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Recomposition du cycle de vie et succession des générations : un bouleversement profond

Dans le document Jeunesse, le devoir d avenir (Page 38-41)

Les jeunes, « plaque sensible » du changement

1. La transformation des âges, des temps et des parcours : une autre lecture de la jeunesse

1.2. Recomposition du cycle de vie et succession des générations : un bouleversement profond

1.2.1. La remise en question du modèle ternaire des temps de la vie Ce à quoi nous assistons est bien un véritable bouleversement de l’ensemble du cycle de vie : à un modèle qui organisait trois temps de la vie sociale (formation, activité, retraite) succède un modèle tout différent 1. Les jeunes ne sont pas les seuls à connaître un changement global de la signification des âges.

Nous connaissons en fait une recomposition générale des cycles de vie, marquée notamment par l’allongement général de la durée de vie et le resserrement du temps d’activité sur une période de la vie (entrée tardive dans le monde du travail, départ précoce en retraite). La dynamique de la succession des générations en est profondément bouleversée. La gestion individuelle du temps se redessine non seulement au moment de la « jeunesse » mais tout au long de la vie. C’est à partir de cette mutation globale qu’il faut se poser à nouveau la question de l’âge.

L’allongement de la jeunesse ne peut pas être interprété seulement comme un

« retard » du passage à l’âge adulte, la jeunesse ne peut plus être regardée comme un « état de transition durable ». La transformation plus large des âges de la vie fragilise l’organisation ternaire du cycle de vie - contemporaine de l’industrialisation -, qui résulte de la production croissante de normes d’âge par les institutions publiques, dans un contexte de développement de la protection sociale et de l’éducation.

L’incertitude qui affecte le moment de la jeunesse est le résultat d’une recomposition générale des temps de la vie. Celle-ci est provoquée en particulier par l’allongement de la durée de vie qui ne modifie pas seulement la dernière phase de l’existence, comme on pourrait le croire à première vue, mais

(1) Ainsi que l’a souligné Marc Bessin devant la commission de concertation. Voir aussi Xavier Gaullier, « Âges mobiles et générations incertaines », « Esprit », octobre 1998.

en fait l’ensemble du parcours de la vie. Quand l’espérance de vie allait peu au-delà de soixante-cinq ans, les individus entraient tôt dans la vie active, en sortaient tard et ne jouissaient de leur retraite que durant quelques années de l’âge adulte. Nous entrons dans un système où l’on rentre tard dans l’activité, où l’on en sort tôt et dans lequel la retraite n’est plus un court moment de repos marqué par la maladie et la pauvreté mais un moment « flamboyant » (comme aime à le dire un mouvement associatif qui milite pour un troisième âge actif) fait de loisir, de consommation, de voyage, de temps consacré aux enfants et aux petits-enfants. La situation comparée des jeunes et des retraités semble même inverser les caractéristiques qui prévalaient jusqu’alors : aux jeunes la pauvreté et la précarité, aux vieux le loisir et le dynamisme !

L’allongement de la durée de vie (l’espérance de vie est actuellement de 74 ans pour les hommes et 82 ans pour les femmes 1) recompose le rapport entre temps de formation, temps d’activité et temps de loisir. On pourrait ainsi imaginer que nous allons vers un système de scansion de la vie en trois périodes de trente ans chacune : trente ans de formation, trente ans d’activité puis trente ans de loisir… Cependant, ce modèle à trois temps présente l’inconvénient d’une forte spécialisation fonctionnelle des temps de la vie : est-il raisonnable de travailler pendant trente années sous une pression très forte puis de se trouver brusquement face à trente années où il faut apprendre à gérer son temps tout seul, au risque de ne pas savoir qu’en faire et de se livrer aux marchands de loisirs ?

Il serait plus souhaitable de résister à une telle spécialisation fonctionnelle et de permettre à chacun de mêler au mieux formation, activité et loisir tout au long de sa vie. Cette mutation est d’autant plus souhaitable que le prolongement à l’identique, dans le futur, de la situation que connaissent actuellement les retraités est fortement improbable. Dans un contexte démographique qui voit baisser la part des jeunes générations dans la population au profit d’une forte augmentation des plus âgés, on voit mal comment trouver un équilibre entre des jeunes générations dont les taux d’activités décroissent et des générations âgées inactives qui font, les unes et les autres, reposer sur des actifs en nombre restreint la responsabilité de faire vivre correctement les autres 2.

(1) En 1850, l’espérance de vie à la naissance était inférieure à 45 ans. Elle atteignait 55 ans en 1925, 70 ans en 1960.

(2) Voir Jean-Michel Charpin, « L’Avenir de nos retraites », rapport au Premier ministre, Commissariat général du Plan, La Documentation française, 1999.

1.2.2. Réinscrire la jeunesse dans la succession des générations, réarticuler passé - présent - avenir

L’allongement de la durée de vie a enfin une conséquence sur la vie familiale qui sort du modèle nucléaire et s’élargit vers un modèle de coexistence de trois, quatre, voire cinq générations 1. La question de la jeunesse insérée dans les relations entre générations prend alors un nouveau relief. Elle invite en effet à penser les relations entre générations comme une « chaîne générationnelle » où, selon l’expression de Xavier Gaullier, « On ne donne pas à ses enfants en échange de ce qu’ils vous donnent, mais parce que la génération antérieure vous a elle-même donné, dans une chaîne générationnelle de transferts idéalement infinie ». Cette chaîne a pour caractéristique de permettre des transferts indirects et différés d’une génération à l’autre. Il y aurait donc un certain risque à aborder la question des relations entre générations du point de vue de l’équité car la part des ressources que la collectivité consacre aux jeunes doit renvoyer plutôt à une interrogation sur ce que la collectivité est prête à investir pour préparer l’avenir.

Notre système de protection sociale, fondé sur le modèle implicite d’un salarié adulte de sexe masculin, est donc remis en question à la fois par la baisse du salariat, la féminisation de l’activité et la déstabilisation de l’âge adulte comme moment central des parcours de vie. L’inadéquation de nos représentations avec la réalité pèse particulièrement sur ceux qui ne répondent pas aux caractéristiques du droit social : les jeunes, les femmes et plus encore les jeunes femmes.

Si la question « jeune » ne peut être bien comprise qu’en prenant en compte l’inscription intergénérationnelle des individus, c’est aussi parce que cela nous renvoie à une prise en compte complexe de notre inscription dans le temps. La chaîne intergénérationnelle nous montre en effet un individu dont l’existence est prise dans les trois dimensions du temps, pour lequel le présent n’est pas un synonyme de l’instant fugace mais ce qui fait la charnière entre le passé et le futur, entre les générations qui le précèdent et celles qui lui succéderont, auxquelles il est lié par un réseau inextricable de dettes et de promesses : de dettes vis-à-vis du passé qui ne peuvent être ni remises ni remboursées mais dont la contrepartie est un investissement dans l’avenir ; de promesses qui font que la vie collective n’est pas simplement une gestion de l’urgence mais bien la construction commune d’un projet d’avenir. Elle renvoie donc à la capacité

(1) Voir le « Rapport sur les perspectives de la France », rapport au Premier ministre, Commissariat général du Plan, La Documentation française, juillet 2000.

politique de se projeter dans le temps long, comme l’a souligné Zaki Laïdi devant la commission de concertation.

1.3. Indépendance, autonomie, identité :

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