• Aucun résultat trouvé

La politique de la ville :

Dans le document Jeunesse, le devoir d avenir (Page 159-163)

vers des représentations nouvelles des jeunes ?

4.1. La politique de la ville :

matrice d’une politique de jeunesse « transversale » ?

La logique de fonctionnement de l’État qui, depuis 1945, reposait sur la production verticale et standardisée d’actions en réponse à des « besoins » se trouve profondément questionnée dès lors qu’apparaissent les premiers signes de la crise économique et sociale. La sectorisation très développée de l’appareil public fait l’objet de nombreuses critiques : cloisonnement, inefficacité, inefficience… La nécessité de nouvelles approches se fait jour qui permettraient d’appréhender de manière moins « saucissonnée » les nouveaux problèmes, de saisir la dimension systémique, globale des enjeux émergents, d’introduire de nouvelles relations entre l’État et la société. La mise en place de politiques

« transversales » constitue l’un des modes de réponses à ces préoccupations.

La politique de la ville illustre particulièrement la recherche caractéristique des deux dernières décennies, d’un décloisonnement des administrations ainsi que de nouveaux modes de faire, dans la perspective d’une meilleure efficacité et d’une plus grande légitimité de l’action publique.

En se focalisant sur les difficultés de la jeunesse, la politique de la ville met au jour l’évolution des rapports entre l’État et la société dans un contexte de mutation, ce faisant elle désigne (de façon plus ou moins explicite) les limites des politiques sectorielles, la fragmentation de l’action publique. C’est à ce titre qu’on peut analyser la politique de la ville comme « une roue de secours pour action publique en difficulté » selon la formule proposée par Philippe Estèbe lors de son audition par l’atelier 3. Elle a une fonction de signalement de la crise de l’action publique verticale.

Les difficultés de la jeunesse traitées par la politique de la ville signalent en fait les limites actuelles des institutions dans leur capacité à traiter les problèmes de la société : pour l’école l’échec scolaire, les violences, le renforcement des inégalités, pour le sport la fragmentation du système sportif et l’opacification des itinéraires de promotion, dans le domaine de la sécurité à la fois l’inefficacité du système de sanctions pénales comme l’enjeu du rôle de la police dans la production de la sécurité, dans le champ de la santé la difficulté à instituer une santé préventive...

Dans le même temps, la politique de la ville tend à considérer, d’une certaine manière, la jeunesse comme porteuse de solutions à ces problèmes : les aides éducateurs comme éléments de rénovation, de « rajeunissement » d’un système éducatif parfois prisonnier de ses rigidités, les « grands frères » comme

référents des jeunes les plus « paumés », les animateurs sportifs comme voie de promotion sociale, les agents de médiation dans un système de sécurité non indexé sur la police, etc. En d’autres termes, à la fois symptôme et cause, victime et coupable, la jeunesse autorise le contournement des politiques publiques.

À travers l’enjeu de la jeunesse, il est donc question d’un changement de régime de l’action publique et de l’émergence de solutions pragmatiques. Comme l’a souligné Philippe Estèbe, la politique de la ville recourt à la jeunesse pour gérer de façon souple les conséquences de la perte de pertinence des politiques publiques, « sans trop entamer les référentiels traditionnels qui continuent de sous-tendre une bonne part de l’action publique. Ainsi dans le domaine scolaire, la politique de la ville permet-elle de financer des appareils périphériques au système scolaire destinés à faire du rattrapage, de la médiation, de la compensation (une partie des activités périscolaires sont dans ce cas). Dans le champ des sports, la politique de la ville a permis de financer des équipements de proximité, des postes d’encadrement ou d’animateurs sportifs destinés à proposer aux jeunes des quartiers prioritaires des loisirs qu’ils ne peuvent ou veulent pratiquer dans le cadre normé des fédérations.

Dans le champ de la santé, la politique de la ville a soutenu des réseaux d’intervenants sociaux et sanitaires qui demeurent souvent en marge des institutions légitimes telles que l’hôpital ou la médecine de ville ».

Intervenant là où se situent les limites des institutions publiques, dans un espace de doute relatif aux finalités et à l’efficacité de leurs actions, la politique de la ville peut être regardée comme contribuant à produire une action publique d’un nouveau type dont la finalité ne serait pas explicite. En faisant un pas de côté par rapport à l’action publique classique, elle permet l’invention de nouveaux registres et modes d’action - eux-mêmes plus ou moins pertinents - et favorise leur diffusion progressive, voire leur appropriation par les politiques sectorielles dont la finalité explicite demeure l’intégration sociale.

Toute la question est de savoir si cette fonction de « roue de secours pour action publique en difficulté » que joue la politique de la ville est provisoire ou si elle est appelée à durer. Dans la première hypothèse, il s’agirait d’un dispositif de temporisation permettant d’agir dans l’urgence tandis que chemine la modernisation de l’action publique ; dans la seconde, on aurait affaire à la mise en place d’un nouveau régime d’État social dans lequel, à côté des grands appareils d’intégration et de protection sociales, de nouveaux dispositifs spécifiques, en particulier des régimes locaux, permettraient une gestion d’exception dans la durée.

En tout état de cause, la politique de la ville constitue une matrice féconde pour favoriser le décloisonnement de l’action publique, elle a favorisé le rapprochement entre les acteurs locaux et les différentes administrations autour de nouveaux enjeux qui ne peuvent être appréhendés et traités dans des logiques verticales. Il est désormais courant de voir l’Éducation nationale, les services de la police, de la Justice, de la Jeunesse et des Sports, les collectivités locales, les associations et bien d’autres acteurs locaux encore travailler ensemble.

La vogue du partenariat, largement portée par la politique de la ville et souvent décriée n’est donc pas restée sans effet, elle a permis en particulier une accélération du processus de transversalisation de l’action publique.

L’hypothèse pourrait même être faite que la politique de la ville constitue une matrice pour de nouvelles politiques transversales.

Cette hypothèse peut en particulier être examinée à partir d’une analyse des conditions d’émergence de la politique de sécurité au milieu des années 90. La politique de la ville n’est pas étrangère en effet au passage d’une politique de prévention de la délinquance à une politique de production de la sécurité, elle a largement permis, notamment, la participation de la police aux structures de prévention de la délinquance, ce qui a contribué à « la diffusion de logiques de police de proximité et de partenariat dans les réponses policières à l’insécurité » 1.

L’émergence puis la prééminence de la problématique sécuritaire se réalise lentement. Déjà présente dans le rapport Peyrefitte en 1977, puis dans les rapports Dubedout et Bonnemaison en 1982, la notion de sécurité n’acquiert son sens actuel et ne s’institutionnalise réellement qu’en 1995, à travers la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité (LOPS). Cette loi qui, d’un côté, correspond à la nécessité pour l’État central de moderniser et réorganiser ses polices, présente, de l’autre, un caractère novateur en introduisant et en développant une approche globale de la sécurité, appréhendée comme un droit pour les citoyens.

Son article premier donne de la sécurité la définition suivante : « La sécurité est un droit fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives. L’État a le devoir d’assurer la sécurité en veillant, sur l’ensemble du territoire de la République, à la défense des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre public, à la protection des personnes et des biens ». Ainsi définie, la sécurité constitue une

(1) François Dieu, « Politiques de sécurité », L’Harmattan, 1999.

problématique transversale qui ne saurait se réduire à la seule approche policière. On parle d’ailleurs désormais de « coproduction de la sécurité intérieure ».

Le ministère de l’Intérieur a joué un rôle de premier plan dans cette problématique nouvelle et, particulièrement, dans la dynamique de structuration d’un dispositif territorial de sécurité. Dès 1992, une circulaire incite les préfets à négocier des plans locaux de sécurité avec les communes. En 1993, obligation est faite aux préfets d’élaborer des plans départementaux de sécurité. Ces plans marquent une évolution significative des objectifs de la prévention et de la lutte contre la délinquance : on y évoque à la fois la nécessité de responsabiliser les parents, de prévenir la toxicomanie, de prévenir la récidive, de développer la justice de proximité et l’aide aux victimes, enfin d’améliorer la sécurité dans les transports collectifs, les établissements scolaires…

Constatant les résultats insuffisants de ces plans, le gouvernement lance, suite au colloque de Villepinte des 24-27 octobre 1997, les contrats locaux de sécurité (CLS), poursuivant ainsi la territorialisation des politiques de sécurité ; par ailleurs il met en place un second volet de la nouvelle politique globale de sécurité à travers la mise en œuvre de la police de proximité. Frédéric Ocqueteau, lors de son audition par l’atelier 3, définit ainsi le nouveau référentiel de cette politique de sécurité : « Le mot d’ordre est celui d’une politique qui privilégie la citoyenneté comme axe de prévention, la proximité comme mode d’intervention et l’efficacité entre services de l’État, chef de la police, gendarmerie et justice. L’initiative revient au préfet, en lien avec le procureur et le maire. S’y adjoignent police, gendarmerie, pénitentiaire, douanes, recteurs et inspecteurs d’académie, chefs d’écoles, ministère de l’Emploi et de la solidarité, Jeunesse et Sports, bailleurs sociaux, transports en commun, centres commerciaux, monde associatif ».

Cet exemple intéressant ne restera peut-être pas unique, il est en effet permis de se demander si le même processus de transversalisation n’est pas à l’œuvre dans le champ de l’action sociale comme en témoigne le récent rapport Brévan-Picard de la Délégation interministérielle à la ville 1 sur les métiers de la ville, rapport qui analyse non seulement l’apparition de nouvelles figures professionnelles mais bien aussi la recomposition du travail social.

(1) Claude Brévan et Paul Picard, « Une nouvelle ambition pour les villes, de nouvelles frontières pour les métiers », rapport à Claude Bartolone, ministre délégué à la Ville, 2000.

En conclusion, la politique de la ville est l’emblême d’une action publique en quelque sorte « transitionnelle », qui serait la traduction des mutations à l’œuvre dans les rapports qu’entretiennent les politiques et institutions publiques avec la société, elle-même en profonde mutation. Pour Philippe Estèbe, elle signalerait

« le passage d’une action publique liée au maintien de l’ordre social à une action publique liée à la gestion des risques sociaux ».

Dans le document Jeunesse, le devoir d avenir (Page 159-163)