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Jeunesse, le devoir d’avenir

Dans le document Jeunesse, le devoir d avenir (Page 179-185)

Qu’on aborde les mouvements de la société sous l’angle de la transformation du système productif, de la recomposition des rapports sociaux, des évolutions de l’action publique, le constat est identique. Un modèle d’organisation sociale se défait, les grilles d’analyse à partir desquelles nous mettions en sens la société ont perdu de leur pertinence, les représentations autour desquelles était structurée l’action publique et s’organisait le débat démocratique sont fortement déstabilisées.

L’absence de projet collectif et la thématique de l’incertitude, aujourd’hui fortement présentes dans le débat politique, signalent bien la prise de conscience que notre société est dans une phase de transition en même temps qu’elles traduisent notre difficulté à maîtriser les effets de ces tendances, à en infléchir le cours, à en inventer l’issue, autrement dit à mettre en forme un nouveau modèle d’organisation sociale.

Interpréter, ainsi que la commission l’a fait, la période actuelle comme une période de transition, c’est mettre l’accent sur le fait que le passage à l’âge adulte - la jeunesse -, traditionnellement conçue sur la base des définitions qu’en donnent les travaux de sociologie comme une phase de transition, d’expérimentation, s’effectue aujourd’hui dans une société elle-même en transition.

Reconnaître, comme les analyses conduites dans le cadre des travaux de la commission « Jeunes et politiques publiques » invitent à le faire, que nous sommes dans une société en transition, suppose que nous explicitions davantage les conséquences sur la jeunesse de cette nouvelle donne. Si de tout temps la jeunesse a été appréhendée dans une seule et même perspective de reproduction et de changement de la société, ou pour le dire autrement, de transmission et d’innovation, la nature des transformations en cours, leur ampleur amènent à penser la jeunesse, c’est-à-dire le devenir de la société, en accordant une considération plus grande aux mutations à l’œuvre.

Surmonter l’inquiétude

La rupture culturelle qu’implique cette perception explique sans doute la perplexité que ressentent aussi bien les institutions que les individus et les acteurs collectifs lorsqu’ils prennent conscience que cette nouvelle logique est à l’œuvre. Les uns et les autres, pris de vertige face à la mise en cause de la force des mécanismes de reproduction sociale et à ce qui leur paraît comme une irruption d’autant plus importante de l’innovation, sont renvoyés à un sentiment de peur du lendemain.

La jeunesse, les jeunes leur apparaissent, dans cette posture, comme incarnant l’incertitude de l’avenir, là où en réalité la société des « adultes » les place en situation d’expérimenter la part de risque qu’elle n’est pas encore prête à tester sur elle-même. Cette peur du lendemain, qui se traduit parfois par une peur plus ou moins exprimée des jeunes mérite d’être interrogée. Des observateurs avisés y voient un trait culturel spécifique à notre pays.

La difficulté qu’a la société française à bien appréhender la situation des jeunes, à comprendre l’évolution de leurs comportements, à répondre à leurs aspirations au changement, l’a longtemps amenée à interpréter comme des effets d’âge ce qui, dans l’évolution de la situation des jeunes, apparaîtrait à l’analyse relever de plus en plus clairement d’effets de génération. C’est sans doute cela aussi qui l’a amenée à faire des arbitrages qui ont contribué à reporter sur la génération montante le poids d’un changement mal maîtrisé. La logique de notre système de protection sociale, la difficulté de nos institutions publiques à s’adapter à de nouveaux enjeux y ont contribué, tout comme des choix plus explicites, aboutissant à faire supporter aux « débutants » les effets d’une société aujourd’hui plus flexible, dans laquelle les individus aspirent à une plus large autonomie.

Jeunesse, le devoir d’avenir

Les politiques publiques, comme aspirées par le traitement du chômage et des violences, ont vu leurs objectifs s’infléchir, leurs missions s’étendre et se multiplier. L’action publique en direction des jeunes est devenue de plus en plus réparatrice. Même le champ de l’éducation n’a pas échappé complètement à ce mouvement.

Loin de faire de la jeunesse le levier de la réforme, le levier d’une réorganisation démocratiquement débattue, les politiques publiques, au travers de leurs orientations comme de leurs limites, ont accompagné un « allongement indéfini de la jeunesse », tirée désormais par les difficultés de la transition de

l’école à l’emploi. Ce constat sévère nous invite fortement à rompre avec la tendance actuelle à faire de la jeunesse une catégorie spécifique de l’action publique, comme si elle constituait un groupe social identifiable.

Les transformations profondes des âges de la vie, la différenciation des sorts sociaux, la diversification des modes de vie constituent autant de paramètres qui rendent improbable la définition de la notion de « jeune » ou de « jeunesse » en termes de bornes d’âge ou de statut. Comme le rappelle Dominique Charvet dans sa préface, la seule certitude sur laquelle il est possible de bâtir, c’est que la jeunesse est cette partie de nous qui devra affronter demain, en même temps qu’elle nous révèle, comme « plaque sensible » du changement social, de quoi demain est en train de se faire.

La question « jeune », que la commission avait mandat de reformuler, n’est autre que celle de la tension entre reproduction et changement dans laquelle s’opère l’évolution de toute société. C’est pourquoi elle nous interpelle si fortement dans les périodes où nous n’avons plus de projet commun, où nous ne savons plus très bien comment gérer notre devenir. C’est pourquoi la jeunesse invite la société tout entière à un devoir d’avenir. Elle doit être inscrite dans l’ensemble de nos choix et non traitée comme un champ particulier. Elle doit être aussi inscrite dans la durée, du présent à l’avenir, et dans la succession des générations. Pour reformuler la question « jeune », nous devons reformuler nos choix collectifs.

Élargir le regard car le monde change

Pour entreprendre cet exercice, notre point de départ doit être une meilleure identification tout à la fois des mutations à l’œuvre dans notre société et de l’évolution des situations comme des pratiques sociales des jeunes, qui sont des signaux de ces mutations. Il faut prendre la mesure des unes et des autres si nous voulons en infléchir positivement le cours.

Ceci est d’autant plus nécessaire que ces mutations affectent, par bien des aspects, les processus à travers lesquels l’enfant devient adulte, à travers lesquels les individus font société, à travers lesquels la société perdure et se régénère, autrement dit les processus individuels et collectifs de socialisation, d’intégration, de transmission et de développement. En outre, ces mutations creusent les inégalités anciennes et en font émerger de nouvelles, souvent plus radicales, dont la première est sans doute l’inégalité face au changement.

Cette prise en compte est forcément délicate, tant nous percevons que nous quittons un modèle d’organisation sans pour autant disposer de tous les outils

qui permettraient de saisir les recompositions à l’œuvre dans toutes leurs dimensions.

Transformations du système productif, du contenu et de la relation de travail, émergence d’une économie du savoir et de l’information, allongement de la durée de vie, recomposition de la famille, redistribution des équilibres entre hommes et femmes, entre vie privée, vie professionnelle et vie publique bouleversent en profondeur nos certitudes et nos acquis et restructurent nos échelles de vie. Nos rapports au temps, au territoire, aux autres changent de nature et de sens. Gérer les incertitudes et réduire les inégalités face au changement sont bien les deux faces du défi auquel la question « jeune » nous confronte.

L’éducation au cœur du monde nouveau

Pour autant, de tels changements, dont la jeunesse est un révélateur, apparaissent aussi comme une ouverture sur de nouveaux possibles.

Parce que ces changements bouleversent notre manière de nous construire, d’apprendre, d’être au monde, et qu’ils augurent d’une nouvelle ère du développement de nos sociétés, celle de la « connaissance », dont nous avons la forte intuition qu’elle commande de mieux concilier liberté et interdépendance, responsabilité et solidarité, héritage et invention, nous devons plus que jamais faire en sorte que l’accès de tous à la culture, au savoir, que la mobilisation et la valorisation de la compétence de chacun, son implication responsable constituent le ressort de notre avenir démocratique.

Qu’on le regarde sous l’angle de la nouvelle donne de la compétition économique ou du développement « durable », ou encore sous celui de la nouvelle donne de la « mobilité », de la protection et de la cohésion sociales, l’enjeu éducatif redevient premier, comme il le fut à l’avènement de l’ère industrielle, celle de l’organisation fordiste de la société, celle du « progrès ».

Le devoir d’avenir, c’est de permettre aux générations futures de s’instruire, de s’éduquer, de se former à tous les âges de la vie. Ainsi, la société entière doit-elle se mettre sur le chemin de la connaissance, chaque citoyen doit-il pouvoir gérer plus librement mais aussi de façon mieux sécurisée son itinéraire de vie, son parcours professionnel.

Parce que ces changements, enfin, désarticulent les fonctionnements institutionnels connus et obligent à se poser la question de la construction continue de la société, il faut aller au-delà du simple constat de l’effacement, du recul, voire du rejet des institutions.

Infléchir les tendances qui se font jour dans la société actuelle, c’est refuser que le citoyen d’hier ne se transforme demain en un individu isolé, c’est refuser qu’une trop grande différenciation des sorts ne conduise à des apartheids sociaux, c’est refuser l’affrontement entre violence des gagnants, des riches et violence des perdants, des pauvres.

Le devoir d’avenir, c’est aussi, c’est d’abord de repenser nos institutions - et, au premier chef, nos institutions publiques -, de les relégitimer en actualisant leur place et leur rôle dans la société, d’imaginer les régulations collectives que la gestion des nouveaux risques, la réduction des nouvelles inégalités rendent nécessaires. Là est le rôle premier de l’État. Le défi que nous devons proposer aux nouvelles générations est de construire les nouveaux supports de la continuation de l’aventure démocratique.

Jeunes et institutions : agir sur le monde

Le devoir d’avenir auquel nous convie la jeunesse ne prend tout son sens que s’il est d’abord dédié à ceux qui arrivent au monde, ceux qui feront le nouveau monde. C’est à partir de la jeunesse actuelle, avec les jeunes d’aujourd’hui, qu’il faut entreprendre l’œuvre de reconstruction des cadres dans lesquels se développera la société de demain.

Le réinvestissement de la collectivité nationale dans sa mission éducative, les nouveaux équilibres à trouver entre formation et travail, le repositionnement et la relégitimation des institutions publiques sont autant de volets d’un chantier de long terme qui ne concerne pas que les jeunes, mais qu’il convient d’initier en s’appuyant sur les jeunes qui aujourd’hui constituent la génération montante.

Ce qui est proposé, c’est bien de poser aujourd’hui les fondations d’une réforme ambitieuse de notre action publique en la plaçant délibérément dans une perspective de dynamique générationnelle, pour lui permettre de croître et d’arriver à maturité avec ceux qui en seront les premiers bénéficiaires, mais aussi les premiers acteurs. C’est bien dans cette démarche aussi que doit être réaffirmée et reformulée la responsabilité que la collectivité nationale s’est reconnue en matière d’éducation et de protection.

Actualiser cette responsabilité est aujourd’hui d’autant plus nécessaire que les cadres dans lesquels s’effectuent le développement de l’enfance, le passage des jeunes à l’âge adulte connaissent des évolutions qui peuvent les déstabiliser et sont source d’inégalités profondes au sein de la jeunesse, dont les stigmates sont souvent durables.

C’est bien dans cet esprit de responsabilité redéfinie que celles des institutions publiques qui, au-delà des politiques éducatives et de protection, entretiennent explicitement ou implicitement des relations avec les jeunes doivent évoluer, dans leur conception de la jeunesse comme dans leur comportement à son égard, leur posture face à l’avenir. Les jeunes sont les témoins du monde qui émerge, les institutions doivent les mettre en capacité d’agir sur ce monde nouveau.

Apprendre et se former tout au long de la vie :

Dans le document Jeunesse, le devoir d avenir (Page 179-185)