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« L’Histoire est alors devant l’écrivain comme l’avènement d’une option nécessaire entre plusieurs morales du langage »183

Nous interrogerons en premier lieu l’Histoire, un passage presque obligé qui reste toutefois confus dans ce roman.

Nous entendons par le poids de l’Histoire, les évènements, le degré de leur reproduction dans le roman et le discours narratif. Nous entendrons par « Histoire » tout ce qui a trait à « l’historiquement vrai » ; c’est-à-dire, tout ce qui se rapporte aux événements et aux actions véridiques ou tout ce qui a rapport à l’implicite de l’Histoire, les symboles et les dates.

Dans le cas des Amants désunis, l’auteur ne transmet pas celle-ci comme un livre ouvert, car il ne s’agit pas de témoignage, il s’agit de fragments de l’Histoire. Seulement des indices, des dates, des événements, sans pour autant évoquer l’Histoire.

L’auteur se voit obligé de reprendre les réalités de l’Histoire. Comme pour témoigner de la terreur, d’un temps, d’une époque. Autrement dit : « Prendre ses

responsabilités pour dire la situation ». 184

La dimension du réel quant à elle reflète la fidélité de l’auteur par rapport à la réalité de certain événement Historique, d’une part. Et leurs démystifications d’autre part.

En effet l’auteur fait appel aux évènements à chaque fois que la structure narrative l’exige.

« Il est comme ça depuis le premier jour, soupire Zehra. Il ne reconnaît plus

personne. Et tout ça pour quelques maudites patates ! Elle explique à son fils qua Dahmane était parti au marché du bourg vendre des légumes, le lendemain des émeutes de Sétif. Avec la fin de la guerre, beaucoup d’Arabes avaient cru venu le temps de l’indépendance. La police a réagi en tirant sur la foule des manifestant et

183

Pierre Macherey , théorie de la production littéraire. Op,cit, p 36

184

en distribuant des armes aux Européens qui s’en servaient contre tous les Arabes qu’ils rencontraient. Dahmane ignorait tout des événements et en particulier, que des fermiers français venaient de d’être tués, le matin même, par des villageois descendus de la montagne. Le marché encerclé, il avait tenté de fuir mais une balle l’avait atteint à la tête »185

Dans le passage si dessus, le témoignage d’un événement Historique se fait par le biais indices : le narrateur évoque les émeutes de Setif sans pour autant préciser qu’il s’agit du 8 Mai 1945. Dans ce passage il ne s’agit pas uniquement de rendre compte de la terreur et de la mort, en somme du réel, mais également de tenter, par la médiation de la fiction, de lui donner un sens et de transmettre ce sens au lecteur. Pour l’universitaire Beïda Chikhi :

« La vision tragique impose un face à face avec la mort que seules la création, l’histoire et la philosophie peuvent assumer et conduire jusqu’à sa limite, là où les effets s’inversent pour affirmer la vie par delà la mort. » 186

A l’opposé des autres écrivains de la même période « 90» qui ont fait de cette période des documentaires historiques, Benmalek témoigne de la situation algérienne de cette même période, mais aussi de celle des années 50 tout en berçant les méandres de cette tragédie dans l’intrigue d’une écriture fictionnelle.

Pour Jean Pons ces écrits se nourrissent spécialement de la société et de l’Histoire sociale « l’intrigue n’ [en] est que le squelette, sa chair est l’histoire sociale »187.

Benmalek évoque la tragédie algérienne, l’intrigue, cependant il est se à l’opposé de ses confrères écrivains.

En effet ce qui oppose Benmalek aux autres écrivains de « l’urgence » est justement son rapport à l’Histoire.

« J'écris en fonction de ce que j'ai vécu et ce que j'ai vécu est essentiellement algérien (…) Il faut malgré tout écrire. Se dire que s'il y a quelques gens qui vous lisent, c'est toujours ça de gagner. Mais en même temps, je n'écris pas pour le public algérien, je n'écris pas non plus pour le public français, j'écris ce que je pense être important pour moi. Je ne suis pas un écrivain algérien. Je suis écrivain

185 Les amants désunis, p254

186

CHIKHI, Beïda, Littérature algérienne : désir d’histoire et esthétique, Paris, l’Harmattan, , 1997.p222

187

et algérien. Je revendique et mon enracinement en Algérie ainsi que mon droit à l'universalité. Le terme écrivain algérien a une espèce de connotation ethnique… »188

Mous mettons le terme « urgence » entre guillemet car c’est une invention réductrice de la littérature des année 90 devenue cliché, et appellation très courante désignant toute la littérature de ces année la.

A ce propos Charles Bonn parle de cette littérature en fustigeant le concept de (littérature d’urgence).

« La littérature a toujours été en urgence par rapport à l’Histoire » il ajoutera « la parole littéraire, grâce peut être à son aspect dérisoire, est

probablement le seul lieu où l’innommable risque d’entrevoir un sens, qui permettra de vivre malgré tout. »189.

Dans les Amants Désunis, l’auteur fait appel à des détails, il les présente de la manière la plus romanesque qui existe, d’où d’ailleurs la présence d’une grande charge fictionnelle.

L’itinéraire de l’histoire d’amour des deux amants constitue l’histoire des deux périodes. Les deux personnages sont ceux qui véhiculent et animent le roman. Leur union était l’occasion pour évoquer les évènements des années 50, et leur séparation évoque et rappelle un présent ensanglanté.

L’auteur ne donne pas tous les détails des périodes historiques, il ne laisse que des bribes, tels que des actions réelles ou parfois seulement des dates, pour attirer l’attention du lecteur. L’auteur ne ressent pas le besoin d’expliciter tout le contexte historique, pour lui le lecteur est censé savoir tous les détails historiques, mais aussi ceux relatifs à la vie quotidienne, c’est-à-dire la société.

C’est là que nous voyons l’importance du non dit : « L’auteur dit ce qui ne veut pas

dire à travers son silence » 190

188 Interview el watan 2003

189

In Paysage littéraire algérien des année 90 et post-modernisme littéraire maghrébin: témoigner d’une

tragédie ?, ouvrage collectif sous la direction de Charles BONN.

190

Au prologue par exemple, l’auteur nous présente un chapeau représentatif de la situation sociale durant cette période (années cinquante). Cette notion parait sans importance pour l’auteur, il préfère ne plus sacraliser un passé connu déjà par tous les algériens :

« La guerre d'Algérie, elle aussi, ne doit pas se raconter en noir et blanc. Guerre juste par définition, (…) Parler de l'épopée de la libération, du courage sans mesure des maquisards algériens ne peut pas, pour un romancier, se faire sans

évoquer tel ou tel événement abominable »191 Dans le roman l’Histoire est justement reconnue par le biais des dates qui indiquent

l’évènement politique de l’époque. A la page11 il y a écrit au début du prologue : « Aurès, 1955 » 192 ensuite il décrit

l’atmosphère sans pour autant préciser que durant cette période c’était le début du déclenchement de la guerre de libération. C’est aussi le cas pour les années quatre

vingt dix.

Dans d’autres chapitres l’auteur reprend la notion de date sans autres précisions. A la page 29, page vide qui marque le début des chapitres, la date est marquée et bien mise en évidence. Dans le premier chapitre, la date est mise en relief sans aucun titre aucune autre précision la date et seulement la date, une sorte de d’absence de la mémoire Historique, l’auteur n’éprouve pas le besoin de recompter les évènements relatifs à celle-ci. Dans le chapitre I l’auteur ne mentionne rien d’autre que le « I » ensuite il fait appelle à la date « (1997…) » 193 les trois points de suspension sont en fait le non dit qui explique d’ailleurs une longue épopée noire et ensanglante de l’Algérie. A la page 275 mêmes topographies, l’année 90 est mise au début de la page mais pas mise en évidence comme celle de 97. Nous pensons en outre qu’il s’agit d’un retour vers le passé. Ou encore l’auteur est-il plus influencé par les évènements des années 97 Étant donné l’importance des massacres, des bombes et des faux barrages durant ces années-là. En fait l’auteur ne dit pas tout, il se force à ne pas être subjectif, il présente son histoire dans un contexte bien précis et c’est à nous de traduire les non dits.

191

Interview, Le Matin, jeudi 29 août 2002

192

Les Amants Désunis, p11

193

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