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4 Étude des vocables

4.1 Étude de acertainer

4.1.2 Recension du discours métalinguistique généraliste

Le lexème acertainer suscite d’abord des commentaires dans le discours métalinguistique chez les glossairistes, de Dunn (1880) au Glossaire du parler français au Canada (1930, dorénavant le Glossaire), puis resurgit un demi-siècle plus tard avec Bergeron (1980). Il a fait l’objet de commentaires chez 12 auteurs29.

29 Faucher de Saint-Maurice, 1874, 1892; Dunn, 1880; Tardivel, 1882; Clapin, 1894; Dionne 1909;

Rivard, 1909; Société du parler français au Canada, 1902, 1930; Montpetit, 1919; Daviault, 1955, 1956; Rogers, 1977; Bergeron, 1980; Meney, 1999, 2003.

Le premier commentaire métalinguistique que nous avons relevé au Canada français sur acertainer se trouve dans un recueil du littéraire Henri-Édouard Faucher, dit de Saint- Maurice, qui publie d’« humbles récits écrits dans le style et le langage de notre cher peuple Canadien-Français [sic] » (Faucher de Saint-Maurice, 1874 : VI). Commentant l’emploi d’un particularisme canadien, il indique croire qu’acertainer a été emprunté à l’anglais par le français : « Enchalouer n’est pas le premier anglicisme qui se soit glissé chez nous. Champlain, à propos de Kertk, n’écrivait-il pas? — Etant acertainés de l’ennemi. » (Faucher de Saint-Maurice 1874 : 252)

Cet énoncé comporte deux inexactitudes. D’une part, l’auteur emploie la graphie acertainés, bien que la source qu’il cite utilise plutôt acertenés. D’autre part, c’est l’anglais to ascertain qui provient du français acertener, et non l’inverse. Dans une étude historique postérieure, Faucher de Saint-Maurice (1892 : 36) corrige ses erreurs et fait découler la forme anglaise de la forme française, dont la graphie est conforme à celle de la source. Il est possible que ces corrections proviennent des travaux d’Oscar Dunn, qui a fourni des informations étymologiques plus exactes dans son glossaire quelques années plus tôt :

« Acertainer. Vieux mot fr., d’où vient l’angl. To ascertain. Est encore usité en Normandie. Constater. En wal., Acertiner. » (Dunn, 1880 : 2-3)

Les liens entre les travaux des deux hommes sont fort probables, d’autant plus qu’ils se connaissaient personnellement30. Il ne serait pas étonnant que Dunn ait inclus acertainer dans son glossaire en réaction aux travaux de Faucher de Saint-Maurice, avec qui il avait potentiellement discuté du sujet. L’inclusion du mot acertainer à la nomenclature de Dunn ne saurait être reçue comme une preuve convaincante de son usage au Canada français à l’époque, et ce, à plus forte raison si cette inclusion s’interprète comme une réaction à Faucher de Saint-Maurice.

Or, tous les indices circonstanciels portent à croire que nous sommes bien en présence d’une influence transtextuelle. Comme nous venons de le voir, acertainer est le point de départ des réflexions de Faucher sur les anglicismes. Il est remarquable que Dunn utilise

30 Dunn a dirigé le journal L’Opinion publique, auquel a collaboré Faucher de Saint-Maurice. Ce

dernier avait d’ailleurs reçu la tâche —demeurée inachevée à ce jour— d’éditer la deuxième édition du Glossaire de son ancien directeur décédé prématurément.

justement le même mot comme exemple dans la préface de son ouvrage pour illustrer la parenté d’une part du vocabulaire de l’anglais avec le français :

« le mot Acertainer […] appelle le sourire sur nos lèvres, nous le prenons pour une francisation de l’anglais To ascertain; mais, de fait, c’est le contraire qui est la vérité. François Ier, dans une lettre au parlement de Paris, datée du 9 avril 1526, disait : “Et parce que nous sommes duement acertenés que, etc.” Le mot, du reste, est encore usité en Normandie. » » (Dunn, 1880 : xv)

L’ultramontain et pourfendeur des anglicismes Jules-Paul Tardivel, qui connait aussi Dunn personnellement, réagit négativement à cette remarque :

« M. Dunn cite le mot acerténer [sic] qui est du vieux français et ne vient pas du mot anglais ascertain. Soit, mais un seul exemple ne prouve pas l’assertion de notre auteur, assertion tout à fait hasardée, suivant [sic] nous. Loin

d’exagérer le nombre des anglicismes qui déparent notre langage, nous ne nous en faisons pas une idée même approximative. » (Tardivel, 1882 : 4)

S’il doute du lien établi par Dunn, Tardivel ne critique pas sa prémisse. Aussi bien Faucher que Dunn et Tardivel s’entendent sur le fait que le vocable est sorti de l’usage académique, mais aucun ne dit explicitement considérer ce mot comme vieilli au Québec. Le glossaire de Clapin s’inscrit dans la même veine :

« Acertainer, v. a., Affirmer, assurer. Vieux mot français, encore usité en Normandie, et d’où dérive l’ang. to ascertain : -J’peux t’acertainer qu’i va venir. Ils s’en retournerent hativement devers le roy, et luy acertainerent que le dit de Betfort… Cousinot, Chronique de la Pucelle, p. 329. » (Clapin, 1894 : 6)

Quelques années plus tard, la SPFC publie des données compatibles avec celles de ses prédécesseurs dans le Bulletin du parler français au Canada. Elle établit clairement l’origine hexagonale de l’emploi, qui demeurerait en usage dans certaines régions de France :

« Acertainer (pron. asèrtené) v. tr. ↢ à + certain.

‖ Affirmer, certifier, assurer.

¶ Acertener est un verbe du vx franç. (LAC., LACURNE, TRÉVOUX) Il se trouve

dans Darmesteter avec la note “vieilli”. Du Cange donne acertené : certain, instruit, assuré. “Les gens du pays acertainent qu’il fut vrai.” (LA SOLADE, fol.

23, col. 2). “Leur acertenoient que les Anglois.” (Hist. de Loys III, p. 148). “Bien je vous acertaine qu’incessamment y serai exposée” (CL.MAROT, cité

acertené” (CHAPELAIN, Lettres, III, 207). “Quant il en fu acertenez” (Chron. de

St-Denis, cité dans GODEFROY). “Paroles sont nécessères por acertener Seinte

Yglise” (Livres de Jostice et de Plet, p. 183, § 25). “Et vous-mêmes m’en avez acertené plus de cent fois” (P. LARIVEY, Comédie des Escolliers, a. III, sc. 2). —

Ce verbe s’est conservé dans la Saintonge (EVEILLÉ), le centre de la France

(JAUBERT), et la Normandie (DUBOIS). » (Société du parler français au

Canada, 1902 : 48)

Au début du 20e siècle, Dionne reprend acertainer dans son glossaire et le définit par le synonyme certifier. Rompant avec le consensus lexicologique selon lequel il s’agirait d’un emploi en usage au Canada, il écrit toutefois qu’il s’agit d’un « [m]ot vieilli, et dont l’usage semble disparu ici. » (Dionne, 1909 : 7)

Adjutor Rivard ne tarde pas à s’inscrire en faux contre cette affirmation. Dans un compte-rendu de l’ouvrage de Dionne, il signale que « ce mot a été relevé par les correspondants de notre Comité d’étude, dans les comtés du Lac-Saint-Jean, de Missisquoi, de Montmagny, de Témiscouata, etc. » (Rivard, 1909 : 372). Rivard fait allusion aux données récoltées quelques années auparavant par le Comité d’étude de la Société du Parler français au Canada, qui avait demandé aux membres de la société d’activement vérifier si certains mots, dont acertainer, étaient encore compris à travers la province31.

Une dizaine d’années plus tard, l’intellectuel Édouard Montpetit, lors d’une digression sur la langue en usage au Québec, nous informe de sa propre intuition sur acertainer :

« […] avec deux langues, l’anglais et le français, qui ont en commun plus de vingt mille racines, on n’est jamais sûr de son fait : le vieux français renait souvent en un néologisme apparent […]. Ainsi du mot acertainer, que nous n’oserions pas employer et qui est aussi vieux que Rabelais est jeune. » (Montpetit, 1919 : 114)

Par cette subtile boutade, Montpetit indique croire qu’acertainer, bien qu’on puisse l’associer à la langue immortelle de Rabelais, a été réintroduit en français par le truchement de l’anglais. Sans qu’une telle remarque confirme clairement l’existence réelle de l’emploi, elle montre qu’un locuteur éduqué ne le jugeait pas standard.

31 Le vocable figure au « Bulletin d’observations no 1 », publié en supplément au Bulletin du parler

français au Canada de mars 1904. Il y est enregistré avec la graphie acertainer et l’acception « certifier ».

En 1930, le Glossaire consacre 2 articles à acertainer et laisse croire que les graphies açartainer, açartener et acertener représentent un certain usage canadien :

« Açartener (asàrtėné) v. tr. ‖ Affirmer, assurer. (V. Acertener.)

Acertener (asèrtėné) v. tr.

‖ Affirmer, assurer, certifier. Ex. : Je peux acertener qu’il y était pas = je puis assurer qu’il n’y était pas.

Vx fr. – Acertainer, acertener = m. s. on trouve acertener dans Chapelain (cf.

Dict. gén.).

Dial. – M. s., Aunis, Berry, Nivernais, Normandie, Picardie, Poitou,

Saintonge.

Can. – Açartainer = m. s. » (Société du parler français au Canada, 1930 : 7 et

11)

Il semble que pendant presque un demi-siècle, aucun dictionnaire ou glossaire publié au Québec ne consigne ensuite acertainer. Anecdotiquement, Daviault (1955 : 26; 1956a : 37) mentionne acertener dans 2 billets d’une chronique de langage probablement inspirée des travaux de Faucher de Saint-Maurice (1892 : 36) et de la Société du parler français au Canada (1930 : 11).

En 1977, Rogers réintroduit le mot dans son Dictionnaire de la langue québécoise rurale, basé sur le dépouillement d’œuvres du terroir : « ACERTAINER : affirmer,

assurer, certifier. […] “…Si la Grise se met à trotter, ceux qui sont à l’échelette d’arrière en ont connaissance, je peux vous l’acertainer.” Chez nous, pages 95-96. » (Rogers, 1977 : 35-36) On remarque que Rogers reprend à l’identique la définition du Glossaire. De plus, il cite Adjutor Rivard, qui avait pris part au débat entourant ce mot en affirmant détenir des preuves de sa vigueur et en avait ensuite créé une des rares attestations du 20e siècle.

Quelques années plus tard, Bergeron (1980 : 14 et 17) présente des définitions très similaires. Il reprend à l’identique les entrées d’articles du Glossaire, dont la graphie apaxique açartener. La filiation entre les 2 articles est d’autant plus certaine que Bergeron (1980 : 9) indique avoir puisé des données à même le Glossaire.

Par la suite, Meney consigne le même vocable, mais n’emploie que la graphie acertainer :

« acertainer (v. trans.) : affirmer (v. trans.); assurer (v. trans.); certifier (v. trans.); garantir (v. trans.)

Si la Grise se met à trotter, ceux qui sont à l’échelette d’arrière en ont connaissance, je peux vous l’acertainer (Adjutor Rivard)

[moy. fr. “acertener, acertainer”; s’est dit/se dit en Vendée (Ouest de la France)] » (Meney, 1999 : 24)

On remarque que Meney reprend la citation trouvée par Rogers. En citant une source vieille de plus de trois quarts de siècle, Meney s’inscrit dans une tendance générale. En effet, de la fin du 19e siècle à la fin du 20e siècle, aucun auteur n’a donné de citation qui lui soit contemporaine. Malgré leur incapacité à fournir autre chose que des exemples construits ou des citations relativement anciennes, aucun de ces auteurs, mis à part et malgré Dionne en 1909, n’a mentionné que ce mot n’était probablement pas d’usage courant au Canada.