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RECONNAITRE LES TROIS EFFETS

Dans le document Appréhender le social (Page 139-149)

LA CONSTRUCTION DES FAITS PERTINENTS

PROFESSION MOYENNE MEDIANE ETENDUE ECART-TYPE

2. RECONNAITRE LES TROIS EFFETS

Les effets de période.

Pour « détecter » un effet de période, il faut forcément disposer de plusieurs enquêtes à des moments différents du temps. On s’aperçoit alors que les comportements évoluent dans l’ensemble de la société.

Prenons un exemple : le pourcentage de gens qui refusent des homosexuels comme

Figure 1 : effet de période

C’est un effet de période s’il caractérise toute la société ? Mais est-ce le cas ?

On reviendra sur cette question après avoir comment on mesure les effets de cycle de vie et les effets de génération128.

 Effets de cycle de vie et de génération.

Un effet de cycle de vie ou un effet de génération se manifestera d’abord par une différence entre les plus jeunes et les plus vieux.

Reprenons le même exemple : ceux qui refusent un homosexuel comme voisin.

128 On a pris ici le phénomène de l’homophobie comme un exemple parmi des milliers d’autres possibles. Mais on

sait que l’homophobie a beaucoup diminué au cours des trente dernières années et l’on sait aussi que le niveau d’homophobie est lié à l’âge des répondants. Le raisonnement (purement illustratif) qui est présenté ici est donc plausible. % de refus des homo- sexuels comme voisins Enquête 1 Enquête 2 Enquête 3

Figure 2

On voit très bien sur la figure 2 que le refus des homosexuels s’accroît en fonction de l’âge. Mais est-ce un effet de cycle de vie ou un effet de génération ? Les deux interprétations sont plausibles :

- effet de cycle de vie : en vieillissant, on devient moins tolérant, plus conservateur. On est donc plus réticent à avoir un homosexuel comme voisin.

- effet de génération : les plus âgés ont été élevés dans une société plus rigide, où l’homosexualité n’était pas du tout admise. Les plus jeunes ont été élevés dans une société plus permissive. En vieillissant, ils garderont ces valeurs spécifiques (ou ils les garderont en partie).

Comment va-t-on différencier les deux effets ? Si l’on ne dispose que d’une seule

enquête, c’est très difficile : les deux explications sont plausibles. Et le plus

vraisemblable, est qu’il y a un peu des deux : les jeunes deviennent moins tolérants en vieillissant, mais ils seront quand même plus tolérants, devenus vieux, que les vieux d’aujourd’hui. 18 -29 30-45 46-60 61 + âge % refus homo- sexuels

Si on dispose de plusieurs enquêtes suffisamment étalées dans le temps, alors les choses deviennent plus faciles : on peut en effet voir si les gens d’une génération sont plus ou moins tolérants que ne l’étaient leurs aînés au même âge.

On peut voir des exemples dans les graphiques qui suivent.

Figure 2 : pur effet de génération.

La figure 2 montre un pur effet de génération : on mène trois enquêtes successivement, en 1970, en 1985 et en 2000. Les courbes horizontales représentent les opinions des gens nés respectivement dans les décennies quarante, cinquante, soixante. On voit que les gens nés dans la décennie quarante sont globalement plus hostiles aux homosexuels que les gens nés dans la décennie cinquante et eux-mêmes sont plus hostiles que les gens nés dans la décennie 60. Mais ces personnes ne changent pas d’opinion au cours des trente années qui séparent la première enquête de la troisième : ils ne changent pas en vieillissant129. Donc, dans cette hypothèse, il n’y a aucun effet de

cycle de vie.

129 Ce qui se vérifie, pour ceux qui auraient un peu oublié la logique des graphiques cartésiens, par le fait que

l’ordonnée (qui mesure ici le « niveau d’homophobie ») est identique pour les trois enquêtes (alors que les gens,

eux, ont vieilli, bien sûr…)

Nés en 40-49 Nés en 50-59 Nés en 60-69 1970 1985 2000 % refus homo- sexuels

Mais quel va être le résultat global si on additionne les trois générations ? Eh bien il ressemblera à celle de la figure 1 : il y a une diminution globale au cours du temps de l’homosexualité aux homosexuels. Pourquoi ? Eh bien réfléchissons un peu :

- en 1970, les gens nés entre 60 et 69 ne sont pas du tout représentés dans l’enquête : ils ont entre 1 et 10 ans ! Donc, la moyenne se trouve entre les gens de la décennie quarante et ceux de la décennie cinquante130.

- en 1985, il y a des gens des trois décennies. On peut supposer que la moyenne se trouve quelque proche du milieu des trois, soit sur la ligne de la décennie cinquante.

- En 2000, il y a des gens des trois décennies, mais ceux de la décennie quarante, qui ont entre 51 et 60 ans sont moins nombreux, ils ont tout doucement commencé à disparaître. La moyenne se trouve donc un peu plus bas.

- Si l’on refaisait une enquête en 2015, les gens de la décennie quarante auraient entre 66 et 80 ans, ils seraient encore moins nombreux, mais on verrait apparaître les gens de la décennie 80 qui seraient encore moins hostiles à l’homosexualité. - Et donc le résultat global ressemble à la courbe épaisse qui relie les petits carrés

gris (supposés représentés la moyenne de chaque enquête) : globalement, l’hostilité à l’homosexualité a diminué au sein de la société. On est bien devant un pur effet de génération : la moyenne change par remplacement

générationnel. Personne ne change d’avis au fil du temps, mais petit à petit les

gens les moins tolérants (nés il y a longtemps) sont remplacés par des gens plus tolérants (nés plus récemment). Donc : les individus ne changent pas, mais la société dans son ensemble évolue.

130 Je simplifie beaucoup, en supposant qu’il n’y a que trois décennies. Mais le raisonnement s’applique de la

Figure 3 : pur effet de cycle de vie.

Pour faciliter la compréhension, j’ai changé un peu les dates d’enquête : il y a une enquête tous les dix ans, et chaque tranche d’âge est une tranche de dix ans.

Pourquoi la figure 3 représente-t-elle un pur effet de cycle de vie ? Comme on peut le voir sur la ligne horizontale en pointillé, chaque « génération » a le même pourcentage de refus des homosexuels que la précédente génération avait dix ans auparavant131 : autrement dit, les gens deviennent moins tolérants avec l’âge et on suppose que cela se reproduit à l’identique pour toutes les générations : chaque génération a, au moment

d’une enquête donnée, la même tolérance (ou intolérance) que la génération avait au même âge lors de l’enquête précédente. En clair : les gens nés entre 40 et 49, qui

ont entre 21 et 30 ans lors de l’enquête de 1970, ont la même attitude à l’égard des homosexuels que les gens nés entre 50 et 59 ont lors de l’enquête de 1980, quand eux- mêmes ont entre 21 et 30 ans.

131 J’ai tracé les lignes en pointillé pour vérifier que le niveau atteint par une « génération » est le niveau atteint

dix ans plus tôt par la « génération » dix ans plus vieille.

Nés en 40-49 Nés en 50-59 Nés en 60-69 1970 1980 1990 % refus homo- sexuels Moyenne (fictive)

Entre 21 et 30 ans, les générations successives ont la même attitude. Mais pour chaque génération132, cette attitude change avec l’âge.

On est donc dans la situation exactement inverse de l’effet de génération : les gens

changent individuellement mais la société globale ne change pas, parce que chaque

génération passe par les mêmes étapes au fil de sa vie.

 Interaction des différents effets.

Dans la réalité, la plupart des phénomènes sont influencés à la fois par la période (influence au sein de la société globale), par les effets de génération ( influence de la période pendant laquelle on a été socialisé) et par le moment où l’on est dans le cycle de vie (effet de cycle de vie).

C’est certainement le cas de l’homophobie :

- on est à peu près sûr que l’hostilité à l’homosexualité a diminué dans l’ensemble de la population, toutes tranches d’âge confondues, mais pas de la même façon pour tout le monde (effet de période).

- les jeunes générations, celles qui ont été socialisées dans une société plus tolérante, avaient au départ une plus grande tolérance (effet de génération). - enfin, même ceux-là vont sans doute devenir un peu moins tolérants en

vieillissant, parce qu’on devient naturellement plus réticent à la différence en vieillissant (effet de cycle de vie).

Les chiffres qu’observe le sociologue sot donc presque toujours issus de la combinaison des différents facteurs. Mais on n’ira pas plus loin ici, au risque de devenir trop compliqué.

3.QUE CONCLURE ?

Il faut bien voir ici que les concepts de « génération », « cycle de vie », « période » sont utilisés pour interpréter des données chiffrées. L’observateur dispose donc au départ :

- soit de différences, au sein d’une enquête, entre les plus jeunes et les plus vieux. - soit de différences entre les résultats globaux sur plusieurs enquêtes.

- Soit des deux informations à la fois.

132 Les démographes utilisent souvent le terme « cohorte » mais j’ai préféré ici parler de génération pour garder le

Ici, en somme, le chercheur dispose d’abord des indicateurs. Il va élaborer le concept pour rendre compte de l’allure de ces indicateurs. On est donc dans la logique « symétrique » que celle expliquée au début du chapitre.

b) Les dimensions des valeurs politiques.

On trouvera dans l’article présenté en annexe un autre exemple d’observations qu’il s’agit d’interpréter en suggérant un « concept ».

Il s’agit d’un article publié en 1995 dans Wallonie, la revue du Conseil Economique de la Région Wallonne, qui reprend certains résultats d’une enquête sur la perception du vieillissement et de ses effets.

Dans le cas présent, il s’agit de voir comment des conceptualisations élaborées dans le champ de la sociologie politique (opposition gauche/droite et matérialistes/ postmatérialistes) permettent de proposer une « lecture » de données qui n’étaient pas récoltées dans cet objectif-là au départ.

BIBLIOGRAPHIE

NB : En gras précédé d’une astérisque, les textes dont je me suis le plus inspiré. ALCOCK, Pete (1993) : Understanding Poverty, London, Macmillan.

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