• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : Introduction

1. Biogénèse des microARNs

1.6 Reconnaissance de la cible

Après la formation du miRISC, le complexe va reconnaître certains ARNm spécifiquement pour réguler leurs traductions. Les différents composants du miRISC ont chacun une fonction essentielle pour cette régulation. Le microARN va permettre d'identifier les ARNm à cibler par complémentarité Structure de la protéine GW182. La partie N-terminale (jaune) contient plusieurs répétitions GW et est le site d'interaction avec les protéines Argonautes (Behm-Ansmant et al., 2006; Lazzaretti et al., 2009; Pfaff et al., 2013; Takimoto et al., 2009; Yao et al., 2011). La région C-terminale également appelée Silencing domain, contient les domaines responsables de l'interaction et du recrutement des protéines de déadénylation, de dégradation de la coiffe. (Eulalio et al., 2008a; Lazzaretti et al., 2009; Zipprich et al., 2009). Figure modifiée de : (Fabian and Sonenberg, 2012)

de séquences, alors que les protéines Argonautes et GW182 vont servir de plate-forme de recrutement pour divers facteurs responsables de la régulation de la production protéique.

Avant de pouvoir reconnaitre les ARNm à cibler, le miRISC doit être recruté aux ARNm. Cette étape a longtemps fait l'objet de nombreuses spéculations au fil des ans, mais une étude menée par mon collègue Guillaume Jannot, a révélé que les protéines Argonautes ALG-1 et Ago2 interagissent avec un composant du ribosome; RACK-1. Cette interaction pourrait permettre le recrutement du miRISC. Alors que la perte de RACK-1 affecte l'association entre le miRISC et les polysomes. En absence de RACK-1, l'activité des microARNs est fortement réduite (Jannot et al., 2011).

Chez les animaux, les sites de liaison aux microARNs se retrouvent principalement dans la région 3' non codante des ARNm. La complémentarité de séquences entre les microARNs et leurs cibles est imparfaite, une partie seulement du microARN interagit avec la cible. La région la plus importante se retrouve en 5' du microARN, plus précisément entre les positions 2 à 7. Cette séquence est appelée le ''seed'' (Lewis et al., 2003). Les nucléotides 2 à 8 d'un même microARN sont conservées au cours de l'évolution (Lim et al., 2003), mais le reste de la séquence du microARN n'est pas conservée (Lewis et al., 2005). L'introduction d'un mésappariement entre le miR et sa cible dans l'un de ces nucléotides réduit grandement le potentiel régulateur du microARN (Brennecke et al., 2005; Lewis et al., 2003). Les microARNs qui possèdent la même séquence ''seed'' sont regroupés en familles et ils ont le potentiel de réguler les mêmes ARNm (Bartel, 2009). La prise en charge du microARN par les protéines Argonautes induit un changement de confirmation dans la protéine et permet de pré- arranger les nucléotides 2 à 8 en une forme d'hélice alpha. Cela favorise les interactions Watson- Crick avec l'ARNm. Ce réarrangement explique l'importance de cette région pour la reconnaissance de la cible. Lorsque la région 3' du microARN s'apparie également avec l'ARNm, l'extrémité 3' du microARN est relâchée par le domaine PAZ et le reste de la séquence du microARN peut ensuite compléter l'hélice alpha avec l'ARNm (Bartel, 2004, 2009; Ma et al., 2005) (Figure 9).

Figure 10 : Interaction entre le miRISC et un ARNm cible

Malgré le fait que l'appariement du ''seed'' soit suffisant pour réguler un ARNm, ce n'est pas la seule séquence importante pour la régulation par les microARNs. L'interaction entre la région 3' du microARN et sa cible n'est pas nécessaire, mais peut moduler la stabilité de l'interaction (Brennecke et al., 2005; Doench and Sharp, 2004). La force d'interaction dans la région 3' du microARN permet de modifier la régulation d'une cible par deux microARNs d'une même famille. Le microARN possédant une plus forte complémentarité en 3' aura un effet plus prononcé sur l'expression protéique (Brennecke et al., 2005). Une autre signature de l'interaction entre le microARN et sa cible est la présence d'une adénine adjacente au ''seed'' en position 1, ce qui est logique compte tenu du fait que les protéines Argonautes ont une préférence pour les courts ARN avec un U en 5' (Grimson et al., 2007).

Dans le même ordre d'idée, une forte interaction en 3' peut compenser un appariement imparfait du ''seed'''. Par exemple, le site de reconnaissance du microARN let-7 sur sa cible lin-41 présente un

A : La prise en charge du microARN (rouge), par les protéines Argonautes, (gris) induit un

changement de confirmation dans la protéine et permet de pré-arranger les nucléotides 2 à 8 en une forme d'hélice alpha

B : Cette conformation favorise l’interaction avec l'ARNm (bleu)

C-D-E : Lorsque la région 3' du microARN s'apparie également avec l'ARNm, l'extrémité 3' du

microARN est relâchée par le domaine PAZ et le reste de la séquence du miR peut ensuite compléter l'hélice A avec l'ARNm(Bartel, 2009). Figure modifiée de : (Bartel, 2009)

mésappariement dans le ''seed'', mais est compensé par l'interaction des nucléotides 12 à 17 du microARN (Bartel, 2009; Vella et al., 2004). Il existe également d'autres sites fonctionnels qui ne respectent pas les règles établies par la communauté scientifique. Chez l'humain, certains microARNs sont parfaitement complémentaires avec leurs cibles au niveau de la région centrale, ce qui rend possible le clivage de l'ARNm ciblé par Ago2. Par exemple, dans les cellules HeLa, le microARN miR-196a clive son gène cible HOXB8 (Shin et al., 2010). Une autre catégorie de sites de reconnaissance est celle des sites dit ''seed less'', comme miR-24 qui reconnaît des séquences complémentaires principalement en 3' du microARN pour réguler E2F2 et c-Myc, pour inhiber la prolifération cellulaire (Lal et al., 2009). Malgré l'absence d'appariement avec le ''seed'', l'interaction des autres séquences du microARN avec leurs cibles permet de réguler leurs expressions. La perte du ''seed'' est alors compensée par une plus grande complémentarité dans les autres régions du microARN (Fasanaro et al., 2012; Lal et al., 2009). Bien que fonctionnel, ces sites de reconnaissance ne sont pas très abondants. La prédiction d'une cible de microARN est donc plus compliquée que de seulement analyser la séquence du seed.

Plusieurs autres facteurs que les microARNs peuvent influencer la régulation de la production protéique. L'environnement de la région 3' non codante, la présence de plusieurs sites de microARNs, la compétition ou la collaboration avec des protéines liant les ARNm peuvent influencer la reconnaissance d'une cible.

L'analyse des séquences adjacentes aux sites de liaison des microARNs a révélé un enrichissement pour les nucléotides A et U. Cet enrichissement pourrait influencer la structure secondaire de l'ARNm et rendre le site de reconnaissance plus accessible pour le miRISC (Grimson et al., 2007).

L'hétérogénéité des régions 3' non codantes, entre deux types cellulaires, peut affecter la régulation par les microARNs (Majoros and Ohler, 2007). Une étude récente par le groupe du Dr. Bartel a permis de démontrer que la plupart des associations microARNs-cibles sont inchangées entre différentes lignées cellulaires (Nam et al., 2014). Par contre, la régulation de certaines cibles varie énormément selon le type cellulaire. Ces différences peuvent s'expliquer par l'expression d'ARNm avec différents isoformes de la région 3' non codante. Ces isoformes peuvent affecter le nombre de sites de reconnaissance pour les microARNs et la distance entre un de ces sites et la queue poly-A (Nam et al., 2014). Cette distance joue un rôle majeur dans l'efficacité de la régulation. Une plus grande distance avec la queue poly-A diminue l'activité des microARNs (Nam et al., 2014). De façon générale, les sites situés près des extrémités des régions 3' non codantes (UTR) démontrent une plus grande efficacité (Grimson et al., 2007; Majoros and Ohler, 2007).

La présence de plusieurs sites pour la reconnaissance des microARNs dans un même 3' UTR influence la régulation (Doench and Sharp, 2004). De plus, il a été démontré que la proximité de

A-B-C : La majorité des sites de reconnaissance de microARNs repose sur l'interaction des nucléotides 2- 8 du microARN. Un A est souvent retrouvé en position 1 du miR (Lewis et al., 2003).

D-E : Les sites marginaux correspondent aux sites où seulement 6 nucléotides entre les positions 2-8 interagissent avec la cible (Bartel, 2009).

F-G : Les sites de reconnaissance atypiques sont caractérises par une forte interaction dans la région 3' du microARN. L'interaction du seed n'est pas requise pour ces sites ((Fasanaro et al., 2012; Lal et al., 2009). Figure modifiée de (Bartel, 2009)

différents sites de microARNs entraîne une collaboration entre ces sites, pour augmenter la répression traductionnelle (Wu et al., 2010a). La distance optimale entre deux sites pour favoriser la collaboration est de 8 à 40 nucléotides. Il peut s'agir de sites pour un même microARN comme pour la cible de let-7; lin-41 chez C. elegans ou encore pour différents microARNs qui collaborent pour réguler une cible commune comme les microARNs miR-93 et miR-572 qui régulent p21 dans les cellules de mélanomes SK-Mel-147 (Grimson et al., 2007; Lai et al., 2012; Saetrom et al., 2007; Schmitz et al., 2014).