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III Bases moléculaires de la symbiose

3.1 Reconnaissance spécifique des partenaires

Comme indiqué en I.1.1.2c, l’interaction symbiotique entre la bactérie et son hôte est spécifique. Les composants essentiels de cette spécificité d’hôte sont les facteurs Nod. Ces molécules signal sont émises par les bactéries ayant spécifiquement reconnu les flavonoïdes excrétés par les plantes (Figure 44A).

3.1.1 Les flavonoïdes

Les flavonoïdes sont des composés principalement excrétés au niveau des pointes racinaires. Ils constituent les premiers signaux échangés entre la plante et la bactérie. Chaque plante produit une mixture de flavonoïdes qui peut varier selon son état physiologique. Ce sont des dérivés du 2-phényl-1,4-benzopyrone avec une structure définie par deux anneaux aromatiques et un cycle propane ou pyrane (Figure 44B). Selon les modifications de cette

structure, plus de 4000 flavonoïdes différents ont été identifiés chez les plantes, parmi lesquels les isoflavonoïdes sont spécifiques des Légumineuses (Brencic et Winans, 2005). Certains de ces flavonoïdes ont la capacité d’induire les gènes nod des bactéries requis pour la nodulation. Ces capacités varient selon les flavonoïdes et selon les rhizobia. Certains flavonoïdes peuvent même inhiber l’expression des gènes nod. Ainsi, les isoflavonoïdes produits par Glycine max (daidzéine et génistéine) induisent les gènes nod de son symbionte B. japonicum, mais inhibent ceux de S. meliloti, spécifiquement induits par la lutéoline (Peters et al., 1986).

Les flavonoïdes interagissent avec les rhizobia par l’intermédiaire des protéines bactériennes NodD, membres de la famille des régulateurs transcriptionnels de type LysR. Cette interaction change la conformation de la protéine NodD, qui peut ainsi se lier aux promoteurs des gènes nod et activer leur transcription (Figure 44A). Les gènes nod codent pour environ 25 protéines impliquées dans la synthèse et l’export des Facteurs Nod (Gage, 2004 ; Perret et al., 2000 ; Brencic et Winans, 2005). La liaison directe des flavonoïdes aux protéines NodD n’a pas été démontrée. Il existe cependant de nombreuses indications allant dans le sens d’une implication de la protéine NodD dans la perception des flavonoïdes, comme leur capacité à stimuler la liaison entre la protéine NodD et les promoteurs des gènes nod (Peck et al., 2006). Les gènes nodD sont ubiquitaires chez les rhizobia, mais leurs caractéristiques symbiotiques varient d’une espèce à l’autre. Certaines espèces comme R. leguminosarum ne possèdent qu’une protéine alors que S. meliloti en possède trois. Chez cette espèce, une seule protéine, NodD1, est activée par la lutéoline. Cependant chacune de ses protéines NodD peut donner à S. meliloti la capacité de noduler M. sativa (Jones et al., 2007).

Récemment, des études utilisant la technique du RNAi pour inhiber l’expression des gènes de synthèse des flavonoïdes chez M. truncatula (Wasson et al., 2006) et L. japonicus (Subramanian et al., 2006) ont confirmé le rôle crucial des flavonoïdes lors de la reconnaissance, mais aussi lors de l’initiation des divisions cellulaires via l’inhibition du transport d’auxine lors de la formation des nodules indéterminés (Subramanian et al., 2007).

3.1.2 Les facteurs Nod

a. Découverte des Facteurs Nod

En 1890, Beyerinck (1890) a mis en évidence que les bactéries pouvaient induire la formation de nodules sur les racines des Légumineuses en préparant des cultures pures à partir

NodFE NodB NodA

NodC

Figure 45. Structure et synthèse des facteurs Nod majoritaires produits par S. meliloti

Les enzymes responsables de la synthèse des facteurs Nod sont indiquées autour de la structure. NodC, une N-acetylglucosamyl-transferase, permet l’allongement de la chaîne oligosaccharidique ; NodB, une N- déacétylase et NodA, une N-acyl-transferase, permettent l’ajout de la chaîne d’acides gras. Il s’agit d’une chaîne de 16 carbones, avec deux insaturations dues aux protéines NodE, une ȕ-cétoacyl synthase et NodF, une protéine « acyl carrier ». Enfin, les décorations sont dirigées à l’extrémité réductrice, par NodH, une sulfo-transférase et à l’extrémité non réductrice, par NodL, une O-acétyl transférase.

de nodules de Vicia faba puis en les utilisant pour infecter des fèves en sol stérile. La même année, Prazmowski (1890) inoculait des pois avec des cultures axéniques et observait que les micro-organismes entraient dans les plantes via des cordons d’infection dans les poils absorbants. Dix ans plus tard, Hiltner (1900) préparait des solutions aqueuses sans bactéries à partir des nodules de pois et démontrait qu’elles contenaient une substance induisant la formation de poils absorbants et la déformation de ces poils. Presque un siècle plus tard, en 1990, Lerouge et al (1990) montraient que la substance à l’origine de la déformation des poils absorbants chez R. meliloti était constituée d’oligomères N-acétylés de N-acétyl-D- glucosamine, nommés facteurs Nod. Ils suggéraient alors que des variations de structure de ces facteurs seraient des déterminants de la spécificité d’hôte. A leur tour, Spaink et al. (1991), démontraient que la principale différence entre les facteurs Nod de R. leguminosarum bv viciae et ceux de R. meliloti consistait dans le degré d’insaturation de la chaine d’acyl et de la présence ou non d’un groupe sulfaté sur la glucosamine réduite terminale (Broughton et Perret, 1999).

b. Synthèse des facteurs Nod

Tous les facteurs Nod issus des rhizobia ont la même structure chimique basique, consistant en un squelette oligomérique de trois à cinq résidus de N-acetyl-D-glucosamine (GlcNAc) liés en ȕ-1,4 et au niveau de l’extrémité non réductrice du squelette la présence d’une chaîne d’acide gras (de 16 à 18 atomes de carbone) généralement saturée et plus rarement insaturée, comme dans le cas des facteurs Nod de S. meliloti. Les facteurs Nod diffèrent selon les espèces par les groupements (dits décorations ou substitutions) accrochés à leur chaîne oligosaccharidique, la longueur de la chaîne et le degré de saturation de la chaîne d’acides gras (Figure 45) (Perret et al., 2000).

La synthèse du squelette d’oligomères de chitine des facteurs Nod requiert l’activité de trois enzymes codées par les gènes nodABC, présents chez tous les rhizobia caractérisés jusqu’ici exceptées deux souches de Bradyrhizobium (Giraud et al., 2007). Le gène nodC codant pour une N-acetylglucosamyl-transferase permet l’élongation de la chaîne, puis le gène nodB codant pour une N-déacétylase entraine la suppression du résidu N-acétyl de l’extrémité de la chaîne ce qui permet au produit du gène nodA, une N-acyl-transferase d’y ajouter une chaîne d’acides gras. Ces gènes sont nécessaires à la synthèse des facteurs Nod, l’inactivation de l’un d’entre eux entraîne une incapacité à noduler toute plante (Perret et al., 2000).

Figure 46. Principales réponses observées dans les racines en réponse aux facteurs Nod.

Suite à l’application de facteurs Nod purifiés sont observés dans l’épiderme : en quelque secondes, au niveau de l’extrémité du poil absorbant, une dépolarisation de la membrane (1), puis des oscillations calciques périnucléaires dans le poil absorbant (2) et en quelques heures, la déformation des poils absorbants (3) et l’activation de gènes de nodulines. Dans les tissus internes, sont observées : l’activation des cellules du péricycle (4) et du cortex (5), puis la division de ces cellules et l’activation de gènes de nodulines. Etoile, divisions des cellules du péricycle ; astérisque, divisions des cellules du cortex ; ep, épiderme ; ce, cortex externe ; ci, cortex interne ; e, endoderme ; p, péricycle.

D’après Downie and Walker, 1999 ; Catoira et al., 2000 et Timmers et al., 1999.

Activation de gènes de nodulines précoces

Minutes Heures Heures Heures 1 2 3 4 5 5 ep ce ci e p Cl- K+

Les autres gènes nod, généralement spécifiques à chaque genre de rhizobia, codent pour des protéines modifiant les facteurs Nod et contrôlant ainsi la spécificité d’hôte et l’efficacité de la symbiose. Les modifications consistent en des glycosylations, des sulfatations, des acétylations, des méthylations, des carbamoylations et/ou en l’introduction de différences dans la chaîne d’acides gras. Des mutations au niveau des gènes codant pour ces décorations altèrent la nodulation chez l’espèce hôte classique. La plupart des espèces de Rhizobia produisent ainsi plusieurs types de facteurs Nod (Perret et al., 2000).

La spécificité d’hôte serait donc principalement liée aux décorations des facteurs Nod, mais aussi à leur concentration et à leur combinaison dans différents cocktails selon les rhizobia. Enfin, bien que la production et la reconnaissance des facteurs Nod soient des déterminants majeurs de la spécificité d’hôte, certains composés semblent aussi intervenir à différents niveaux, notamment les lectines de plante et les exopolysaccharides de surface de la bactérie (Hirsch, 1999 ; Perret et al., 2000).

3.1.3 Les réponses induites chez la plante par les facteurs Nod

Comme signalé dans la partie précédente (II), les facteurs Nod sont à l’origine de nombreux changements développementaux observés lors des premières étapes du développement nodulaire chez la plante hôte. Ils ont un pouvoir actif élevé, puisque des concentrations relativement faibles (10-9 M à 10-12 M) suffisent pour induire des réponses à deux niveaux : dans l’épiderme et dans les tissus plus internes du cortex et du péricycle (Figure 46).

a. Réponses de l’épiderme aux facteurs Nod

Quelques secondes après l’application de facteurs Nod chez M. sativa, Felle et al., (1998, 1999a, b) ont mis en évidence un influx calcique biphasique dans les cellules des poils absorbants suivi d’un efflux d’ions chlorures menant à une dépolarisation rapide de la membrane et une alcalinisation du milieu intracellulaire. Cette dépolarisation est ensuite stoppée par un efflux d’ions potassium et une repolarisation de la membrane grâce à l’activité de pompes à protons (Figure 46(1)).

Dix à quinze minutes après l’ajout de facteurs Nod, des oscillations calciques périodiques apparaissent autour des noyaux des poils absorbants (voir II.2.1.2.f) (Ehrhardt et al., 1996 ; Shaw et Long, 2003b ; Miwa et al., 2006b). Ces oscillations présentent une phase

MtENOD40 Sauviac et al., 2005

Epiderme MtRIP1 Cook et al., 1995

Cortex externe

MtANN1 De Carvalho-Niebel et al.,

2002

MtENOD40 Crespi et al., 1994 ; Fang and Hirsch, 1998

MtENOD20 Vernoud et al., 1999

Cortex interne MtLEC1, 3 Bauchrowitz et al., 1996

MtENOD40 Crespi et al., 1994 ; Fang

and Hirsch, 1998

Péricycle et endoderme

MtANN1 De Carvalho-Niebel et al.,

2002 MtANN1 50μm 100μm 100μm MtENOD20 MtANN1 50μm

croissante rapide et une phase décroissante plus lente traduisant d’une part l’intervention d’un canal calcique activable au niveau d’un stock interne de calcium (constitué par l’enveloppe nucléaire) et d’autre part la réacquisition du calcium dans son centre de stockage par des pompes actives (Figure 46 (2)). Ces oscillations calciques pourraient transmettre le signal facteurs Nod et ainsi permettre les réponses symbiotiques de la plante (Oldroyd et Downie, 2004, 2006). Les deux réponses calciques mises en évidence sont induites par des concentrations différentes en facteurs Nod. Ceci implique la présence de récepteurs capables de sentir des variations de concentration en facteurs Nod. Cette capacité pourrait être obtenue grâce à un partenaire comme LYK3, qui permettrait de répondre à de plus fortes concentrations en permettant l’infection (Miwa et al., 2006a) (voir III.3.2.2). Selon Shaw et Long (2003b), les différentes concentrations de facteurs Nod associées aux deux réponses calciques pourraient permettre à la plante de sentir la proximité des rhizobia. Une faible concentration associée à des oscillations calciques serait un signal qu’il y a des symbiontes potentiels proches et rendrait leur rapprochement possible, une plus forte concentration indiquerait qu’il s’agit du bon partenaire et rendrait l’infection possible.

Quelques heures après traitement, des changements morphologiques au niveau des poils absorbants sont observés en réponse aux facteurs Nod qui perturbent l’organisation du cytosquelette des cellules (voir II.2.1.2.d-e). Plusieurs stades de déformations sont observés et utilisés pour disséquer la réponse aux facteurs Nod (Heidstra et al., 1994 ; Catoira et al., 2000). Il s’agit des phénotypes Had (« root hair deformation », déformation des poils), Has (« root hair swelling », gonflement des poils) et Hab (« root hair branching », branchement des poils). Le phénotype classique observé en réponse aux rhizobia (courbure du poil en crosse de berger) est dénommé Hac (« root hair curling », courbement des poils) (Figure 46 (3)).

Enfin, l’addition de facteurs Nod purifiés déclenche en quelques heures l’expression dans l’épiderme de gènes spécifiques de la symbiose codant pour des nodulines (van Kammen, 1984) (Figure 46 (4)). Deux types de nodulines ont été caractérisées, les nodulines précoces (ENOD, « Early Nodulins), induites dès les premiers jours de l’infection et de la mise en place du primordium et les nodulines tardives induites lors de la maturation des nodules. Le rôle de ces nodulines n’est pas toujours connu, mais leur expression est associée avec la symbiose. Ainsi, certains gènes codant pour ces nodulines précoces (Tableau III), comme ENOD11 ou ENOD12, codant pour des protéines riches en proline, sont utilisés comme marqueurs de la réponse de l’épiderme.

Figure 47. Modèle de reconnaissance des facteurs Nod à deux récepteurs

Les facteurs Nod seraient reconnus par au moins deux récepteurs. Un récepteur de signalisation, peu stringent, capable de reconnaître des facteurs Nod modifiés et impliqué dans la mise en place des premières réponses de la plante (déformation des poils, initiation des divisions cellulaires du cortex). Un récepteur d’entrée, plus stringent, incapable de reconnaître des facteurs Nod modifiés (ne possédant pas les décorations caractéristiques du symbionte) et impliqué dans la mise en place et le développement des cordons d’infection. NF, Facteurs Nod ; S, groupement sulfate à l’extrémité réductrice des NF ; Ac, Acétylation à l’extrémité non réductrice.

D’après Ardourel et al., 1994. S. meliloti Mutant nodF/nodL S. meliloti Souche sauvage NF NF Infection Déformation des poils absorbants Activation des cellules corticales Récepteur de signalisation

b. Réponses des cellules du cortex et du péricycle aux facteurs Nod Comme indiqué dans la partie précédente (II), les facteurs Nod sont capables de provoquer la ré-entrée dans le cycle cellulaire des cellules du péricycle puis du cortex (voir II.2.2.1.a) (Yang et al., 1994), puis la division de ces cellules (voir II.2.2.1.b) (Timmers et al., 1999). Chez certaines espèces, comme la vesce et le pois, les facteurs Nod induisent la formation de PITs dans les cellules du cortex externe (van Brussel et al., 1992), mais pas chez M. truncatula (Timmers et al., 1999). Selon les espèces, les divisions cellulaires induites par les facteurs Nod purifiés, conduisent à la formation d’un primordium (P. sativum et V. sativa) voire d’un nodule vide (M. sativa et G. max) (Truchet et al., 1991 ; van Brussel et al., 1992 ; Stokkermans et Peters, 1994).

Des nodulines sont aussi induites dans les cellules du cortex et du péricycle (Tableau III). Ainsi, les transcrits d’ENOD40, sont détectés dans les cellules du péricycle en face des pôles de protoxylème quelques heures après l’ajout de facteurs Nod, puis dans les cellules en division du cortex (Crespi et al., 1994). Ce gène constitue donc un marqueur de l’organogénèse nodulaire, il s’agirait d’un ribo-régulateur intervenant lors de la dé- différentiation et de la division des cellules corticales (Charon et al., 1997 ; Campalans et al., 2004). Enfin, des analyses transcriptomiques menées sur des racines de M. truncatula traitées aux facteurs Nod ont mis en évidence de nombreux autres gènes de nodulines induits par les facteurs Nod (Mitra et al., 2004a). Leur profil d’expression tissulaire reste cependant à établir pour la plupart d’entre eux, à l’exception du gène MtANN1 codant pour une annexine (De Carvalho-Niebel et al., 2002).

3.2 Perception et transduction du signal : caractérisation génétique des étapes