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SECTION III-LIMITES FINANCIÈRES DU FINANCEMENT OBLIGATAIRE

A- EFFETS DU SEIGNEURIAGE SUR LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE

D’après une revue de la littérature sur le rôle économique de la création monétaire, il existe

deux positions différentes concernant les effets du seigneuriage sur la croissance économique.

D’une part, le seigneuriage est supposé avoir des effets positifs car il contribuerait à la promotion de la croissance économique et d’autre part il présente des effets négatifs car il

serait défavorable à la croissance économique.

Pour les effets positifs du seigneuriage, deux éléments principaux peuvent être mis en avant :

-tout comme les prélèvements obligatoires, et conformément à la section précédente, le

seigneuriage est une source de financement non négligeable pour l’État (Drazen, 1989 ; Bruni

et al., 1989 ; Grilli, 1989 ; Gross, 1993). Il peut de ce fait être mobilisé pour l’amélioration

162 ainsi le mécanisme du multiplicateur des dépenses publiques présenté auparavant, à la différence que cette fois on tient compte des recettes du seigneuriage et non de celles des prélèvements obligatoires. Schématiquement, on obtient :

Schéma 20-Seigneuriage, santé financière de l’État et croissance économique

L’explication de ce schéma est similaire à celle utilisée pour les prélèvements obligatoires.

Ainsi, le seigneuriage permet de financer les dépenses publiques (1), lesquelles contribuent à

l’amélioration de la consommation et de l’investissement (2). La hausse de l’investissement est d’ailleurs accentuée par la hausse de la consommation par un effet accélérateur (4) mais également par leurs propres anticipations de l’évolution de la demande (3). Enfin, la hausse de l’investissement se solde par une amélioration de la croissance économique (5).

Cet effet positif est d’autant plus important que le seigneuriage est un mode de financement exogène. Autrement dit, il n’exerce pas de ponction directe sur le pouvoir d’achat des

ménages ni sur la capacité de financement des entreprises, comme mentionné dans la section précédente. Ainsi, l’effet multiplicateur des dépenses publiques qui vient d’être présenté devrait se réaliser entièrement.

-comme le seigneuriage correspond à une augmentation de la masse monétaire en circulation,

l’offre de monnaie nationale est ainsi en hausse par rapport aux devises étrangères. Une telle 5 4 3 2 2 1

Seigneuriage S Hausse des G

Hausse de C Hausse de Y Hausse de I Variables S : seigneuriage G : dépenses publiques C : consommation I : investissement Y : croissance économique

163 situation déprécie la monnaie nationale (Mishkin, 2010397), ce qui peut être une source de compétitivité-prix pour la production domestique. Ainsi, si les entreprises anticipent une hausse de la demande étrangère pour leur production grâce à cette dépréciation de la monnaie nationale, elles peuvent être incitées à investir et à produire davantage, ce qui est bénéfique pour la croissance économique.

Malgré ces deux effets positifs, la littérature économique met plutôt en exergue les effets négatifs du seigneuriage sur la croissance économique, lesquels effets devraient inciter le Gouvernement à ne pas recourir à ce type de financement pour le déficit public (Cagan, 1956 ; Buiter, 1987 ; Kiguel, 1989 ; Sokic, 1996). On peut relever trois principaux effets négatifs du seigneuriage.

Premièrement, en dépit du fait que le seigneuriage contribue à apporter des ressources financières non négligeables et est un financement exogène, il doit respecter un certain nombre de conditions pour être efficace. En effet, étant donné que le seigneuriage correspond

à une hausse de la masse monétaire en circulation, il faut qu’il ait une contrepartie productive au risque d’être inflationniste et d’exercer un effet récessif sur la croissance économique

(Guilbaud, 2007398; F. Huart, 2012, p. 174). Ce risque peut s’expliquer par le fait qu’en augmentant la masse monétaire en circulation, le Gouvernement met à disposition de

l’économie plus de liquidités ou plus de moyens de paiements. Cette masse monétaire est

principalement destinée aux ménages (sous forme de dépenses de transfert monétaire),

lesquels vont gagner en terme de pouvoir d’achat et seront incités à consommer.

Seulement, si la demande augmente alors que l’offre est structurellement lente à réagir399

, le pays peut subir des pressions inflationnistes qui in fine viendront ronger le pouvoir d’achat des ménages de manière plus globale. Par la suite et en se basant sur le principe de la demande effective, le seigneuriage exerce alors un effet récessif à travers la baisse de la consommation, laquelle amenuise les incitations des entreprises à produire et à investir, ce qui

ralentit ou freine la dynamique économique. On pourrait penser qu’il s’agit d’un effet récessif

similaire à celui causé de la hausse des prélèvements obligatoires. Ce n’est pas tout à fait le

397 Monnaie, banques et marchés financiers, 9ème édition, Pearson, p. 698.

398 La nécessaire (r)évolution du mode de vie occidental, subie ou choisie, Editions Racine, p. 192.

164 cas étant donné que leurs mécanismes de transmission sont différents selon la présentation suivante :

Tableau 21-Comparaison des effets récessifs du financement fiscal et du financement monétaire

Hausse des PO

Baisse du revenu disponible (contribuables)

Baisse du pouvoir d’achat (contribuables) sans tenir compte de l’évolution des prix

Baisse de la demande (contribuables) Baisse des incitations à investir et à produire

Baisse de la dynamique économique

Seigneuriage

Hausse du revenu disponible (bénéficiaires)

Hausse du pouvoir d’achat (bénéficiaires)

Hausse de la demande (bénéficiaires) Pressions inflationnistes

Baisse du pouvoir d’achat global à cause de l’évolution des prix

Baisse de la demande globale

Baisse des incitations à investir et à produire Baisse de la dynamique économique

Ainsi, pour être efficace, le seigneuriage doit servir à financer un déficit ex post (ou des

dépenses déjà engagées). En effet, s’il sert à financer un déficit ex ante, le risque inflationniste

est susceptible de se réaliser rapidement car ce déficit correspond à une demande pour

laquelle l’existence d’une contrepartie productive immédiate n’est pas garantie. On se

retrouve alors dans une économie où la demande augmente tandis que l’offre demeure

constante, ce qui provoque un ajustement par les prix. Selon la loi de l’offre et de la demande, lorsque la demande est supérieure à l’offre, les prix augmentent à cause de la rareté de la

production. La hausse des prix est défavorable à la consommation et, donc, aux incitations à investir, ce qui affecte négativement la croissance économique.

Deuxièmement, si toutefois les entreprises veulent profiter de la hausse des prix pour faire plus de bénéfices, elles auront, certainement, tendance à investir. Seulement, les entreprises sont, généralement, des agents à besoin de financement et, de ce fait, pour investir, elles

doivent emprunter. La hausse de la demande de crédit suite à une hausse de l’inflation augmentera le taux d’intérêt, ce qui pénalisera in fine les entreprises qui n’ont pas pu se

165 financer à temps comme mentionné auparavant. Si on admet la thèse selon laquelle il existe

une relation inverse entre le taux d’intérêt et l’investissement400

(P. A. Muet, 2004401 ; A. Nurbel, 2008402; Burda, 2009), la hausse du taux d’intérêt devrait décourager les efforts

d’investissement, ce qui exercerait un effet récessif sur la croissance économique.

Troisièmement, même si le seigneuriage peut avoir un effet positif sur la croissance économique en dépréciant la monnaie nationale et lui fournissant une certaine compétitivité-

prix, la dépréciation n’est pas forcément bénéfique. En effet, si le pays n’est pas exportateur

(i.e. s’il n’a pas de production à écouler sur les marchés internationaux) ou si le pays est structurellement plus importateur, cette compétitivité-prix n’a aucune utilité ou a peu d’utilité. La dépréciation risque en revanche de renchérir fortement les importations, ce qui aggraverait le déficit commercial du pays. On pourrait utiliser la condition de Marshall-Lerner (ou le

théorème des élasticités critiques) pour déterminer l’effet de la dépréciation de la monnaie nationale sur l’économie. Selon ce théorème, la dépréciation peut avoir un effet positif sur la

balance des transactions courantes si la somme (en valeur absolue) des élasticités des

exportations et des importations par rapport au taux de change est supérieure à l’unité. Si cette condition n’est pas respectée, on devrait plutôt s’attendre à une détérioration de la balance des

transactions courantes.

Même si un déficit extérieur n’est pas nécessairement le signe d’une économie en mauvaise santé, on peut soutenir qu’il peut révéler une certaine forme de dépendance envers les autres

pays, laquelle peut être une cause ou une conséquence de la faiblesse de sa croissance

économique. En effet, un pays ne produisant pas suffisamment est tenu d’importer une partie

des biens et services indispensables à la consommation de sa population, ce qui a tendance à

l’entraîner dans le déficit extérieur. En revanche, un pays habitué à importer ce dont il a besoin peut se trouver dans une situation où il n’arrive plus à développer localement les

compétences productives pour sortir de cette dépendance. Les importations sont en effet une source de concurrence pour les entreprises et les producteurs domestiques. La compétitivité- prix et la compétitivité-hors prix des biens importés peuvent avoir un effet néfaste sur ces derniers et détruire le tissu économique du pays. Tout compte fait, le seigneuriage peut

400 Il convient de souligner qu’en période de basse conjoncture, l’efficacité marginale du capital n’est pas

nécessairement garantie, ce qui fait que la hausse du taux d’intérêt se traduit par une baisse de l’investissement.

401Introduction à l’analyse macroéconomique, Editions de l’Ecole polytechnique. 402

166 détériorer la croissance économique en entretenant le déficit extérieur à travers la dépréciation de la monnaie nationale (au lieu de donner au pays une meilleure compétitivité-prix).

Par ailleurs, le renchérissement des importations peut être accompagné d’une inflation

importée qui viendrait éroder le pouvoir d’achat des agents économiques et qui viendrait gonfler les coûts de production des entreprises (en effet, ces dernières ont besoin d’importer

des matières premières ou des produits semi-finis pour assurer leur production) (Védie, 2011403). On retrouve le mécanisme décrit précédemment concernant l’inflation et la croissance économique.

Enfin, comme le seigneuriage vient d’une augmentation de la masse monétaire en circulation,

et que cette dernière peut être inflationniste, la compétitivité-prix des biens domestiques est détériorée du fait de cette inflation, ce qui aggrave le déficit extérieur et ralentit la croissance économique. Cette perte de compétitivité des exportations exerce un effet désincitatif sur les

entreprises, lesquelles ne trouveront pas d’intérêt à investir ou à produire davantage, d’où l’effet récessif sur la croissance économique.

Pour résumer, le seigneuriage présente à la fois des effets positifs et des effets négatifs sur la croissance économique. Ainsi, avant de mettre en place le financement monétaire, le Gouvernement doit faire un arbitrage entre les deux effets et trouver un juste milieu

permettant d’obtenir le plus d’efficacité possible. On peut de ce fait mener une analyse en termes d’optimalité comme avec les prélèvements obligatoires.

Pour les prochaines analyses, on se focalisera sur l’inflation comme variable de transmission

du seigneuriage à la croissance économique. Ainsi, l’effet positif du seigneuriage est supposé être limité compte-tenu du fait qu’il génère une inflation, laquelle diminue le pouvoir d’achat des ménages et donc leur demande.

Face à une telle perspective, les entreprises revoient à la baisse leurs investissements, ce qui réduit la production et la croissance économique. On peut faire une représentation schématique de ce mécanisme comme suit :

403

167

Schéma 21-Seigneuriage, inflation distorsive et croissance économique

Ainsi, étant donné que le seigneuriage présente des effets négatifs et des effets positifs sur la

dynamique économique, il peut également faire l’objet d’une analyse en termes d’optimalité.

Toutefois, à la différence de ce qui est présenté dans le chapitre précédent qui traite de

l’optimalité financière, l’analyse porte sur l’optimalité économique dans le paragraphe

suivant.