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Régulateurs du métabolisme

1.3. METABOLOMIQUE EN ONCOLOGIE : APPLICATIONS

La métabolomique appliquée au cancer a été définie comme l’étude des variations métaboliques globales ainsi que la mesure des profils biochimiques liés aux voies métaboliques connues sous l’influence d’un processus oncogène (Jordan et al. 2007). A partir de cette définition, l’approche métabolomique de la pathologie cancéreuse é été analysée systématiquement, soulevant un certain nombre de questions concernant: (1) la possibilité de détecter les changements métaboliques spécifiquement liés à un état pathologique et les utiliser pour l’établissement du diagnostic et du pronostic ; (2) le choix d’un métabolite, d’un ensemble de métabolite ou d’un réseau métabolique cible pour la métabolomique ; (3) la sensibilité et la reproductibilité des résultats métabolomiques dans le cadre d’études cliniques systématiques.

Les premières études en métabolomique sur le cancer ont cherché à comparer la lésion tumorale avec le tissu sain de même origine anatomique et embryologique avec l’objectif de discriminer les deux populations. Les pathologies le plus souvent étudiées ont été les tumeurs du sein, du colon, du système nerveux central et de la prostate. Dans ces domaines, de nombreux efforts ont étés accomplis pour individualiser et quantifier des biomarqueurs métabolomiques potentiellement utiles pour la détection et/ou l'évaluation de l'efficacité du traitement à partir de cultures cellulaires, de modèles précliniques animaux et d’échantillons tumoraux prélevés chez les malades.

L’étape fondamentale pour atteindre cet objectif est la caractérisation du métabolome tumoral. En utilisant des méthodes métabolomiques classiques, on s’aperçoit que les tumeurs présentent en général, des niveaux élevés de phospholipides (phosphocholine et derivés), une accentuation de la glycolyse et du catabolisme de la glutamine, ainsi que la surexpression de l'isoenzyme PK-M2 (Mazurek et al. 2003, Ackerstaff et al. 2003, Glunde et al. 2006). La PK catalyse la phosphorylation du phosphoénol pyruvate en pyruvate (étape cytosolique déterminante avant l’entrée dans la voie de la respiration mitochondriale) et sa forme inactive est préponderante dans les tumeurs.

La spectroscopie RMN HRMAS a été utilisée pour la première fois en 1998 afin d’étudier des biopsies tissulaires de cancer du sein (Cheng et al. 1998). Les

spectres obtenus à partir de ces échantillons tissulaires montraient d’importants signaux liés aux lipides, à la choline et au lactate, identifiés à partir d’échantillons tissulaires frais. Les profils métaboliques de tumeurs mammaires ont ensuite pu être établis en utilisant des spectres mono- et bidimensionnels et en comparant ces résultats avec ceux obtenus après extraction à l’acide perchlorique (Sitter et al. 2002). Le tissu cancéreux mammaire montrait un taux élevé d’acides aminés (glycine, lysine, asparagine, aspartate, alanine, valine, leucine, isoleucine, glutamate, glutamine, tyrosine et histidine), des métabolites impliqués dans le cycle énergétique (glucose et lactate) ainsi que des dérivés de la Choline (glycerphosphocholine (GPCho), phosphocholine (PCho) et choline (Cho). Les relations entre le motif métabolomique et les caractéristiques cliniques des patientes ont été également explorées (Cheng et al. 1998, Sitter et al. 2002) comme la corrélation entre le rapport Lactate/Choline et le grade tumoral ou entre les concentrations de choline et glycine et la taille de la tumeur primitive. D’autres auteurs ont rapporté la possibilité de prédire le statut hormonal, l’envahissement ganglionnaire et le grade tumoral à partir du profil métabolique obtenu à partir des analyses NMR HRMAS (Bathen et al. 2007).

Comme pour le cancer du sein, l’analyse ex vivo d’échantillons tissulaires d’adénocarcinome prostatique par la RMN HRMAS a été testée pour définir un profil biochimique spécifique ainsi que de nouveaux biomarqueurs pouvant être corrélés aux différents critères cliniques et paracliniques. Des concentrations plus élevées de PCho et GPCho, choline totale (tCho), lactate et alanine ont été rapportées au niveau du tissu tumoral par rapport au tissu glandulaire sain et au stroma inflammatoire (Swanson et al. 2006). Le tissu glandulaire sain montrait des concentrations significativement plus importantes de citrate et polyamines et plus faibles de Cho et dérivées. De plus, la taurine et le myo-inositol sont augmentés dans les tumeurs (Kuhranewicz et al. 2002, Swanson et al. 2003). Tomlins et al. en 1998 ont détecté une abondance spectrale relative des lipides dans des échantillons tumoraux comparés à des prélèvements d’hypertrophie prostatique bénigne, analysés par RMN HRMAS à 9,4 T, suggérant une éventuelle utilisation de la NMR HRMAS pour analyser des biopsies prélevées à l’aiguille fine pour le diagnostic clinique. On outre, la corrélation existant entre le stade tumoral et le profil métabolomique global obtenu à partir des échantillons tumoraux a été mise en évidence par Cheng et al. en 2005.

La comparaison par RMN HRMAS entre tissus sain et tumoral prélevés chez le même patient a permis de déterminer le motif métabolique du cancer colorectal et les métabolites clefs dans la différenciation des deux groupes (Chan et al. 2009, (Jordan et al. 2009, Righi et al. 2009, Piotto et al. 2009, Tessem et al. 2010). L’adénocarcinome colique montre une augmentation des taux de glycine, lactate, acétate, taurine et lipides. Par contre, le tissu sain est caractérisé par une abondance majeure de myoinositol (Piotto et al. 2009). Très intéressante est la forte corrélation démontrée entre le profil métabolique d’échantillons tissulaires tumoraux (Cho et dérivées) et une instabilité microsatellitaire fréquemment retrouvée dans certains types de cancer colorectaux (Tessem et al. 2010).

La métabolomique représente une occasion unique d’explorer le processus complexes de la cancérogenèse et de la biologie tumorale dans le sens plus large. La métabolomique permet à la fois une exploration analytique de « découverte » mais également de cibler des aspects spécifiques du métabolisme néoplasique. Un exemple élégant à ce propos est constitué par les isocitrate déshydrogénases 1 et 2 (IDH1 et IDH2) nicotinamide adénine dinucléotide phosphate (NADP) dépendantes, qui montrent fréquemment une altération fonctionnelle liée à des mutations ponctuelles dans les gliomes (Yan et al. 2009). A partir d’études métabolomiques, on peut mettre en évidence que les formes mutées de IDH1 et 2 catalysent la synthèse du (R)-2-hydroxyglutarate (2HG), à partir de l’α-kétoglutarate (α-KG) (42). Le profilage métabolique par LC-MS/MS et GC- MS des cellules de gliome a montré que les mutations IDH 1 et 2 sont responsables d’une réduction nette de niveau des acides aminés N-acétylés ainsi que des intermédiaires du cycle de Krebs avec en conséquence une accumulation des substrats biosynthétiques, sans affecter en evanche le processus de glycolyse (Reitman et al. 2011). En autre, les effets des mutations IDH 1 et 2 sur le métabolome étaient très semblables aux changements observés dans les cellules normales après traitement avec 2HG. Il semblerait donc que ce soit la production de l’oncometabolite 2HG, et non le dysfonctionnement de IDH, qui constitue la clef du processus pathogéne (Reitman et al. 2011). Très intéressante est l'étude récente de Jain et al. concernant l’exploration du profil métabolomique extracellulaire à partir de lignées cellulaires néoplasiques NCI-60 de l'Institut National du Cancer américain (Jain et al. 2012). Selon cette étude, la consommation de glycine était corrélée au taux de prolifération cellulaire

néoplasique, sans affecter la croissance des cellules non cancéreuses, suggérant une caractéristique spécifique du cancer et l’implication de la voie de biosynthèse des nucléotides puriques.

Malgré ces avancées dans la connaissance du métabolome tumoral, il persiste encore plusieurs lacunes importantes. En particulier, il est difficile de généraliser les résultats obtenus à partir de chaque type tumoral compte tenu de la variabilité métabolomique constatée entre les différentes néoplasies avec comme conséquence directe l’incapacité de déterminer un profil métabolomique tumoral global (Griffin et al. 2004). Toutefois, à partir du profil métabolomique lipidique urinaire, les sujets atteints de cancer ont étés discriminés des volontaires sains avec une precision de 83% (Bathern et al. 2000).