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Rapport succinate/glutamate: un nouveau marqueur spécifique des paragangliomes liés à une mutation SDHx (annexe 3)

Dans ce travail, nous nous sommes intéressés aux phéochromocytomes et aux paragangliomes associés à des mutations germinales au niveau des gènes impliqués dans le métabolisme énergétique et en particulier les gènes codant pour l’enzyme succinate déshydrogénase (SDH). Les tumeurs SDH sont extrêmement agressives, en particulier celles présentant une altération de la sous unité génique SDHB. Nous n'avons pas inclus les tumeurs associées aux mutations RET ou NF1 car ces formes sont presque toujours associées à d'autres manifestations syndromiques qui permettent plus facilement leur diagnostic.

L’approche méthodologique utilisée dans cette étude est différente des deux présentées auparavant. En effet, nous avons exploré les modifications métaboliques secondaires à des mutations génétiques connues. Nous avons sélectionné quatre métabolites ayant un rôle clef potentiel dans la physiopathologie tumorale : le succinate, le glutamate, le glutathion (GSH) et l’ATP. Une fois quantifiés, ces métabolites ont été utilisés afin de caractériser les phéochromocytomes et les paragangliomes héréditaires et les différencier des formes a priori sporadiques.

Vingt-huit patients non apparentés présentant un diagnostic histologique de phéochromocytome ou paragangliome ont été inclus. Les échantillons tumoraux ont été analysés par spectroscopie RMN HRMAS. Douze patients avaient des mutations germinales des gènes SDH, 6 étaient porteurs de la maladie de von Hippel-Lindau (VHL) et 10 étaient sporadiques. Un spectre 1D 1H HRMAS CPMG avec présaturation du signal de l’H2O a été obtenu pour tous les échantillons (figure 1). Une acquisition 2D 1H-13C HSQC a été effectuée dans un deuxième temps à partir de cas sélectionnés afin d’affiner l’attribution spectrale des différents métabolites considérés.

Sur la base du succinate, du glutamate, du glutathion (GSH) et de l’ATP, des analyses non supervisées (PCA) et supervisées (PLS-DA) ont été effectuées

respectivement pour tester la qualité des échantillons (outliers) et optimiser la séparation entre les différents génotypes tumoraux dans des modéles de classification à 2 ou 3 groupes : (1) Sporadique vs. SDH vs. VHL, (2) Sporadique vs. SDH, (3) Sporadique vs. VHL, (4) SDH vs. VHL. La technique « Monte-Carlo resampling » a été utilisée pour évaluer les performances des modèles en terme de sensibilité, de spécificité et de valeurs prédictives négative et positive. Le test non paramétrique de Mann-Whitney a été employé pour comparer les quantités de métabolites entre les différents groupes.

Le modèle de PLS-DA à trois groupes (figure 2A) basé sur le succinate, le glutamate, le glutathion (GSH) et l’ATP permettait une classification correcte de 8 cas sporadiques sur 10, de 5 cas VHL sur 6 et de tous les SDH. Les performances du modèle pour identifier les tumeurs mutées (VHL + SDHx) ont été les suivantes : sensibilité : 94%, spécificité : 80%, valeurs prédictives positive et négative : 89%et 89% respectivement, précision globale : 89%.

Figure 1. Spectre 1D 1H CPMG HRMAS représentatif des trois sous types génétiques de phéochromocytomes/paragangliomes analysés dans l’étude : sporadiques, SDH et VHL. Le succinate, le glutamate, le glutathion (GSH), l’ATP et la noradrénaline (NE) sont indiqués.

Fig. 2. Représentation schématique des résultats de l’analyse PLS-DA (modèles à 2 et 3 groupes) appliquée aux différents groupes génétiques de phéochromocytomes/paragangliomes étudiés.

Le modèle de PLS-DA construit à partir des échantillons de phéochromocytomes/paragangliomes sporadiques et SDH (figure 2B) permettait une classification correcte de 9 cas sporadiques sur 10 et de 11 cas SDH sur 12. Les performances du modèle pour identifier les tumeurs SDH sont : sensibilité : 92%, spécificité : 90%, valeur prédictive positive et négative : 92% et 90% respectivement, précision globale : 91%.

Dans les deux modèles restants (i.e. sporadique vs. VHL et SDH vs. VHL), toutes les tumeurs ont été correctement classées (Fig. 2C et 2D).

Les tumeurs SDHx présentent une augmentation significative du taux de succinate par rapport aux autres sous-types tumoraux (tableau 1). Ce résultat reflète directement le blocage métabolique lié à l’absence de fonctionnalité de l’enzyme SDH, cruciale dans l’oxydation du succinate en fumarate dans le cycle de Krebs.

Tableau 1. Résultats de la quantification du succinate, du glutamate, du glutathion et de l’ATP dans les phéochromocytomes/paragangliomes sporadiques, SDH et VHL.

En outre, les tumeurs SDH étaient caractérisées par des valeurs significativement plus faibles de glutamate par rapport aux formes sporadiques ou associées à la maladie de VHL (tableau 1), suggérant ainsi une altération possible du métabolisme du glutamate intracellulaire principalement produit par la désamination oxydative de la glutamine. A ce titre, les cellules avec mutation du gène codant pour l’isocitrate déshydrogénase 1 et 2 (IDH 1 et IDH 2) sont également caractérisées par des niveaux inférieurs de glutamate comparativement à leurs homologues de type sauvage. Il est possible que la disponibilité réduite du glutamate dans les tumeurs SDH conduise à la génération de conditions peroxydantes qui favorisent la carcinogenèse. Il n'y a pas d’explication claire pour le faible niveau de glutamate dans les tumeurs SDHx par rapport à d'autres sous-types. L’hypothèse d’une consommation accrue de glutamate dans des voies de biosynthèse alternatives ou d’une biosynthèse réduite du glutamate via la modulation négative de l'activité de la glutaminase ou de la glutamate déshydrogénase peuvent être envisagées.

Nous observons des valeurs plus faibles d’ATP dans les tumeurs SDH par rapport aux tumeurs VHL, probablement en raison d'une glycolyse marquée chez ces dernières. En revanche, les phéochromocytomes et les paragangliomes VHL montrent les valeurs les plus élevées de GSH (tableau 1). Le niveau de GSH semble être un indicateur sensible de la capacité cellulaire à résister au stress

oxydatif. En effet, son potentiel oxydo-réducteur élevé fait du GSH à la fois un puissant antioxydant et un cofacteur pour les réactions enzymatiques qui nécessitent des électrons. La faible quantité de GSH dans les formes tumorales sporadiques peut être liée à l'inhibition de la chaîne de transport électronique (ETC) qui est nécessaire pour la régénération du GSH par synthèse de NADPH. En effet, il a été montré précédemment que les tumeurs sporadiques peuvent présenter une diminution de la respiration mitochondriale.

Ces constatations apportent de nouveaux éléments qui semblent importants pour une meilleure compréhension de la physiopathologie tumorale. Nos résultats suggèrent l'existence d'une empreinte spécifique succinate-glutamate pour les phéochromocytomes et paragangliomes SDH, potentiellement utile dans l'amélioration du diagnostic, le suivi de ces tumeurs et la conception de nouvelles options de traitement.

Enfin, cette étude montre que la spectroscopie RMN HRMAS est une méthode prometteuse et fiable pour la caractérisation ex vivo du profil métabolomique des phéochromocytomes et paragangliomes sympathiques.