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SECTION III-LIMITES FINANCIÈRES DU FINANCEMENT OBLIGATAIRE

A- RATIONNEMENT DE L’ÉTAT SUR LES MARCHÉS FINANCIERS

On supposera avant de continuer que le rationnement concerne uniquement le segment privé du marché de la dette souveraine (i.e. la partie où les créanciers sont des personnes privées, dans le sens juridique du terme). On fait alors abstraction des situations de rationnement sur le segment officiel du marché de la dette souveraine où les créanciers sont des institutions

internationales ou d’autres États.

Il arrive en effet qu’un État souhaitant lever des fonds sur les marchés financiers n’y

parvienne pas car il subit un rationnement par les créanciers. Une telle situation peut être

expliquée par diverses raisons, en l’occurrence, un faible développement financier domestique

et une discrimination de la part des prêteurs.

D’une part, un État aura du mal à solliciter les créanciers lorsque son système financier n’est

pas suffisamment développé. En effet, dans une telle situation, le marché de la dette

souveraine a de fortes probabilités d’être peu développé (Cabrillac et al., 2008316

; Cabrillac et Rocher, 2009317), voire inexistant (BAD, 2010318), ce qui rend difficile tout processus

d’endettement public par les mécanismes du marché. Il est habituel de constater que dans ce type de pays, l’État a tendance à emprunter auprès des bailleurs de fonds officiels, i.e. les

institutions financières comme le FMI ou la Banque Mondiale et les autres États avec leurs fonds souverains (A. Joseph, 2000319). Le faible développement du marché de la dette souveraine (et des marchés financiers dans leur ensemble) constitue un handicap important

pour l’État car il se trouve dépourvu du cadre institutionnel qui devrait lui permettre de

316 Développement des marchés de titres de la dette dans les pays en zone franc, Rapport de travail. Ils mentionnent que les marchés de la dette sont encore embryonnaires dans les pays de la zone franc.

317

Les marchés de titres de la dette publique dans les pays africains en développement : évolution récente et principaux défis, Bulletin de la Banque de France, n° 176, 2ème trimestre 2009. Selon ces auteurs, « Or, les marchés africains de titres de la dette restent encore fragiles et sont confrontés à des handicaps structurels, au premier rang desquels figurent les risques élevés de défaut, le manque de taille critique, la faiblesse des infrastructures et des capacités encore insuffisantes, du côté tant des régulateurs que des émetteurs et des souscripteurs. Ces obstacles sont aggravés par le fait que certains pré-requis (dans le domaine de la gestion des finances publiques ou de la politique monétaire), nécessaires à un développement maîtrisé des marchés, ne sont pas toujours remplis » (p. 1).

318 Guide des marchés obligataires africains et des produits dérivés. 319

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conduire pleinement le processus d’endettement (M. Kappagoda, 2002)320

. Sans ce cadre institutionnel, les prêteurs auront du mal à apprécier la transparence de la demande et la

qualité du crédit de l’État emprunteur (FMI-BM, 2001321) et ce, même s’ils ont recours à des agences de notation ou à des enquêtes sur terrain en vue d’éclairer leurs décisions. Cela

impliquerait des coûts non négligeables qui peuvent ne pas être compensés par les placements

qu’ils vont faire dans le pays. Ils délaissent alors presque systématiquement cette catégorie de

pays pour investir ailleurs, là où les conditions et les promesses de rendements sont

meilleures. Même si les prêteurs décident de prêter à l’État qui rencontre un faible niveau de

développement financier, ils le feraient en demandant en retour des taux de rendements élevés, i.e. avec une prime de risque élevée (M. Montoussé, 2007) qui pourraient être

considérés comme usuraires par l’État emprunteur (D. Mendes, 2002322

) alors qu’ils ne

représentent que la rémunération de la prise de risque des prêteurs. L’État se trouve ainsi

rationné sur le marché de la dette souveraine (plus précisément, sur le segment privé du marché de la dette souveraine).

Le tableau suivant donne un aperçu du niveau de développement financier dans chaque pays ainsi que du marché de la dette au niveau domestique :

Tableau 15-Développement financier dans les pays de la COI

Pays Niveau de développement financier Existence de marché de la dette publique

Comores France Madagascar Maurice Seychelles

Faible (plus de la microfinance) Développé

Faible (plus de la microfinance) Relativement développé Relativement développé

Non

Oui (Euronext-Agence France Trésor) Non

Oui (Stock Exchange of Mauritius) Oui (Seychelles Stock Exchange) Source : Banque Mondiale et compilation de l’auteur à partir de la littérature spécialisée

Aux Comores et à Madagascar, le système financier est encore au premier stade de

développement contrairement à la France, l’île Maurice et les Seychelles. En effet, dans ces

deux premiers pays, le système financier est encore très concentré autour de quelques banques détenant presque plus de 90% du pouvoir financier (M. Delasalle, 2007323, K. Ouattara, 2011324). Le système financier y est caractérisé par l’importance de la finance solidaire et du

320Cadre institutionnel pour l’endettement du secteur public, UNITAR. 321 Developing Governement bond markets : A handbook, IMF-WB. 322 Le tribunal international des peuples sur la dette CADTM. 323 Madagascar : a new impulse, new challenges, Ed. CERIK. 324

123 microcrédit (Roubillard et Roubaud, 2005325 ; J. M. Servet, 2006326) et par l’absence manifeste de marchés financiers de la dette publique. Seuls les marchés des bons du Trésor fonctionnent et les émissions ne font pas encore de manière régulière comme dans la plupart

des pays ayant un certain niveau de développement financier. En revanche, l’île Maurice (J.

B. Wagon, 1997327 ; M. J. Jauze, 2008328) et les Seychelles (FMI, 2012)329 sont dans une dynamique financière plus soutenue dans l’Océan Indien et même en Afrique de l’Ouest. La

bourse des valeurs de l’île Maurice fait, par exemple, partie des marchés financiers les plus

actifs et les plus liquides dans cette partie du monde. En plus, le marché de la dette publique commence à se développer très sérieusement (Baker et Kiymaz, 2013)330.

Pour les pays qui n’ont pas de marché financier de la dette publique à proprement parler, ils se

tournent généralement vers les partenaires étatiques ou vers les créanciers multilatéraux pour

se financer. C’est le cas notamment des Comores et de Madagascar contrairement aux trois autres pays de la Commission de l’Océan Indien (voir tableau relatif au calcul du taux d’endettement public dans la prochaine sous-section).

D’autre part, le rationnement par les prêteurs est également le fait d’une concurrence

mondiale accrue entre les États en quête de financement. Les pays en développement et

émergents font souvent l’objet d’une discrimination de la part des créanciers dans cette

concurrence mondiale (K. Raffer, 2002 ; A. Frémont, 2000 ; Broner et al., 2013), ce qui semble valider le paradoxe de Lucas (Lucas, 1990).

En effet, les prêteurs cherchent avant tout à maximiser leurs plus-values financières. Grâce à

l’internationalisation de la finance, ils ont la possibilité de mieux choisir leurs investissements

ou leurs placements en comparant les offres de rendements proposées par chaque pays. Un pays plus performant économiquement, financièrement et politiquement est de ce fait

susceptible d’attirer davantage ces prêteurs. On se retrouve ainsi au niveau international, avec des groupements d’États classés selon la qualité de leur crédit.

325 Madagascar, face au défi des Objectifs du Millénaire pour le développement, IRD. 326

Le banquier aux pieds nus : la microfinance, Ed. Odile Jacob, p. 214.

327L’Afrique face à son destin, quel projet de développement en l’an 2000, L’Harmattan, p. 192. 328L’île Maurice face à ses nouveaux défis, Université de la Réunion, L’Harmattan, p. 338. 329 Seychelles, 5th review under extended arrangement, IMF Staff Country Report 2012. 330

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D’un côté, les États qui se refinancent sans difficultés majeures sur les marchés financiers et, de l’autre côté, les États qui font l’objet d’un traitement différencié, souvent péjoratif, pour

pouvoir accéder au financement. Les agences de notation jouent un rôle très important dans le classement des États car elles conditionnent en grande partie les décisions des prêteurs d’aller confier leur épargne à un État donné.

Les pays en développement sont ceux qui font le plus souvent l’objet d’une discrimination sur

le marché de la dette souveraine (Aggarval, 1996331 ; Cheru et Bradford, 2005332). Ces États sont par conséquent obligés de proposer des taux d’intérêt très élevés pour attirer les prêteurs, comme mentionné auparavant.

A titre d’information, il convient de mentionner au passage qu’en plus de la discrimination,

certains États, ayant eu préalablement accès au marché privé de la dette souveraine, pourraient

même se trouver exclus de ce dernier. Il s’agit généralement des États qui ont connu le défaut

souverain ou qui subissent des difficultés économiques majeures.

Tout ceci peut être expliqué par le déficit de crédibilité de l’État emprunteur provenant de

l’insuffisance de son niveau de développement financier et économique. En effet, les

créanciers peuvent associer le faible développement financier à des coûts de transactions élevés, à des rendements certes élevés mais instables, à une répression financière implicite mais aussi à un risque pays « répulsif ».