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Mes enquêtes de terrain au Liban se sont principalement déroulées de septembre 2008 à juin 2011, dans le cadre d’un accueil sur le site de Beyrouth de l’Institut Français du Proche- Orient durant les deux premières années, puis en parallèle d’une charge d’enseignement dans un collègue du Chouf.

Les interrogations sur l’État et le secteur de l’eau au Liban ne m’étaient pas étrangères au début de cette thèse, ses principaux axes problématiques ayant été forgés lors d’un travail de Master 2 soutenu en 2007, sous la direction de Marc Lavergne et Karine Bennafla. J’avais alors mené mes recherches dans le Sud du Liban, précisément dans le bassin versant du Hasbani-Wazzani, et j’avais pu commencer à travailler sur la guerre de juillet 2006, ses effets sur les réseaux d’eau et le processus de reconstruction qui l’avait suivi. J’avais également profité de ce premier séjour au Proche-Orient pour me familiariser avec la langue arabe, en faisant le choix de m’installer à Damas durant 8 mois en 2006-2007. Cet investissement m’avait semblé important au regard du déroulement de mon premier terrain. Si de nombreux libanais sont polyglottes, la langue arabe m’apparaissait indispensable pour pouvoir mener des travaux de terrain dans des régions périphériques, parfois rurales, et avec différentes catégories de population. Ce me fut en effet très utile lors de mes terrains de Tripoli et du Akkar notamment, même si le français et l’anglais restent la langue majoritaire de mes entretiens, notamment avec les acteurs étatiques libanais mais aussi avec les acteurs du développement international.

J’ai ensuite actualisé mes travaux au cours d’un séjour de terrain d’un mois à l’été 2012 et par un suivi de la presse. Une partie de mes recherches historiques s’est enfin déroulé en France, lors de mon arrivée à Nantes en 2013, date à laquelle j’ai commencé à travailler sur les archives du mandat français au Liban situées au sein du Centre des archives diplomatiques.

J’ai donc mobilisé une grande diversité de matériaux au cours de ces enquêtes de terrain. Malgré la faiblesse des données statistiques au Liban, j’ai pu avoir recours aux deux recensements des immeubles effectués par l’Administration Centrale des Statistiques en 1996, à l’échelle des circonscriptions foncières, et en 2004, à l’échelle des caza, pour évaluer l’accès des populations aux réseaux d’eau potable et d’assainissement. Ces informations ont été complétées par les données produites par le Ministère de l’Eau et de l’Energie lors de la

publication de sa Stratégie Nationale pour l’Eau en 2012, cette fois à l’échelle régionale, ainsi que par celles produites par les Établissements Régionaux du Liban-Nord et du Liban- Sud dans le cadre de la rédaction de leurs plans d’affaire ou Business Plan pour l’année 2011. Ces derniers chiffres constituent à ma connaissance les seules données disponibles à l’échelle des branches locales des établissements et n’ont jamais été publiées, seules les données régionales étant diffusées.

La reconstitution de l’histoire des services d’eau potable et d’assainissement est le résultat du croisement de plusieurs types de sources. Les sources législatives en constituent un élément essentiel. Le dépouillement du Journal Officiel pour la période mandataire m’a permis de repérer les multitples avances financières faites aux municipalités pour qu’elles puissent réaliser des réseaux d’eau potable. Le repérage des décrets de création des offices autonomes des eaux m’a permis d’en dresser la chronologie et d’en étudier les différents statuts, de manière à comprendre les modalités de gestion du service. Le logiciel Charaï, outil de recherche par mots-clés dans les différents textes officiels libanais dont disposait la médiathèque de l’Ifpo-Beyrouth, a sur ce point été un instrument précieux et indispensable. L’analyse systématique des évolutions législatives, mais aussi leur comparaison avec les projets de loi, a été un outil nécessaire de l’analyse des négociations entre les artisans des projets réformistes, les gouvernements et le parlement. L’examen des débats parlementaires, à l’occasion du vote de loi de réorganisation du secteur de l’eau, ont enfin été une source utile pour comprendre les points de tension que celle-ci avait pu soulever parmi les députés . Ces 29

sources ont bien sur leurs limites. Elles permettent d’observer l’évolution du cadre réglementaire mais pas les pratiques qui en sont faites, et laissent plus globalement en dehors de leur champ de vision tout ce qui ne relève pas de la loi, mais de pratiques peu régulées ou informelles.

Les archives ont été un second type de source important pour la période mandataire. Leur conservation au Centre d’Archives diplomatiques en fait une ressource indispensable pour l’étude de cette période et ces documents m’ont notamment permis d’analyser le déploiement d’un système concessionnaire dont la connaissance était jusque-là limitée à Beyrouth. Mes demandes auprès du Ministère pour accéder aux archives des périodes

Si le Journal Officiel est publié en français durant la période mandataire, ma connaissance de l’arabe m’a été

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postérieures à l’indépendance n’ont quant à elle pas abouti. Celles-ci auraient disparu durant la guerre ou auraient été privatisées par d’anciens fonctionnaires.

J’ai alors eu recours à la presse, à l’analyse de publications contemporaines des périodes étudiées, et à différentes sources secondaires. L’utilisation de la presse et plus précisément ici du Commerce du Levant, un hebdomadaire économique francophone, s’est avéré très riche en raison de la diversité des informations que l’on peut y trouver. Des articles d’investigation, des entretiens avec différents acteurs du secteur, la publication d’extraits de rapports officiels ou encore d’adjudications pour la réalisation de travaux publics, des publicités. Si je l’ai utilisée essentiellement pour la période de la guerre civile et le début de la reconstruction, un dépouillement plus systématique pour les périodes du mandat et de l’indépendance aurait sans doute permis de compléter les sources législatives mobilisées, en abordant les politiques publiques non plus seulement du point de vue de données réglementaires, mais plutôt de celui de leurs effets et de leur réception.

À partir des années 2000, entretiens et littérature grise constituent l’essentiel des sources mobilisées. Les acteurs de l’aide internationale sont producteurs de très nombreux rapports qui constituent à la fois des sources d’information sur la situation étudiée, et des documents précieux pour l’analyse du positionnement, de l’action, des représentations de leurs auteurs et commanditaires. Ce type de littérature est moins abondante du côté des acteurs institutionnels libanais. Les documents stratégiques produits par le Ministère de l’Eau ont cependant été un objet d’étude important, de même que les rapports d’activité annuels produits par le Conseil du Développement et de la Reconstruction. Une base de données statistiques a d’ailleurs été établie à partir de ceux-ci, de manière à tenter d’objectiver les réalisations de cette institution des années 1990 aux années 2010, de façon diachronique, par secteur et par région.

J’ai enfin mené plus de soixante-dix entretiens semi-directifs avec différents acteurs et témoins du secteur, à Beyrouth et sur mes différents terrains locaux. À Beyrouth, j’ai notamment cherché à rencontrer les acteurs participant à la formulation des politiques nationales, membres du Ministère de l’Eau et de l’Energie, experts locaux et internationaux, employés des organisations internationales, des bailleurs de fonds et des ONG qui interviennent massivement dans le secteur depuis la fin de la guerre civile. J’ai par ailleurs mené des entretiens avec des directeurs de établissements des eaux du Liban-Sud, du Liban- Nord et de la Bekaa, de manière à tenter d’effectuer des comparaisons à l’échelle régionale

concernant à la fois la situation du secteur et les actions que ces organisations peuvent mener. Les représentants des différentes organisations de développement opérant directement auprès de ces établissements ont également été des sources d’information privilégiées, à la fois comme témoins des dynamiques traversant le secteur et acteurs de la formulation et de la mise en œuvre de différents projets de développement en collaboration avec les établissements. Sur mes terrains locaux, présidents des municipalités, mokhtar, membres des comités locaux de gestion de l’eau, ont été mes principaux interlocuteurs, associés aux représentants d’ONG locales et internationales menant des projets à cette échelle. Ces entretiens m’ont permis à la fois d’identifier les situations particulières des services d’eau et d’assainissement sur chacun des espaces étudiés, mais aussi d’interroger le rôle des pouvoirs locaux dans la construction de ces services ainsi que les relations que ceux-ci pouvaient nouer avec les établissements régionaux, de manière à comprendre comment l’introduction de ce nouvel acteur pouvait remodeler les relations centre-périphérie (Grémion 1976). Des entretiens avec plusieurs députés du Akkar et de Tripoli sont venus compléter l’approche politique que les contacts avec les présidents de municipalités avaient initié. Ces entretiens ont tous été intégralement retranscrits.

Il faut enfin préciser que j’ai majoritairement mené mon travail de terrain portant sur le Akkar dans le cadre de la réalisation d’un film documentaire, en collaboration avec Joëlle Puig, docteure en géographie et investie depuis le début des années 2000 dans plusieurs projets de développement concernant la gestion des ressources en eau et le développement du secteur de l’assainissement au Liban, notamment comme porteuse de projet pour la coopération décentralisée française . Ce travail n’a pas été intégré à la thèse car il est sur le 30

fond redondant avec l’article publié sur le même terrain, également co-signé avec Joëlle Puig. Si le choix de filmer le travail d’enquête s’est avéré riche par sa capacité à rendre compte du travail de terrain de manière plus globale et plus sensible que l’écriture scientifique, il a également été une source de difficultés. Les acteurs municipaux, et plus généralement les acteurs locaux, se sont prêtés à l’exercice de l’entretien filmé sans difficultés et ont en même parfois jouer en mettant en scène leur fonction et leur rôle, redonnant alors au terme d’ « acteurs » son sens premier. L’usage de la caméra a en revanche été une source de blocage au niveau de l’établissement des eaux du Liban-Nord, son directeur ayant tout d’abord refusé

La réalisation de ce film a été financée dans le cadre du programme ANR « Tanmia - le développement :

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de réaliser une entretien filmé malgré l’accord de son Ministère de tutelle, avant de refuser de répondre à nos questions de manière plus générale, à l’exception d’un échange par mail. Le sujet du documentaire, portant en partie sur les relations conflictuelles de l’établissement avec plusieurs municipalités et comités locaux du Akkar, a sans doute été important dans l’instauration de ces mauvaises relations, mais la caméra a pu les cristalliser, car il ne s’agissait plus seulement d’évoquer ces conflits dans le cadre du colloque singulier dont l’entretien prend souvent les atours, mais de les fixer sur la «  pellicule  » et de les donner à voir à un public plus large que celui, relativement restreint, de la littérature scientifique.

La difficulté à rencontrer et interviewer certains acteurs, toutefois peu fréquente, a pu poser problème quand elle a concerné des acteurs clés comme le directeur de l’Établissement des Eaux du Liban-Nord (EELN), région où se situent plusieurs de mes terrains. J’ai choisi de la contourner en interrogeant quelques cadres et employés de l’Établissement ainsi que le représentant de la GIZ qui travaillait en son sein durant mes années de terrain. Dans un 31

contexte de forte centralisation des décisions au sein des établissements régionaux, cette absence reste toutefois une lacune pour la compréhension de la stratégie de l’établissement comme de ses relations avec les acteurs centraux et locaux. Ces difficultés ont également pu concerner la direction de l’Établissement des Eaux de Beyrouth - Mont-Liban, le management du Conseil du Développement et de la Reconstruction et du Conseil du Sud , mais aussi le 32 33

Direction Général de la Gestion des Ressources Hydrauliques du Ministère de l’Eau et de l’Energie. Comme pour l’EELN, j’ai tenté de contourner la difficulté en rencontrant des employés moins hauts placés, des acteurs du développement international travaillant avec ces institutions, ainsi que la littérature grise qu’elles peuvent produire.

Le caractère peu « défriché » de certains de mes terrains d’étude a pu constituer une seconde difficulté. L’agglomération beyrouthine forme en effet l’espace privilégié des investigations des sciences humaines et sociales au Liban et les régions sur lesquelles j’ai enquêté sont périphériques aussi dans la recherche académique. La mise en perspective de la situation des services d’eau et de leurs évolutions avec les caractéristiques politiques, sociales et économiques des espaces étudiés s’avérait donc difficile, tant il aurait fallu pouvoir mener des enquêtes plus globales que la seule approche par l’observation des réseaux d’eau potable

Il s'agit de l’agence de développement allemande.

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Si j’ai pu rencontrer la directrice de la division du financement et le chef du département des projets

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hydrauliques, mes entretiens avec ses interlocuteurs se sont finalement avérés très limités dans leur contenu. J’ai pu obtenir des réponses faxées à mes questions cependant.

et d’assainissement. Ma capacité à replacer les services d’eau dans les enjeux plus généraux qui traversent les espaces étudiés s’en est sans doute ressentie. J’ai cependant bien sûr mobilisé les travaux existants, même s’ils sont peu nombreux. Les recherches de Bruno Dewailly sur Tripoli (2003) et de Michel Gilsenan sur le Akkar (1984 ; 1996) m’ont ainsi été très utiles. La littérature grise a là-aussi pu constituer une ressource , ainsi que la presse 34

locale et des contacts avec des personnes ressources . 35

Je pense par exemple au rapport produit en 2005 par le Conseil du Développement et de la Reconstruction

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(Hachem 2005) ou encore à celui produit par l’association MADA sur cette même région (Mouchref 2008). J’ai ainsi échangé avec une journaliste locale, Carina Abou Naïm, sur mon terrain tripolitain, et avec un

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Partie 1