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1. PROBLÉMATIQUE

1.3 Recension des écrits

La section précédente confirme qu’il existe un problème de justice éducationnelle quant à la scolarité universitaire des Premiers peuples au Canada et au Québec. Cette problématique est d’ailleurs de plus en plus documentée (Adelman et al., 2010; Andrade, 2014; Aragon, 2002; Bailey, 2015; Battiste, 2013; Battiste, Bell & Findlay, 2002; Crépeau, 2011; Hardes, 2006; Hare & Pidgeon, 2011; Joncas, 2013; Kerr, 2014; Larimore & McClellan 2005; Lavell Harvard, 2011; Loiselle, 2010; Malatest et al., 2002; McMullen & Rohrbach, 2003; Mendelson, 2006; Montgomery et al., 2000; Mosholder, Waite, & Chris, 2011; Paquette & Fallon, 2010; Pidgeon, Archibald, & Hawkey, 2014; Rasmussen, 2001; Ratel, 2017; Rodon, 2008; Schick, 2014; Shields, Bishop, & Mazawi, 2005; Sonn, Bishop, & Humphries, 2000; Timmons, 2009; White et al., 2009; Whitley, 2014; Wotherspoon & Satzewich, 2000). Trois courants explicatifs majeurs, bien que non mutuellement exclusifs, sont privilégiés dans la littérature scientifique. Il s’agit des courants positiviste/postpositiviste, interprétatif/compréhensif et critique/postcolonial.

La majorité des recherches recensées qui aborde les inégalités scolaires des Autochtones s’inscrit dans l’approche positiviste/postpositiviste. Ces recherches sont, pour la plupart, de type quantitatif et/ou descriptif et concernent les facteurs d’abandon et/ou de réussite scolaires (Adelman et al., 2010; Aragon, 2002; Hardes, 2006; Larimore & McClellan, 2005; McMullen & Rohrbach, 2003; Mendelson, 2006; Montgomery et al., 2000; Mosholder et al., 2011; Shields et al., 2005; Whitley, 2014). Ces études se concentrent souvent sur l’approche du déficit en insistant sur les traits et les comportements individuels et culturels des étudiants autochtones pour expliquer les inégalités scolaires et les stratégies des professeurs pour faire le pont entre la culture autochtone et celle de l’institution scolaire (Castagno, 2006; Lavell Harvard, 2011). Ces études ont permis de mettre en lumière plusieurs facteurs qui nuiraient à la réussite scolaire aux études universitaires des étudiants autochtones, comme, par exemple, un style d’apprentissage différent, un manque d’aptitudes personnelles et intellectuelles ou des attentes et aspirations personnelles et familiales faibles. Elles ont aussi documenté des facteurs qui faciliteraient leur réussite tels qu’une bonne confiance en soi, un support social, un soutien financier, la fierté d’être Autochtone, etc.

D’autres études ancrées dans l’approche interprétative/compréhensive s’intéressent à l’expérience scolaire des étudiants autochtones et aux sens que ces derniers lui attribuent afin de comprendre les inégalités scolaires (Joncas, 2013; Malatest et al., 2002; Ratel, 2017; Rodon, 2008; Timmons, 2009). La plupart de ces études tentent de comprendre comment les étudiants

autochtones donnent sens à leur expérience scolaire et s’adaptent aux exigences et aux attentes de leur institution scolaire. Elles s’intéressent aussi aux relations qu’entretiennent les étudiants autochtones avec les autres acteurs du milieu scolaire (professeurs, personnel non enseignant, étudiants, etc.). Ces études ont documenté plusieurs éléments pouvant aider à comprendre les inégalités aux études universitaires des Autochtones. Entre autres, ces études ont démontré que la signification de la réussite universitaire serait davantage attribuée au développement personnel et à l’acquisition de compétences qu’à la diplomation chez les Autochtones (Andrade, 2014; Joncas, 2013; Montgomery et al., 2000) ou ont mis en lumière le choc culturel dont sont victimes les étudiants autochtones dans les institutions postsecondaires occidentales (Rodon, 2008; Sonn et al., 2000).

Des études s’insèrent davantage dans l’approche critique/postcoloniale en se penchant sur l’histoire, les politiques et les systèmes éducatifs pour justifier le problème (Fox, 2013; Garakani, 2014; Hare & Pidgeon, 2011; Holmes, 2006; Kerr, 2014; Paquette & Fallon, 2010; Rasmussen, 2001; Richardson & Blanchet-Cohen, 2000; Takayanagi & Shimomura, 2013; Usher, 2009). Entre autres, ces études expliquent les inégalités scolaires des Autochtones par l’hégémonie occidentale du système scolaire universitaire et les structures [néo]coloniales qui les oppressent (Aikenhead, 2001; Archibald, Davis, & Haig-Brown, 2008; Battiste, 2013; Battiste et al., 2002; Henry & Tator, 2009; Lavell Harvard, 2011; Sterenberg & Hogue, 2011). Les inégalités sont alors expliquées par les conséquences du passé et la persistance de pratiques coloniales à l’intérieur du système scolaire canadien (Battiste, 2013; Wotherspoon & Schissel, 1998). Par exemple, Battiste (2013), dans son ouvrage Decolonizing education, propose trois éléments explicatifs centraux des inégalités scolaires des Autochtones au Canada. Il s’agit : 1) de la non-reconnaissance des traités entre peuples autochtones et colonisateurs; 2) des politiques d’éducation eurocentriques et des tentatives d’assimilation toujours présentes; et 3) de la suprématie de la vision du monde eurocentrique qui conçoit la vision du monde autochtone comme étant inférieure. Plusieurs études ont aussi expliqué que la faible confiance des étudiants autochtones en leur capacité de réussir serait reliée à l’internalisation14 du préjugé que les Autochtones n’ont pas les capacités pour réussir dans le système scolaire occidental (Battiste, 2010, 2013; Sensoy & DiAngelo, 2012; St-Denis, 2007a). Ce phénomène émanerait directement du jugement raciste des colonisateurs qui percevaient les peuples autochtones comme étant inférieurs aux peuples colonisateurs européens (Battiste, 2010; Paquette & Fallon, 2010; Saul, 2014) et, plus actuellement, au rejet des institutions postsecondaires

du système de pensée autochtone dans leurs structures et leurs enseignements (Henry & Tator, 2009; Kanu, 2007; Kerr, 2014; Monture, 2009; Paquette & Fallon, 2010; St-Denis, 2007a; White et al., 2009).

Malgré l’éclairage que ces études apportent sur l’influence de l’identité autochtone et de l’hégémonie occidentale des systèmes éducatifs pour expliquer la problématique de la faible scolarisation des étudiants autochtones aux études supérieures, elles comportent des limites. Les études se situant dans les courants positiviste/postpositiviste et interprétatif/compréhensif qui se concentrent sur l’individu et sa culture pour expliquer les inégalités scolaires individualisent le problème sur les épaules des étudiants sans remettre en question les mécanismes de reproduction des inégalités des structures en place. En effet, en focalisant sur les caractéristiques individuelles ou sur la culture autochtone (échelle microsociale) comme étant la source de l’échec scolaire, la majorité de ces études ne rendent pas compte de la contribution des structures sociales (échelle macrosociale) dans la production et la reproduction des injustices. Or, il importe d’avoir un point de vue sur le contexte historique et sociopolitique et les structures sans quoi les chercheurs contribuent au problème en reproduisant les rapports de domination et en renforçant l’internalisation du problème (Bhabha, 2001; Duran & Duran, 1995). Lavell-Harvard (2011) soutient qu’en posant le regard seulement sur l’individu, il est difficile de voir comment le système contribue à leur échec. Smith (2012) explique d’ailleurs qu’un lien naturel s’est établi entre « autochtone » et « problème » à cause des multiples études qui ont axé leur analyse du problème exclusivement sur l’individu ou la communauté autochtone plutôt que de s’interroger sur les structures sociales et institutionnelles. D’autres études, plus critiques, se penchent quant à elles sur l’histoire coloniale et l’hégémonie eurocentrique des structures scolaires (inégalités systémiques) pour saisir le problème sans interroger l’expérience vécue des individus. Malgré la portée analytique des études critiques/postcoloniales, elles offrent une faible compréhension sur les raisons qui expliquent pourquoi certains étudiants des groupes opprimés (comme les femmes autochtones) persévèrent et réussissent dans un système scolaire qui les dominerait, par exemple.

Il en résulte que peu de ces études vont privilégier une analyse multidimensionnelle des différentes échelles sociales (macrosociale, mésosociale et mésosociale) pour expliquer le problème. Cette analyse limitée offre une faible capacité de prise en compte des variables tant structurelles, relationnelles qu’individuelles pour expliquer les injustices. À cet effet, Young (2001) est d’avis que les structures sociales ne peuvent exister sans les groupes sociaux et les individus, car elles existent seulement dans leurs actions et interactions. Conséquemment, cette recherche se positionne dans

une approche critique multidimensionnelle qui ouvre vers un spectre d’analyse plus complet des phénomènes sociaux en analysant les différentes dimensions du système éducatif (Mutanga, 2014; Young, 2001). De surcroît, la majorité des études qui concernent les inégalités aux études supérieures des Autochtones ne considèrent pas les effets des différentes appartenances sociales (comme le genre ou le statut socioéconomique) dans l’expérience des étudiants autochtones et se concentrent davantage sur leur origine ethnoculturelle pour expliquer la reproduction des inégalités. À titre d’exemple, quelques recherches seulement s’intéressent spécialement aux cas des femmes autochtones aux études supérieures au Canada (Lavell Harvard, 2011; Lévesque & Labrecque, 2007; Martin, 2001; Neeganagwedgin, 2011) et aux États-Unis (Andrade, 2014; Arbor, 2008; Bamdas, 2009; Castagno, 2005; Fox, 2013; Jaime, 2003; Sankhulani, 2007; Waterman & Lindley, 2013).