecoles Electricité

Murs de soutainement, canaux, routes Hôpitaux, centres de soins

eau potable assainissement

Graphique 13 - Nombre de projets menés par le Conseil du Sud dans ses principaux secteurs d’intervention entre 1992 et 2002 (source : maǧlis al-ǧnūb, 2003)

Photographie 2 - Un château d’eau construit par le Conseil du Sud. Sur le château : « République libanaise - Conseil du

touché tout le Liban, les bastions du PSP au Sud du Mont-Liban (caza du Chouf et de Aley) et à Beyrouth ont connu un traitement prioritaire (Verdeil et al. 2007), alors que d’autres caza du Mont-Liban rassemblant un important nombre de déplacés (Baabda et Metn) n’ont été que peu concernés.

L’action du CDR est d’une toute autre ampleur, à la fois par les financements qu’elle mobilise et par sa dimension nationale. L’organisation s’établit rapidement comme le pilier des opérations de reconstruction, puis du développement des infrastructures. Conçue comme un super-ministère dès sa création en 1977, capable de se substituer à une administration profondément mise à mal par le conflit pour la planification et l’exécution des projets, seule habilitée à contracter de la dette auprès des bailleurs de fonds internationaux, elle apparaît comme l’instrument idéal d’une reconstruction qui se veut efficace, dans l’attente d’une réforme administrative qui permettrait aux institutions classiques de reprendre leur rôle (Rayes 1997). Ravivée dès 1991, elle réalise les premiers exercices de planification de la reconstruction, notamment le National Emergency Recovery Plan (NERP) qui vise à réhabiliter les infrastructures de première nécessité dans tout le Liban en trois ans pour un coût total de 2,25 millards de dollars, sur lesquels 187,3 millions de dollars concernent l’eau potable et 111 millions de dollars les eaux usées. Ce plan se déploie à l’échelle nationale et consiste dans un premier temps à réparer l’existant, de manière à remettre à niveau le service public d’eau potable : « compte tenu de l’état du pays sur le plan social et de la qualité

désuète de l’habitat, il serait facile de fournir à court terme une capacité de consommation Graphique 14 - Familles déplacées et

indemnisées par la Caisse des déplacés en 1997 (extrait de Verdeil et al., 2007 : 160)

journalière de 100 à 120 l/hab » (CDR 1993 : 11). Étant donné les évolutions importantes

qu’a connues la population libanaise, ce plan est rapidement suivi de projets d’extension et de rénovation totale des infrastructures . Loin de réparer ou de compléter les réseaux au coup 222

par coup, le CDR reprend donc en charge l’objectif d’universalisation des réseaux publics d’eau potable des années 1960, s’inscrivant ainsi dans une grande continuité avec les logiques antérieures de développement des réseaux. Selon Bassam Jaber, directeur de l’exploitation au MRHE dans les années 1990, la plan directeur suivi reste d’ailleurs jusqu’à aujourd’hui celui d’Ibrahim Abd El-Al . La majorité des infrastructures réalisées par le CDR prennent donc la 223

forme de vastes projets d’adduction régionaux, couvrants l’intégralité du territoire libanais (figure 19).

Selon Bassam Jaber, « on s’est rendu compte que réhabiliter ce n’était pas seulement réparer et qu’il fallait

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passer au stade du développement » (entretien, février 2007).

Entretien, février 2007.

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Figure 19 - Cartographie extraite des « progress reports » du CDR de 2011, présentant les projets d’eau potable et d’assainissement en cours et terminés (CDR 2011)

Le secteur de l’assainissement est pensé selon la même logique (figure 19). L’objectif d’universalisation est en effet étendu à ce secteur dès 1982, date à laquelle un premier schéma d’assainissement national est réalisé suite à la signature par le Liban de la Convention de Barcelone (1976) qui vise à la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée. Mis à jour en 1994, il prévoit la construction de 12 stations d’épuration prioritaires sur la côte et 16 à l’intérieur des terres, destinées à couvrir les besoins de 80% de la population. 77 petites et moyennes stations pour les zones rurales et de montagnes viennent combler les lacunes. Comme pour l’eau potable, ce schéma propose majoritairement la construction d’infrastructures massives, destinées à assainir les agglomérations urbaines et leur arrière- pays. Sur la côte, chaque station couvre ainsi en moyenne 466 400 équivalent habitants.

Au total, ce sont près de deux milliards de dollars de contrats qui ont été adjugés par 224

le CDR entre 1990 et 2015 pour la reconstruction puis le développement de l’eau potable et de l’assainissement (graphique 15 ), le CDR étant resté sur toute la période la principale 225

administration en charge du développement des infrastructures. Poursuivant un processus

entamé durant la guerre, ses réalisations sont répertoriées chaque année dans des rapports sectoriels, les progress reports, disponibles dans les bureaux de l’institution et sur son site Internet. Sous la forme de listes de projets, tous associés à leur montant et à leur niveau de

Les contrats adjugés sont les contrats qui, à la suite d'un appel d’offre ou par un contrat de gré à gré, ont été

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attribués à une entreprise de travaux publics.

Compilation à partir des progress reports publiés par le CDR entre 1992 et 2016. Les montants sont

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généralement présentés en distinguant les contrats en préparation, adjugés et parfois achevés. J’ai choisi d’utiliser les montants adjugés. S’il aurait été préférable d’utiliser les montants des contrats achevés de manière à donner une image plus proche de la réalité des réalisations effectuées à travers le CDR, la donnée n’était pas présente dans tous les rapports. Utiliser les montants des contrats adjugés représente une solution intermédiaire.

0 300 600 900 1200 92-96 92-99 92-03 92-06 92-10 92-15 Eau potable Assainissement

Graphique 15 - Montants cumulés des contrats adjugés par le CDR dans les secteurs de l’eau et de l’assainissement entre 1990 et 2015 (source : CDR, Rapports d’activité)

réalisation, mais aussi de cartes (figures 19), ces rapports donnent à voir les avancées passées et futures du CDR, mettant ainsi en scène une institution étatique performante et oeuvrant à l’échelle nationale, à travers la réalisation de réseaux pénétrant l’ensemble des territoires.

Selon le bilan par région des dépenses effectuées à travers le CDR, cette représentation n’apparaît pas si éloignée de la réalité (graphiques 16 et 17). Alors que la reconstruction a souvent été accusée de privilégier l’agglomération beyrouthine aux dépens des régions périphériques, les dépenses n’apparaissent en effet pas si inégalitaires une fois rapportées à la population. Dans les deux secteurs, la région centre apparaissant même défavorisée par rapport aux régions périphériques, malgré les importants montants mobilisés sur la zone (458 millions de dollars pour l’eau potable et plus de 273 millions de dollars pour l’assainissement soit plus de 40% des dépenses totales).

0,0 100,0 200,0 300,0 400,0 92-96 92-99 92-03 92-06 92-10 92-15 Beyrouth-Mont-Liban Liban-Nord Bekaa Liban-Sud

Graphique 16 - Bilan cumulé des projets achevés et adjugés par le CDR dans le secteur de l’eau potable entre 1992 et 2015 par région.

0,0 75,0 150,0 225,0 300,0 92-96 92-99 92-03 92-06 92-10 92-15 Beyrouth-Mont-Liban Liban-Nord Bekaa Liban-Sud

Graphique 17 - Bilan cumulé des projets achevés et adjugés par le CDR dans le secteur de l’assainissement entre 1992 et 2015 par région.

$/hab $/hab

Nous aurions donc d’un côté deux administrations dont l’action traduirait spatialement le partage politico-communautaire du pouvoir issu de la guerre civile et de son règlement en se concentrant sur les territoires qui leur sont affiliés politiquement, et de l’autre une administration traduisant la reconstruction de l’État territorial, à travers un déploiement de son action à l’échelle nationale, de manière relativement équilibrée entre les différentes régions, et suivant des logiques de développement des réseaux déjà à l’œuvre durant la période de l’indépendance.

Il faut cependant apporter plusieurs nuances à cette première analyse. On peut tout d’abord constater une légère sous-représentation de la région centre et du Liban-Sud concernant la répartition des crédits pour l’eau potable. On peut ici émettre l’hypothèse d’une répartition spatiale entre les trois administrations de la reconstruction évoquées ici, le CDR intervenant moins là où le Conseil du Sud et la Caisse centrale des déplacés sont les plus présents. Un responsable de la planification du CDR soulignait ainsi que jusqu’en 2005-2006, c’est cette institution qui était en charge de la reconstruction dans les mohafaza du Liban-Sud. Le CDR y intervenait donc moins, de manière à ne pas faire doublon , à part sur quelques 226

gros projets qui ne sont entrés en phase d’exécution qu’au début des années 2000 (Allès 2007). On pourrait alors parler de territorialisation en creux de l’action du CDR, conséquence d’une rationalisation de l’action publique entre les trois institutions relevant au moins d’une forme de coordination informelle. Deuxième point, le déploiement de l’action du CDR à l’échelle nationale n’est pas exempt de stratégie politique et on peut la corréler au positionnement de Rafic Hariri lors de son arrivée au pouvoir. Homme d’affaire ayant fait fortune dans le golfe, éloigné de la notabilité sunnite traditionnel comme des groupes miliciens issus de la guerre, c’est d’abord comme homme politique national à l’assise transcommunautaire, artisan du « vivre en commun » et pourfendeur du confessionalisme politique que Rafic Hariri construit son leadership (Gervais 2012). Si dès le milieu des années 1990 il a pu se repositionner comme leader de la communauté sunnite (Baumann 2012 ; Gervais 2012), le CDR apparaît néanmoins comme l’instrument privilégié de cette première stratégie politique, dont le déploiement spatial n’est pas fondé sur un territoire communautaire particulier, mais sur l’affirmation du caractère national de la reconstruction.

Entretien CDR, département de la planification, 2006.

Enfin, le caractère équilibré des dépenses entre les régions doit sans doute être interprété dans le cadre des spécificités du système politique libanais. Alors que de nombreux auteurs ont montré que c’est avant tout en investissant dans les lieux symboliques de la capitale, au premier rang desquels le centre-ville et l’aéroport, que Rafic Hariri a forgé son image d’artisan de la reconstruction libanaise (Verdeil 2002 ; Schmid 2002), la répartition relativement équitable des investissements entre les différentes régions du pays peut sans doute s’expliquer par la mise en pratique du principe du développement équilibré, explicitement mentionné comme une des clefs de la réconciliation nationale dans les accords de Taëf (Labaki 1998). Celui-ci ne s’est jamais traduit par la mise en œuvre d’un plan d’ensemble destiné à promouvoir un développement durable des régions périphériques libanaises , mais bien plutôt par une forme de redistribution territoriale des ressources de 227

l’État, « face respectable du communautarisme » (Nahas 2009) mais aussi traduction spatiale d’une forme de gouvernement par le compromis (Catusse et Karam 2009) caractéristique de la démocratie consensuelle à la libanaise et renforcée par Taëf . Si le Conseil du Sud et la 228

Caisse centrale des déplacés en sont des instruments évidents, celle-ci semble se jouer à l’intérieure de l’institution dans le cas du CDR, sous l’effet conjugué de deux facteurs : d’un côté un lobbying constant des leaders politico-communautaires de tous niveaux pour obtenir la réalisation de projets dans leur région ; de l’autre, une recherche d’équilibre territorial 229

intériorisée par les bailleurs de fonds internationaux eux-mêmes, principaux financiers des projets mis en œuvre par le CDR (cf. infra). Dans un contexte où les planifications du CDR ressemblent plus à des listes de projets au sein desquels les bailleurs peuvent piocher en fonction de leurs propres priorités, ceux-ci disposent en effet d’un rôle non négligeable dans

Un Schéma Directeur d’Aménagement du Territoire Libanais (SDATL) est publié par le CDR en 2002 et

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validé par le Conseil des Ministres en 2009. S’il constitue un document de référence, il n’a cependant jamais été réellement mis en application. Un autre plan, le five year’s development plan, réalisé en 2005, est lui aussi resté lettre morte. Selon un membre du département de la planification du CDR, les planifications nationales ne sont pas adoptées car « chacun se sent lésé par une planification à l’échelle du Liban », les députés des différents partis lui préférant un saupoudrage des équipements à part égale entre les régions du pays.

On avait déjà pu observer cette recherche de l’égalité territoriale lors du vote de la répartition des crédits

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alloués à l’équipement hydraulique en 1938.

Les plus grands projets font l’objet d’un marchandage politique au plus haut niveau, alors que les projets

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d’envergure régionale sont l’objet d’un suivi régulier des députés auprès du personnel du CDR (entretien CDR,