6. INTERPRÉTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS 142
6.3 Recommandations et pistes à explorer 158
Nous avons répondu aux questions posées dans le contexte de notre mémoire. L’objectif ultime de notre recherche demeure d’avoir un impact concret dans le milieu de l’enseignement. Les conclusions auxquelles nous sommes parvenue nous permettent d’amener certaines recommandations. Celles-‐ci s’adressent au MELS et aux commissions scolaires (6.3.1) ainsi qu’aux enseignants (6.3.2). Nous
terminons ce mémoire en suggérant des pistes à explorer afin d’approfondir les connaissances que nous avons des compétences syntaxiques des élèves du secondaire (6.3.3).
6.3.1 Les modifications que pourraient apporter le MELS et les commissions scolaires
Il est raisonnable de croire que les conclusions tirées de notre échantillon puissent être extrapolées à l’échelle de la province malgré les limites mentionnées dans la partie 6.2.1.
Nous avons ressorti tout au long du chapitre 5 que la ponctuation et les homophones sont à l’origine de nombreuses erreurs. C’était particulièrement le cas avec l’usage de la virgule. Nous soulevons dans la partie 6.1.2 que la recherche de Lord (2012) fait ressortir que l’emploi de la virgule demeure imprécis dans la tête de plusieurs enseignants. Les résultats que nous obtenons semblent nous donner raison. Les erreurs dues à la ponctuation chez les élèves sont fort nombreuses et nous pouvons imaginer qu’une des explications proviendrait d’une lacune dans la maitrise des règles d’usage de la virgule.
Comme nous l’avons expliqué dans notre cadre conceptuel dans la section 3.1, les règles régissant les différents accords, la ponctuation et l’identification d’une catégorie grammaticale dépendent de l’analyse de la phrase et des groupes qui la composent. Nous pouvons émettre l’hypothèse que les difficultés sont causées par une analyse syntaxique déficiente, au regard de la grammaire moderne. Les enseignants doivent d’abord avoir une vision claire de l’approche syntaxique de la grammaire moderne afin d’aider les élèves à développer leur capacité analytique de la phrase, réduisant par conséquent le nombre d’erreurs.
La recherche de Lord semble nous donner raison. En effet, ce sont 75 % d’entre eux qui souhaiteraient avoir davantage de formation sur la grammaire moderne (2012 : 240). Il faudrait donc revoir la formation initiale des maitres en y ajoutant non seulement des cours sur la grammaire moderne, mais sur la façon d’enseigner la syntaxe, et plus précisément la ponctuation, avec cette approche. Ainsi, les enseignants fraichement sortis des universités seraient mieux outillés. Les enseignants déjà en poste se verraient offrir une formation continue sur le sujet, eux qui ont plutôt vu dans les dernières années leurs journées de formation consacrées à la Réforme de l’éducation ou au programme qui la sous-‐tend (Lord, 2012 : 240).
Les enseignants pourraient avoir reçu la formation la plus complète qui soit, si les objectifs pour chaque niveau ne sont pas clairement définis, un élève peut recevoir un enseignement lacunaire. C’est un risque qui existe bel et bien, nous dit Lord :
D'autre part, comme il existe un flou dans les programmes en matière de progression pour identifier les contenus à l'étude pour chaque année du secondaire, les enseignants ne savent pas précisément ce qu'ils doivent enseigner à un degré donné. (2012 : 241)
Le MELS pourrait également s’assurer que la progression des apprentissages est claire pour les enseignants afin qu’il n’y ait aucune ambigüité quant aux notions à enseigner à chacun des niveaux. Ils ne se demanderaient plus si tel ou tel concept a été vu l’année précédente. Ils couvriraient l’ensemble des connaissances essentielles à une bonne maitrise de la langue française sur cinq ans, afin que l’élève quitte l’école secondaire après avoir développé les compétences nécessaires pour bien écrire. Il est vrai que la progression des apprentissages est facilement accessible. Peut-‐être est-‐elle simplement méconnue des enseignants.
6.3.2 Les modifications que pourraient apporter les enseignants de français
Des enseignants bien formés sont outillés pour devenir plus efficaces en classe, ce qui signifie mieux intervenir pour améliorer le bilan des erreurs des élèves. Nos résultats mettent en évidence des difficultés majeures chez l’ensemble des élèves en ponctuation. Même s’il y a diminution du nombre d’erreurs au fil des ans, cette catégorie représente autour de 40 % des erreurs commises dans les textes et ce, à chacun des niveaux. Il semble donc qu’une plus grande proportion du temps devrait être investie dans la ponctuation, particulièrement dans les règles entourant l’usage de la virgule, comme nous l’avons mentionné précédemment. Parmi les cinq erreurs les plus fréquentes, nous en retrouvions trois relatives à la ponctuation : S P autres, S P CdeP/adjointe déplaces, S P coordination adv relation. Le premier type d’erreurs, trop inclusif, ne permet pas d’être suffisamment précis pour apporter des changements ciblés. Toutefois, les deuxième et troisième types nous laissent savoir que les enseignants peuvent revoir leurs pratiques d’enseignement ou le temps consacré à la virgule lorsqu’il y a déplacement d’un complément de phrase ou d’une adjointe, lors des cas de virgule devant un coordonnant ou après un adverbe de relation44. L’identification des compléments de phrases (et des adjointes, qui sont assimilées aux compléments de phrase dans les grammaires scolaires), fait partie des compétences de base dans la maitrise de la structure de la phrase et, une fois l’analyse syntaxique bien comprise, la maitrise de la ponctuation associée ne devrait pas poser de problème. Une approche reposant sur la grammaire moderne contribuerait à améliorer les performances en écriture des élèves, comme le suggèrent Boivin et Pinsonneault (2014).
L’autre catégorie qui pose problème à l’ensemble des élèves est celle des homophones. De la 1re à la 5e secondaire, ce sont entre 24 et 29 % des erreurs qui sont dues à une incapacité d’identifier clairement la catégorie grammaticale d’un mot, ce qui amène l’élève à produire de nombreuses erreurs. Cette difficulté n’est pas celle d’une poignée d’élèves, mais bien de la grande majorité de ceux-‐ci, comme l’a démontré la figure 59. L’interprétation de nos résultats a même permis de découvrir que deux des trois erreurs d’homophones les plus répandues sont dues à la confusion entre un verbe à l’infinitif se terminant par «er» et un adjectif ou un participe passé en «é-‐e-‐s». L’exemple 44 rappelle les phrases que nous avions fournies en note de bas de page dans le précédent chapitre.
50 *Il aime dansé.
*Le roman acheter dans cette librairie m’a plu.
Nous avions alors déterminé que ces erreurs comptaient pour 8,4 % de l’ensemble des erreurs de syntaxe. Intervenir sur cette seule difficulté peut donc avoir un impact considérable. Ce type d’erreurs relève d’une analyse syntaxique déficiente. Une référence constante aux groupes syntaxiques et une observation des catégories grammaticales des mots qui les composent pourrait mener à une diminution du nombre d’erreurs de ce type.
Enfin, bien que le nombre d’erreurs de presque toutes les catégories tend à diminuer d’un niveau à l’autre, l’analyse de chacun des types d’erreur de la 1re à la 5e secondaire n’aura pas permis de découvrir une tendance menant à une intervention ciblée sur un type en fonction des niveaux, si ce n’est que l’impact que peut avoir un enseignement basé sur l’approche de la grammaire moderne. Nous pouvons toutefois souligner qu’une intervention basée sur la rédaction de textes, corrigés en se référant constamment à la phrase de base, pourrait avoir un impact. Pour que chaque élève s’améliore, il doit travailler ses propres erreurs. Pour ce faire, il faut privilégier davantage l’écriture. Plusieurs chercheurs font des recommandations en ce sens. C’est le cas notamment de Paret (1999), de Nadeau et Fisher (2006) et de Boivin (2008).
6.3.3 Pour pousser plus loin l’analyse scientifique
Nous croyons avoir atteint nos objectifs de recherche en répondant aux questions que nous avons soulevées à la fin du chapitre 5. Il est vrai que notre recherche ne permet que d’effleurer les difficultés syntaxiques des élèves du secondaire au Québec. Afin de faire de la majorité des élèves de meilleurs scripteurs en français, nous devons en connaitre davantage sur les compétences syntaxiques des élèves.
Pour ce faire, il faut non seulement identifier les erreurs commises, mais également les concepts maitrisés par les élèves. Nous faisons ici référence à ce que nous mentionnions dans la partie 6.2.2 : ce n’est pas parce que nous retrouvons peu ou pas un type d’erreurs que les élèves sont compétents. Pour avoir un portrait des compétences syntaxiques des élèves, et pas seulement de leurs erreurs syntaxiques, il faudrait adopter une méthode semblable à celle qu’ont utilisée Lemonnier et Gagnon (2010), soit d’identifier d’abord le contenu syntaxique du texte, puis de coder les erreurs. Cette tâche titanesque consisterait à évaluer le poids d’une erreur en la mettant en relation avec le nombre de contextes possibles pour cette erreur. Ainsi, pour déterminer si les élèves maitrisent les types et formes de phrase, il aurait fallu identifier les types et formes de chaque phrase en plus des erreurs portant, par exemple, sur la phrase interrogative ou négative.
Un tel codage permettrait de mieux comprendre et de mieux suivre l’évolution des élèves dans leur maturation syntaxique.