• Aucun résultat trouvé

2. LE CONTENU DES ÉCRITS SCIENTIFIQUES RECENSÉS

2.2 La relation entre le traitement du trouble de dépression majeure et la motivation

2.2.1 Les recherches de type quantitatif

À ce jour et à notre connaissance, il n’y a que trois études, celles d’O’Neil et Wolf (2010), de Pluta et Accordino (2006) ainsi que de Bonde, Rasmussen, Hjollund, Svendsen, Kolstad, Jensen et Wieclaw (2005), dont le but est de déterminer s’il est possible de prédire la promptitude ou la vitesse à un retour au travail suite à une période d’invalidité due à la dépression majeure. O’Neil et Wolf (2010), en s’inspirant du modèle théorique de Franche et Krause (2002), développent une procédure d’évaluation à utiliser en réadaptation afin de déterminer si la thérapie offerte est efficace à favoriser le retour au travail chez les individus concernés. Ils considèrent autant la motivation de la personne à retourner travailler que son sentiment d’efficacité personnelle. Pour ce faire, ils prennent plusieurs mesures

répétées auprès de sept personnes qui participent à une thérapie occupationnelle sur leur motivation, leur niveau de performance, la confiance en leurs capacités, leur qualité de vie, la réintégration à une vie normale, la reprise d’activités, la fatigue, les symptômes de dépression et la qualité de leur soutien social. Ces auteurs font ressortir que cette procédure d’évaluation est appropriée puisqu’elle fait état des progrès réalisés par la personne en fonction d’un retour au travail, particulièrement sa motivation, sauf pour les symptômes de dépression. Mais, il s’agit d’une recherche qui retient un devis quasi expérimental sans groupe de comparaison. De plus, leur échantillon de sept personnes est très petit. Enfin, ils ne se préoccupent pas du maintien à l’emploi suite au retour au travail.

De leur côté, Pluta et Accordino (2006) comparent 300 sujets qui présentent un trouble psychiatrique et qui ont fait des réclamations à une compagnie d’assurances. Ces personnes ont pu retourner au travail. En moyenne, elles étaient en invalidité pendant 540.51 jours. Selon ces auteurs, ce qui permet de prédire un retour au travail semble être l’expérience acquise préalablement, le statut d’emploi occupé (par exemple les travailleurs autonomes retournent au travail plus rapidement) ainsi que l’âge. Cependant, ils ne notent aucune influence en ce qui a trait au genre et au statut civil. Toujours selon Pluta et Accordino (2006), le diagnostic serait un pauvre facteur de prédiction d’une future performance. Malheureusement, ils évitent de fournir à l’intérieur de leur étude des renseignements sur les divers diagnostics psychiatriques ou le type de travail occupé par les sujets rejoints. Ils réfèrent aussi à plusieurs définitions du retour au travail, il est donc difficile d’en retenir une seule. De plus, la généralisation des résultats n’est pas possible, car les sujets proviennent uniquement d’une compagnie d’assurances.

Pour leur part, Bonde et al. (2005) croient que de se fixer un but et d’avoir des facteurs de motivation favoriseraient le retour au travail. Leur échantillon se compose de 184 personnes, surtout des femmes, dont seulement 4% ont des troubles psychiatriques. Ces chercheurs démontrent qu’un groupe de thérapie de soutien axé

sur la motivation n’est pas efficace à favoriser le retour au travail. Il faut dire que le traitement proposé ne repose pas sur des données probantes. Par le fait même, il n’est peut-être pas efficace à réduire les symptômes de dépression. Aussi, dans leur étude, ils évitent de mesurer la motivation et il n’y a aucune précision de leur part sur les divers diagnostics psychiatriques.

Plusieurs autres études tentent de dégager les principaux facteurs susceptibles de prédire un retour au travail et non pas la motivation à un tel retour. Elles portent principalement sur des questions de relation ou de comparaison entre différentes variables.

Ogawa, Shigemura, Yoshino et Nomura (2013) examinent la relation entre le retour au travail de 88 personnes qui présentent une dépression majeure et leurs traits de personnalité. Celles-ci doivent être en invalidité depuis plus de deux semaines et sous traitement pharmacologique depuis plus de deux mois. Ces auteurs retiennent plusieurs types de mesures : le M.I.N.I. (une échelle diagnostique), l’échelle de dépression de Hamilton, une échelle de neuroticisme ainsi qu’une mesure de sensibilité interpersonnelle. Les conclusions montrent que 42% des gens de leur cohorte réussissent un retour au travail, 60% se rétablissent complètement de leur dépression majeure, 36% demeurent invalides et neuf d’entre eux perdent leur emploi. Selon les auteurs, les prédicteurs d’un retour au travail reposent sur la rémission complète des symptômes de la dépression majeure et une plus courte durée de l’invalidité. Ils ajoutent qu’un haut niveau de sensibilité interpersonnelle affecte particulièrement le processus de retour au travail, car les personnes sensibles vivent souvent, en plus de leur maladie, des problèmes psychosociaux importants. Par ailleurs, la dépression semble moins affecter celles qui sont plus résilientes, qui possèdent des habiletés interpersonnelles indéniables et qui présentent moins de traits de neuroticisme de personnalité. Les auteurs auraient toutefois souhaité pouvoir étudier plus longuement ces gens afin de confirmer si la sensibilité interpersonnelle est associée au maintien ou non à l’emploi. Ils se questionnent aussi sur la

représentation des sujets de leur échantillon, car ils n’ont pu connaître l’historique de leur maladie ni les traitements qui leur ont été offerts ou encore les bénéfices qu’ils retirent de leur invalidité. Un autre biais important qu’ils décrivent est que ces personnes ont été dirigées dans leur étude par des médecins sans qu’ils ne puissent vraiment connaître les raisons qui les ont guidés à le faire.

Au Canada, Ebrahim, Guyatt, Walter, Hees-Ansdell, Bellman, Hanna, patelis-Siotis et Busse (2013) explorent la relation entre la durée de l’invalidité des personnes dépressives qui bénéficient d’un traitement psychothérapeutique. Leurs données démographiques, administratives et cliniques proviennent de 259 510 réclamations d’une compagnie d’assurance, la Sun Life Financial. Dans leur recherche, ils excluent les personnes qui sont en invalidité depuis plus de deux ans et demi. Deux psychothérapeutes émettent l’hypothèse que la psychothérapie pourrait prolonger la durée de l’invalidité pour trois raisons : la première est qu’il faut du temps pour mettre en place ce traitement considérant l’établissement d’un lien de confiance; la deuxième est que souvent elle est offerte aux personnes qui présentent une dépression d’intensité plus sévère; la troisième est qu’il peut s’installer des gains secondaires à cette psychothérapie par exemple, vouloir prolonger la relation avec la ou le psychothérapeute. Ebrahim et al. (2013) analysent les réclamations faites entre janvier 2007 et décembre 2010 à Toronto et à Montréal. Ils s’intéressent à la durée de temps entre l’établissement du diagnostic et le traitement de la demande, celle pour approuver la demande, celle entre cette approbation et le premier versement en argent, celle de la réclamation ainsi que les divers arrangements et la présence ou non d’une psychothérapie dans le traitement offert. Ils concluent que lorsqu’il y a une psychothérapie à l’intérieur du traitement offert, les réclamations d’invalidité sont plus longues, ce qui confirme l’hypothèse de départ. Ils ne font ressortir aucun autre prédicteur d’une plus longue invalidité comme l’âge, le genre, le nombre d’épisodes de dépression majeure… Si la force de leur recherche repose sur le fait qu’il y a peu de données manquantes, ils croient tout de même que certaines limites y sont inhérentes. Comme il s’agit d’analyses en rétrospective, ils ne peuvent connaître les

raisons qui ont motivé le recours ou non à la psychothérapie pour les personnes bénéficiaires. Aussi, certaines variables importantes comme, par exemple, la sévérité de la dépression, le sentiment d’espoir que peut ressentir la personne ou le type de traitement offert ne sont pas prises en considération. De plus, la relation entre la psychothérapie et la durée de temps de l’invalidité pourrait être un résultat trompeur parce que les personnes concernées peuvent être plus sévèrement déprimées ou encore être plus motivées aux gains financiers, ce qui n’est pas analysé. L’étude se préoccupe également de la durée d’invalidité sans vraiment considérer le retour au travail.

En procédant à un sondage effectué au Danemark auprès de 721 personnes en invalidité à cause d’un problème de santé mentale, dont la dépression ou le burnout, Nielsen, Bültmann, Madsen, Martin, Christensen, Diderichsen et Rugulies (2012) cherchent eux aussi à identifier les différents facteurs qui prédisposent à un retour au travail. Outre qu’ils procèdent à des exclusions de leur échantillon en lien avec une absence au travail de plus de douze semaines, des données descriptives manquantes ou le fait que des individus sont de retour au travail, 205 personnes, dont 163 femmes, soit 41%, répondent à leurs questionnaires. Il ressort d’abord que l’invalidité est plus longue si la personne est en dépression. Aussi, à la fin de leur étude, 85% des gens ont repris le travail, 7% sont toujours en invalidité et 8% n’ont plus d’emploi. Selon eux, si l’intensité de la dépression est plus sévère et que la personne s’évalue encore malade, la durée de l’invalidité se prolonge. De même, les gens qui travaillent dans la fonction publique ont un retour au travail plus rapide que ceux œuvrant dans le monde municipal ou au privé. Une des limites de leur recherche est qu’ils évaluent les personnes sur leur santé mentale en ayant recours à un questionnaire autoadministré plutôt qu’en prenant en considération le diagnostic établi par des médecins ou des spécialistes.

Dans leur étude, Gjesdal, Ringdal, Haug et Maeland (2008) retiennent 139 sujets au total. Ils veulent évaluer l’incidence des absences de longue durée dues aux

divers troubles psychiatriques tout en considérant les facteurs sociodémographiques et la différence entre les femmes et les hommes. Ils observent que les femmes sont plus à risque de présenter une dépression majeure et d’être absentes du travail. Par contre, de leur côté, les hommes sont plus à risque d’invalidité permanente ou d’être marginalisés. Il ressort toutefois un problème à l’intérieur de cette étude soit le fait que les diagnostics proviennent de données issues des compagnies d’assurances, une source médicale peu fiable, car les chercheurs ne sont pas certains que ceux-ci ont été établis par des praticiens bien renseignés sur la santé mentale.

Les travaux de Corbière et al. (2007) visent à dégager la relation à long terme entre la dépression, la douleur physique et le retour au travail chez des travailleuses et travailleurs en prenant trois mesures dans le temps. Des 224 personnes inscrites dans un programme de prévention de l’invalidité à cause principalement de leur douleur chronique, 185 (83%), à savoir 84 femmes et 101 hommes âgés de 21 et 62 ans, complètent le traitement offert de 10 semaines ainsi que les trois mesures d’évaluation: à l’admission dans le programme, au mi-traitement et à la fin du traitement. En plus de leur douleur physique, ces participantes et participants expriment des émotions de détresse. Tous sont en absence du travail depuis en moyenne 41 jours. Le programme d’intervention est d’approche TCC. Ces auteurs concluent à une relation significative entre la sévérité de la dépression et la sévérité de la douleur ressentie. Lorsque cette sévérité est concomitante, un taux de retour au travail est plus bas. Ils croient toutefois qu’il existe un problème dans l’évaluation de la dépression, notamment lorsque la personne ressent de la douleur. Elle peut ainsi tendre à se percevoir aussi en dépression.

Conformément à Corbière et al. (2007), l’étude de Sullivan et al. (2006) cherche à comparer l’impact d’un traitement auprès des personnes légèrement à modérément dépressives à celles qui le sont sévèrement. Ils identifient 68 individus dont les scores se situent entre 9 et 16 à l’Échelle de dépression de Beck, pouvant être qualifiées plus légèrement dépressifs et 16 en dépression d’intensité sévère. Il ressort

de leur observation la nécessité de prioriser le traitement de la dépression à celui de la douleur chronique et de le débuter le plus rapidement possible. Il est aussi important pour eux de cibler la rémission complète des symptômes puisque les personnes qui demeurent légèrement en dépression ont une moins bonne probabilité de retourner travailler.

Les conclusions d’une autre étude (Post, Krol et Groothoff, 2006) révèlent que si la personne s’autoévalue comme étant en santé, la possibilité au retour au travail augmente. Ces auteurs précisent que si la personne a connu une autre absence du travail dans les douze derniers mois ou si elle présente encore un trouble psychologique, il y a beaucoup moins de chance d’un retour au travail. Ils observent 862 individus en arrêt de travail depuis plus de douze semaines, dont 245 ayant des troubles psychiatriques. Encore une fois, les diagnostics ne sont pas précisés. De plus, les mesures retenues ne sont pas conçues pour prédire le retour au travail.

De leur côté, aux Pays-Bas, Lagerveld, Blonk, Brenninkmeijer, Wijngaards- de Meij et Schaufeli (2012) et Blonk et al. (2006) examinent deux types de TCC, celle plus traditionnelle et une jumelée à des interventions organisationnelles (TCC+) afin de réduire certaines sources de stress et de faciliter le retour au travail. La première étude, la plus récente, porte sur des résultats obtenus auprès de 168 sujets, dont 60% de femmes, répartis en deux groupes de traitement TCC et TCC+. Ces personnes présentent plusieurs diagnostics, dont la dépression majeure et occupent divers emplois dans des milieux de travail différents. Comme les chercheurs ne retiennent pas de groupe contrôle, il s’agit d’un devis de recherche quasi expérimental. Différentes mesures sont appliquées à l’intérieur des deux traitements. Elles concernent la dépression, l’anxiété, le stress, l’épuisement professionnel et le retour au travail. Lagerveld et al. (2012) concluent que la TCC+ favorise un retour au travail plus rapide, mais ils ne notent aucune différence significative à long terme (douze mois) ni en lien avec la réduction des symptômes de la dépression. Il n’y a pas de différence non plus entre les deux types de traitement sur cette diminution, les

deux le permettent. Certaines limites de leur étude sont évoquées. Ils n’ont pas procédé à une sélection aléatoire des sujets, des informations sont manquantes concernant la santé mentale et elles sont limitées par rapport au traitement suivi. Malgré tout, leur conclusion est intéressante, car ils observent que l’arrêt de travail entraîne inévitablement une perte de soutien social et de contacts interpersonnels ainsi qu’une perte de revenus. Ces pertes contribuent, à leur avis, à davantage favoriser l’augmentation des symptômes de dépression chez les personnes que leur retour au travail.

La deuxième étude (Blonk et al., 2006) est un peu plus ancienne et se déroule aussi aux Pays-Bas. La période de recrutement des sujets s’échelonne sur vingt mois. Ceux qui présentent un trouble de dépression sévère sont exclus et référés pour un suivi médical. En tout, 86 travailleuses et travailleurs dépressifs sont retenus et répartis en trois groupes de comparaison : a) 30 patientes et patients en TCC traditionnelle d’une durée de quatre mois, b) 28 en TCC+ bonifiée d’interventions organisationnelles de quatre mois, c) un groupe contrôle de 28 personnes. Les chercheurs appliquent trois temps de mesures: prétest, post-test, reprise des mesures après une période de dix mois (follow up). Des échelles de stress, d’anxiété et de dépression ainsi qu’un inventaire d’épuisement professionnel constituent leurs mesures. Dans cette étude, le retour au travail se définit comme la durée de temps entre le retour à temps partiel et celui à temps plein. Blonk et al. (2006) concluent à une plus grande efficacité pour la TCC+ même si toutes les patientes et tous les patients qui ont été traités par la TCC ont vu leurs symptômes de dépression diminués. Il y aurait donc certains avantages à offrir la TCC+ aux personnes qui présentent une dépression majeure dont un retour plus rapide au travail et par conséquent, moins de pertes interpersonnelles et monétaires qu’elles pourraient subir.

Dewa et al. (2003) étudient la relation entre la prescription selon les manuels de pratique d’un médicament antidépresseur et la réduction de la période de temps de l’invalidité et du rétablissement. Des données statistiques de trois compagnies

d’assurances canadiennes portent sur l’invalidité de courte durée au travail, les réclamations pour ordonnances médicamenteuses et les rapports du département de santé au travail. Ces compagnies assurent 63 000 employés à travers le pays, ce qui représente environ 12% de la main-d’œuvre canadienne. La période couverte s’échelonne entre 1996 et 1998 pour une compagnie et de 1997 à 1998 pour les deux autres. Les données répondent à trois critères a) invalidité de courte durée, b) prescription d’antidépresseurs, c) un seul épisode de dépression durant les douze derniers mois. Ces auteurs observent que 1 281 personnes retenues dans l’échantillon sont retournées au travail suite au traitement. Dewa et al. (2003) expliquent certaines limites à leur recherche. Comme il s’agit d’une étude observationnelle de données statistiques déjà compilées, ils ne peuvent préciser les facteurs qui favorisent le retour au travail. De plus, l’accent est mis sur un seul aspect du traitement pour la dépression, la médication. Ils suggèrent d’élargir ce genre de recherche à d’autres types de traitement et de dégager les facteurs environnementaux qui peuvent influencer le retour au travail.