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Raréfaction des peuplements à structure interne complexe

4. Analyse des enjeux liés aux attributs de structure interne des peuplements et au bois mort

4.2 Analyse et diagnostic des principaux enjeux liés à la structure interne des peuplements et

4.2.2 Forêt boréale et mélangée

4.2.2.1 Raréfaction des peuplements à structure interne complexe

Nous avons vu plus haut que la structure interne du peuplement se développe généralement avec le temps. Plus l’intervalle entre deux perturbations majeures est long, plus le peuplement a des chances de développer une structure interne complexe. Certes, la CPRS permet la protection efficace de la régénération mais, en général, ce type de coupe ne permettra la reconstitution que d’une seule cohorte d’arbres qui formera un peuplement ayant une structure régulière. De plus, comme les révolutions forestières sont plus courtes que les cycles naturels de perturbation, les peuplements n’ont pas le temps de développer à nouveau une structure interne complexe1. Ainsi, le rythme de coupe est susceptible de provoquer la raréfaction des peuplements à structure interne complexe à l’échelle du paysage. Cela constitue un écart par rapport à la forêt naturelle qui cause la raréfaction d’un attribut clé pour la biodiversité.

État de référence utilisé  

À partir de la connaissance des régimes de perturbations naturelles, il est possible de déduire la proportion de la superficie susceptible d’être occupée par des peuplements à structure interne complexe. Bien que cette déduction demeure une approximation, elle s’avère valable pour poser un premier diagnostic afin de prendre cet enjeu en compte dans les PAFI de 2013-2018.

Le registre des états de référence (Boucher et autres, 2011) statue sur ce paramètre et établit une proportion de peuplements à structure interne complexe par unités homogènes de végétation. Le registre contient donc la proportion naturelle des peuplements ayant dépassé 200 ans, moment à partir duquel ils sont réputés posséder une structure interne complexe (Bergeron et autres, 1999). Cette donnée peut être validée par les reconstitutions historiques locales ou régionales lorsque celles-ci sont disponibles, par l’information contenue dans les PRDIRT ou par des études scientifiques.

À partir des données du registre, nous suggérons de fonctionner par classes de proportion du territoire couvert par les peuplements à structure interne complexe dans la forêt naturelle (tableau 14). Cela permet d’offrir une image valable, malgré une certaine imprécision, en établissant des seuils de probabilité à partir desquels les équipes de planification pourront mesurer un écart par rapport à la forêt actuelle.

Tableau 14 Classes de proportion du territoire couvert par les peuplements à structure interne  complexe dans la forêt naturelle 

Classe Proportion du territoire (%) Exemple régional

Occasionnel < 25 Waswanipi

Fréquent De 25 à 50 Péribonka

Dominant > 50 Sept-Îles

1. Il s’agit d’une tendance générale qui n’exclut pas la possibilité que certains peuplements conservent une structure régulière plus longtemps que d’autres ou, par ailleurs, que certains peuplements développent une structure interne complexe plus rapidement à la suite d’une mortalité irrégulière

La classe « Occasionnel » signifie que les peuplements à structure interne complexe étaient relativement peu abondants dans la forêt naturelle, comparativement à la classe « Dominant » pour laquelle les peuplements à structure interne complexe occupaient la majeure partie du territoire.

Peuplements à structure interne complexe  

Tel que cela est mentionné dans la description de l’enjeu, il existe différentes façons de décrire la structure interne des peuplements. La distribution diamétrale des tiges en est une où l’on distingue les peuplements de structure régulière, irrégulière ou jardinée (distribution en

« J » inversé). Cette typologie cerne une partie de la variété naturelle, mais d’autres aspects doivent être considérés pour refléter toute la complexité biologique. L’étagement vertical du feuillage exprime une autre forme de complexité où les arbres de différentes tailles ou de différentes essences créent une structure interne complexe. La complexité s’exprime aussi sur le plan horizontal. Les trouées et les bouquets de densité ou de hauteur variée engendrent parfois une hétérogénéité horizontale qui est une autre forme de complexité structurale. Le bois mort en plus ou moins grande quantité est également un facteur qui confère une structure au peuplement.

Il est aisé de visualiser intuitivement tous ces paramètres. Par contre, ils sont plus difficiles à décrire quantitativement, compte tenu du grand nombre de variables et des différentes échelles à considérer. Ce genre de préoccupation à propos de la structure, vue sous l’angle plus large de la biodiversité, est relativement récent au Québec et il n’existe pas encore de typologie claire et reconnue à ce sujet. Néanmoins, à ce stade-ci, il est possible de procéder à une discrimination basée sur un ou plusieurs facteurs (structure diamétrale, étagement vertical ou hétérogénéité horizontale) pour distinguer les peuplements dont la structure est manifestement régulière des peuplements à structure interne plus complexe. Ainsi, pour qualifier rapidement l’état des peuplements, les critères d’interprétation présentés dans le tableau 15 peuvent être utilisés. Selon la disponibilité d’études ou de connaissances locales, ces critères mériteraient d’être raffinés. Lorsqu’un peuplement répond à au moins un de ces critères, il est jugé à structure interne complexe.

Tableau 15 Critères d’interprétation des peuplements à structure interne complexe 

Critère Caractéristique recherchée

Structure diamétrale Irrégulière, jardinée (« J » inversé)

Étagement vertical Obstruction visuelle moyenne à forte (voir les classes établies pour la méthode d’inventaire par points d’observation [Béland, 2008]) sur plus de 50 % de la superficie Hétérogénéité horizontale Les trouéesaoccupent plus de 25 % de la superficie

a. Pour les besoins de l’analyse, une trouée correspond à une superficie renfermant moins de 50 m³/ha, calculée à partir d’un rayon d’une longueur d’arbre (~15 m), soit approximativement 700 m².

Analyse diagnostique  

La description exhaustive et précise de l’état actuel de la situation des peuplements à structure interne complexe peut nécessiter des efforts importants selon les données disponibles. Il se pourrait même que cela requière de nouvelles acquisitions de données. Toutefois, dans l’optique de minimiser les efforts tout en permettant de poser un diagnostic valable de l’état de la situation, il est possible d’utiliser les données actuellement disponibles en émettant certaines hypothèses. Par exemple, il est raisonnable de poser l’hypothèse que les coupes totales ou les

CPRS ont engendré ou engendreront des peuplements de structure régulière, dans la mesure où ceux-ci ne subissent pas de perturbations partielles par la suite1. De même, la plupart des peuplements qui n’ont pas atteint le stade de développement « vieux », tel qu’il est défini dans le chapitre 1, sont probablement de structure régulière. Ces hypothèses devraient faire l’objet de discussions et de validation auprès des forestiers de terrain dans chacune des régions afin d’obtenir un état de la situation qui soit le plus réaliste possible.

Ainsi, à partir des données déjà compilées lors de l’analyse des structures d’âge (chapitre 1), il est suggéré d’estimer, au meilleur des connaissances locales et pour chacune des strates forestières cartographiques comprises dans le stade de vieux peuplements, la proportion des peuplements à structure interne complexe qu’elle contient. Pour faciliter cette estimation, les critères d’interprétation des peuplements à structure interne complexe peuvent être utilisés (tableau 15). Bien qu’ils ne soient pas tous considérés comme vieux (voir le chapitre 1), les peuplements étagés ayant des classes d’âge composées (ex. : 50-120) doivent aussi être analysés puisqu’ils possèdent généralement une structure interne complexe.

Dans les régions où la cartographie du quatrième inventaire décennal est disponible, l’interprétation sera facilitée par certaines variables qui permettent de préciser la structure interne des peuplements à l’aide de la carte (ex. : la classe VIR). Pour les régions où ces données ne sont pas encore disponibles, certaines inférences seront sans doute requises. Par exemple, la densité des peuplements est probablement une variable qui aide à distinguer les peuplements susceptibles de posséder une structure interne complexe. L’information obtenue devrait être compilée par UTR ou UTA dans un tableau synthèse comme dans l’exemple du tableau 16. Il importe d’ajouter à cet exercice la superficie des peuplements plus jeunes que l’on juge posséder une structure interne complexe (ex. : la classe JIR).

Ce tableau devrait être construit à partir de l’expertise des forestiers de terrain. Des consultations auprès des principaux experts locaux devraient servir à en faire une première ébauche. Pour éviter les erreurs qui pourraient provenir de perceptions non fondées, et pour valider les hypothèses du tableau, des vérifications devraient être faites. Pour ce faire, il est possible d’utiliser :

• les résultats des projets de photo-interprétation fine réalisés dans plusieurs régions pour orienter les prescriptions sylvicoles. Selon les devis de photo-interprétation utilisés, les résultats fournissent des tendances concernant la proportion de strates cartographiques qui renferment des peuplements à structure interne complexe;

• la méthode d’inventaire par points d’observation (Béland, 2008), utilisée dans plusieurs régions, pour guider la prescription de coupes à rétention variable. Cet inventaire permet une caractérisation sur le terrain de la structure interne des peuplements. Les données recueillies pourraient rendre possible une validation continue des hypothèses du tableau 16, sans nécessiter un effort d’inventaire supplémentaire là où cette approche est appliquée;

• la méthode mise au point par Boucher, De Grandpré et Gauthier (2003) pour classifier la structure interne des peuplements à partir des données de placettes-échantillons temporaires (PET). Cet outil pourrait aider à associer une distribution diamétrale à certaines strates de vieux peuplements du tableau;

• les données tirées des outils de télédétection tels le Lidar ou les nuages de points photogrammétriques pour caractériser la structure des peuplements.

1. Cette hypothèse s’avère probablement moins vraie dans le cas des coupes avec protection de la haute régénération et des sols (CPHRS) qui sont

Tableau 16 Exemple de la proportion des strates de vieux peuplements à structure régulière et à structure 

a. Ici, c’est une probabilité de proportion de la strate qui possède une structure complexe.

Autre façon de procéder  

Dans certains cas, il peut être plus facile de déterminer, dans un premier temps, les peuplements possédant une structure manifestement régulière et d’estimer ensuite la proportion des peuplements à structure interne complexe.

Synthèse des résultats obtenus  

À partir des résultats du tableau précédent et en utilisant les mêmes unités de compilation que pour les enjeux liés à la structure d’âge des forêts (chapitre 1), il est possible d’établir un état de la situation par UTR ou par UTA afin de poser un diagnostic à l’échelle du paysage.

Dans un deuxième temps, une analyse plus fine devrait permettre de localiser les zones de concentration des forêts à structure interne complexe. Ainsi, dans les unités territoriales (UTR ou UTA) où des opérations de récolte sont envisagées au cours des prochaines années, des analyses géomatiques devraient être réalisées afin que les peuplements à structure interne complexe soient localisés. Nous suggérons une analyse de la répartition spatiale intra-UTR ou intra-UTA de ces peuplements à partir des strates contenant ce type de peuplement. Cette analyse doit inclure toutes les superficies forestières productives, c’est-à-dire tant celles qui sont accessibles pour la récolte que celles qui ne le sont pas parce qu’elles se situent en terrain inaccessible ou qu’elles bénéficient d’une protection découlant d’une affectation territoriale particulière (aires protégées ou autres). Les analyses géomatiques permettront de préciser le diagnostic, notamment dans le but de :

• prévoir l’évolution prochaine de la situation. En fonction du déploiement prévu des activités de récolte, il est possible d’envisager l’évolution de la situation au cours des 5, 10 ou 15 prochaines années. Dans certains cas, par exemple, les peuplements à structure interne complexe peuvent se situer dans une portion jusqu’ici peu touchée par la récolte. Cette analyse permettra de mettre en place des actions préventives dans les endroits où l’écart avec la forêt naturelle est susceptible d’augmenter au cours des prochaines années.

• détecter les reliquats de la forêt naturelle. Dans les paysages où l’écart avec la forêt naturelle est déjà grand, les analyses fines permettront la détection des reliquats de peuplements à structure interne complexe pour l’application de solutions qui mettront un frein à leur raréfaction.

• découvrir les meilleures options sylvicoles. La localisation des zones où sont présents les peuplements à structure interne complexe permet de détecter les endroits où il est plus facile d’implanter des régimes sylvicoles de la futaie irrégulière. Par exemple, dans la forêt boréale cette information pourrait influencer le choix lors de la localisation des massifs de forêts pérennes aménagés.

• distinguer les patrons spatiaux de distribution. Il peut être important de faire la distinction entre les cas où les peuplements à structure interne complexe sont concentrés et ceux où ils sont distribués de manière éparse. Cette information influencera grandement le choix de solutions selon les contraintes opérationnelles liées à l’éparpillement des efforts sylvicoles.

• relier l’information à celle des stations forestières. En vue de faciliter l’utilisation des guides sylvicoles et pour aider au choix des scénarios sylvicoles, un lien devrait être établi entre la présence des peuplements à structure interne complexe et les stations forestières où on les trouve principalement. La composition actuelle de ces peuplements est également un facteur essentiel à considérer dans le choix des scénarios sylvicoles.

Résultats escomptés de l’analyse 

Échelle du paysage : ratio entre la superficie forestière productive occupée par des forêts à structure interne complexe et la superficie forestière productive totale, et ce, pour chaque UTR ou UTA.

Échelle de l’unité d’aménagement : proportion des UTR ou des UTA qui s’écartent des conditions naturelles, c’est-à-dire qui régressent d’une catégorie à l’autre (ex. : de dominants à fréquents, ou de fréquents à occasionnels, ou lorsque les occasionnels deviennent rares).

Localisation des zones de concentration de peuplements à structure interne complexe.

À partir de ces analyses, les équipes d’aménagistes sont appelées à poser un diagnostic qualitatif en statuant sur la situation de chacune des UTR ou des UTA de l’unité d’aménagement à l’égard de cet enjeu, ce qui les guidera dans l’élaboration de la stratégie d’aménagement.

L’écart est faible et le demeurera : cet enjeu ne se pose pas et il n’y a pas d’action à mettre en œuvre.

L’écart est faible, mais il est susceptible de se creuser : il faut trouver les solutions et acquérir l’expertise pour un déploiement à grande échelle prochainement (d’ici 5 à 15 ans).

L’écart est grand et il reste peu d’endroits où les conditions de la forêt naturelle existent encore : il est urgent de circonscrire ces endroits et de mettre immédiatement en œuvre des pratiques permettant d’y maintenir des conditions naturelles. Ailleurs, il faut envisager des actions de restauration.

L’écart est grand et les conditions de la forêt naturelle sont disparues : il faut élaborer et expérimenter des actions de restauration à une échelle opérationnelle.

Attention!  

Il faut porter une attention particulière à l’évolution présumée de la situation. En fait, si les pratiques  forestières actuelles sont maintenues, l’enjeu de la raréfaction des peuplements à structure interne  complexe est susceptible de s’aggraver. 

Photo : Frédéric Bujold

4.2.2.2 Simplification et uniformisation de la forêt de seconde venue