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Hypothèse et méthode de travail

Chapitre 1 : Synthèse bibliographique

1.4 Rappels sur la cristallisation en solution

La cristallisation est une opération durant laquelle un changement de phase se développe et une phase solide cristalline se forme à partir d'un solide fondu ou d'une solution. Elle permet de fabriquer des cristaux dont les propriétés peuvent être finement contrôlées.

Dans l'industrie pharmaceutique, la cristallisation est une des étapes les plus sensibles. En raison de l'utilisation finale des produits pharmaceutiques, le contrôle de l’opération se doit d'être particulièrement strict. En vertu des objectifs thérapeutiques des produits, les propriétés telles que la morphologie, la structure cristalline (polymorphes), la taille des cristaux, ou encore la distribution de tailles, doivent être parfaitement maîtrisés. En effet, ces propriétés conditionnent la vitesse de dissolution in vivo des médicaments, ou biodisponibilité, et donc de ce fait l'effet du principe actif dans l'organisme.

Sursaturation 1.4.1

La force motrice du processus de cristallisation est la sursaturation. Elle définit l'état d'un mélange binaire soluté/solvant dont la concentration en soluté dépasse l'équilibre. Les solutions sont dans un état métastable car elles ne sont pas dans un état d'équilibre thermodynamique. Cependant, une faible perturbation peut suffire à les y amener.

La sursaturation est définie par la différence entre le potentiel chimique du solide en solution µiL et le potentiel chimique du solide en solution à l’équilibre µiL,* :

i = µiL(T , P) "µiL,*

Équation 6

La cristallisation du solide est possible lorsque le potentiel chimique du soluté en solution est supérieur à celui du solide en solution à l’équilibre (∆!! > 0) (Mersmann 2001).

La différence de potentiel chimique ou force motrice de cristallisation ∆!!!peut être calculée à partir des concentrations en soluté dans la solution, Ci, et dans la solution saturée, Ci*, et des coefficients d'activité dans la solution, γi, et dans la solution saturée, γi*, et kB la constante de Boltzmann : !µi = kBT ln !iCi !i*Ci* " # $ $ % & ' ' Équation 7

Le rapport de sursaturation est défini par : S= !i !* C i C i* Équation 8

Pour atteindre un état de sursaturation, plusieurs méthodes sont possibles : diminution de la température, évaporation du solvant, par réaction chimique ou par addition d'un anti-solvant. Cette dernière a été la méthode utilisée dans le cadre de ce travail.

Nucléation 1.4.2

C’est l’étape qui permet l’apparition de nouveaux cristaux dans la solution en conduisant à la formation de germes ou nuclei qui permettront la croissance cristalline. Pour que le phénomène de nucléation se produise, le mélange solvant/soluté doit être hors équilibre, dans la zone de sursaturation. Cependant, si cette condition est nécessaire, elle n'est pas suffisante pour que la nucléation spontanée se produise. Le dépassement de l'équilibre n'implique pas une nucléation instantanée.

On distinguera deux types de nucléation, la nucléation primaire qui correspond à l’apparition d’une phase cristalline non préexistante en solution, par opposition à la nucléation secondaire où les nouveaux germes proviennent de cristaux de la même phase, déjà présents en solution (Figure 1.8). La nucléation secondaire a le plus souvent lieu par attrition de cristaux fragiles ou cristallisants en aiguille. Ce phénomène est très important dans les cristallisoirs agités utilisés dans l’industrie. La nucléation secondaire peut également provenir de cristaux que l’on a rajoutés à la solution. On parle alors d’ensemencement (Veesler et al. 2005).

La nucléation joue en rôle décisif dans la détermination de la forme et de la distribution de taille de cristaux. Ainsi, la compréhension des principes fondamentaux de la nucléation est cruciale pour le contrôle du processus de cristallisation (Chen et al. 2011).

Figure 1.8. Types de nucléation.

Nucléation primaire homogène 1.4.2.1

En solution, au sens de la théorie classique de la nucléation, les molécules de soluté diffusent au hasard et finissent par se rencontrer d'autant plus facilement que la concentration et la sursaturation sont élevées. Ces molécules sont en solution à l'état de monomères, dimères, trimères, etc. Par addition successive de monomères, des oligomères ont une taille pour laquelle le qualificatif de germes cristallins peut leur être attribué. Le processus de formation de tels germes met en jeu une variation d’enthalpie libre, appelée énergie de Gibbs, ΔG. Créer un germe implique de créer un volume et une surface, ce qui met en jeu deux énergies antagonistes (ΔGV et ΔGS, respectivement). La solution par la sursaturation, apporte l'énergie de volume mais, dans le même temps, le germe offre une certaine résistance, tendant à diminuer son énergie de surface (Veesler et al. 2005; Chen et al. 2011). Considérant que le germe formé est une sphère de rayon r, la variation d’enthalpie libre de formation d’un germe supposé sphérique de rayon r est donnée en termes de volume et surface par :

!G = !GS + !GV = 4 ! r2"sl +4 ! r3 3 Vm

kBT ln(S )

Équation 9

avec Vm le volume moléculaire du solide et γsl l'énergie interfaciale entre le solide et le liquide. Afin de trouver le rayon critique pour lequel un nucleus peut croître, la dérivée ΔG par rapport au rayon r du nucleus doit être nulle. On peut établir l'expression de ΔGcrithom de la façon suivante :

Nucléation

Primaire

Homogène Hétérogène

Secondaire

Spontanée Induite par particules externes

!Gcrithom = 16!"sl3 Vm2 3 kBT ln(S)

( )

2

Équation 10

La Figure 1.9 montre la compétition entre les deux termes. A l'équilibre, on obtient la taille du germe critique. Ce germe est en équilibre instable. Si l’on lui ajoute une molécule, il croît spontanément, mais si l’on lui retire une molécule, il se dissout spontanément, puisque dans les deux cas il y a diminution de l'enthalpie libre du système (Veesler et al. 2005).

Figure 1.9. Enthalpie libre d'activation de nucléation homogène en fonction du rayon

du solide.

La vitesse à laquelle apparaissent les germes, c'est-à-dire la vitesse de nucléation primaire homogène stationnaire J, est donnée par l'équation 11 (Lindenberg & Marco Mazzotti 2009; Thorat & Dalvi 2012; Dalvi & Dave 2010). En outre, on peut voir, d'après cette équation, que la vitesse de nucléation dépend principalement du rapport de sursaturation, de la température et de l'énergie interfaciale cristal/solution :

J = Ahomexp !"Gcrit

kBT # $ %% & ' (( = Ahomexp ! 16)* 3 Vm2 3kB3T3

(

ln(S)

)

2 # $ % %% & ' ( (( Équation 11

où A est un paramètre cinétique qui dépend du mécanisme de fixation de soluté à la surface des particules en croissance. Une expression de ce coefficient est donnée par l'équation suivante (Dalvi & Dave 2010) :

A hom= 4 3 ! " # $ % & 1 3 'sl k BT ! " ## $ % && 1 2 D ABC*N A Équation 12

où NA est le nombre d'Avogadro et DAB est le coefficient de diffusion du soluté supposée sphérique. Ce coefficient peut être calculé par l'équation de Stokes-Einstein :

DAB = k

BT

6! rcµ Équation 13

où µ la viscosité dynamique du fluide et rc le rayon du germe critique.

Il est important d'examiner les implications pratiques de ces équations pour la formation d’un nucleus dans des solutions sursaturées. Le rayon critique rc et la variation d’enthalpie libre critique ΔGcrithom sont inversement proportionnels au rapport de sursaturation. Par conséquent, plus le rapport de sursaturation est élevé plus ΔGcrithom est petit ce qui fait augmenter la vitesse de nucléation J.

D'autre part, la vitesse de nucléation J dépend fortement de la tension interfaciale cristal/solution : ΔGcrithom est proportionnelle à γsl au cube. Cette tension interfaciale dépend de la nature du solvant utilisé. Lorsque γsl augmente, la barrière d'énergie pour la formation du noyau augmente, ce qui diminue la vitesse de nucléation. Enfin, la vitesse de nucléation J augmente avec l'augmentation du coefficient de diffusion DAB. On s'attendrait donc à une nucléation plus rapide dans les solvants de faible viscosité (McClements 2012).

Nucléation primaire hétérogène 1.4.2.2

La nucléation primaire hétérogène implique l’intervention d’un substrat pour générer un nouveau germe. Ce substrat peut être une paroi du cristallisoir, une poussière, ou même un cristal (d’une autre phase).

La variation d’enthalpie libre pour une nucléation hétérogène ΔGcrithét est inférieure à celle d’un processus de nucléation homogène (Mersmann 2001). Elle est proportionnelle au ΔGcrithom

(Veesler et al. 2005) :

!Gcrithét = f !Gcrithom

Équation 14

Le facteur géométrique correctif f tient compte de l’angle de contact ou de mouillage entre le germe et la surface étrangère.

La nucléation primaire hétérogène se fera donc plus facilement que la nucléation primaire homogène et ce d'autant que le germe présentera plus d'affinité avec le substrat (Veesler et al. 2005).

Nucléation secondaire 1.4.2.3

La nucléation d'une solution légèrement sursaturée est plus rapide quand il y a déjà des cristaux de soluté en suspension.

Parmi les mécanismes de nucléation secondaire, on peut citer :

- la nucléation secondaire vraie : elle correspond à la formation de nuclei à partir de la solution due à une modification de l'état d'équilibre de la distribution des agrégats en solution par la présence de cristaux en solution.

- la nucléation secondaire de contact : elle se traduit par l'arrachement d'agrégats moléculaires de la surface des cristaux parents présents provoqué par contact des cristaux entre eux ou avec la surface du cristallisoir.

- la nucléation secondaire apparente : elle concerne plus particulièrement les cristallisations ensemencées. Il n'y a dans ce cas pas de réelle formation de germes. Les nuclei dits apparents sont des fragments cristallins qui proviennent de la surface des cristaux de semence qui sont séparés de ceux-ci après leur mise en suspension (à cause notamment de l'agitation).

Croissance 1.4.3

Lorsque le cristal a dépassé la taille critique, il se met à croître en incorporant des molécules de soluté supplémentaires à l'interface solide-liquide. Cette croissance durera tant que le milieu restera sursaturé (McClements 2012). Pendant ce processus dynamique le nombre d'unités qui s'attache au cristal est supérieur au nombre qui s'en détache (Veesler et al. 2005).

Les cristaux ont des faciès différents, et chaque face se développe habituellement à un rythme différent, selon le milieu de cristallisation mais aussi la nature des interactions qui la forme et les défauts émergeants à sa surface. Ceci explique en partie la grande variété de formes cristallines qui se forment (McClements 2012).

La vitesse de croissance cristalline globale peut se décomposer en différentes étapes : a) le transfert de matière des molécules du liquide vers l'interface solide-liquide ; b) le transfert de matière des espèces non-cristallisant de l’interface vers la solution c) l'incorporation des molécules au réseau cristallin (McClements 2012).

Un modèle courant utilisé dans le domaine industriel est le modèle du film. Il repose sur l'existence d'un film de solution et d'une couche d'adsorption entourant le cristal. Le soluté traverse le film d'épaisseur par diffusion volumique, puis migre dans la couche d'adsorption d'épaisseur par diffusion surfacique à la recherche d'un site d'intégration. Au-delà du film, la concentration varie dans le film de diffusion volumique jusqu'à la concentration Ci dans la couche d'adsorption. La concentration à la surface du solide est supposée égale à la concentration à l'équilibre C* (Mersmann 2001; Veesler et al. 2005) (Figure 1.10).

Par exemple, la vitesse de croissance G (m/s) d'une particule sphérique, dans le cas d’une limitation diffusionnelle, peut être calculée par :

G= 2DABVm C i !Ci* " # $ % & ' r Équation 15

Le régime de croissance se rapproche d'un régime diffusionnel avec l'augmentation de la sursaturation, de la solubilité, de la taille de cristaux ou de la température. Tandis qu'avec

l'augmentation de la puissance spécifique dissipée par l'agitateur ou de la concentration en inhibiteur de croissance, le régime est plutôt limité par l’intégration.

Figure 1.10. Profil de concentration autour d'un cristal dans le cas du modèle du film

(Modifiée de Veesler et al. 2005).

Agglomération 1.4.4

Contrairement à la nucléation et la croissance, l'agglomération n'est pas un phénomène présent dans tous les processus de cristallisation. Son existence dépend du système et des conditions de cristallisation. Pour la formation d'un agglomérat, trois étapes successives sont nécessaires : la collision, l'association ou attachement (agrégation) et la consolidation entre les particules par des ponts solides (Figure 1.11) (Mersmann 2001; Veesler et al. 2005).

La collision de particules est liée au mécanisme de transport des particules : mouvement Brownien ou mouvement du fluide.

L’agrégation par diffusion Brownienne correspond à l’agrégation péricinétique. Le cisaillement dû à l’hydrodynamique du fluide porteur (laminaire ou turbulent) induit une agrégation dite orthocinétique (Elimelech et al. 1995). Ces deux mécanismes sont compétitifs et comme nous le verrons plus loin si la diffusion Brownienne l’emporte pour les petites particules, c’est l’inverse pour les grosses particules.

Ciint-Ci* Ci-Ciint Ciint C Couche d’absorption Interface cristal-solution Transfert de matière Intégration Solution Film de diffusion ! !a Ci* Cristaux

h

Figure 1.11. Mécanisme d'agglomération de deux particules (Modifiée de Veesler et

al. 2005).

L’attachement est la conséquence d’interactions colloïdales qui sont sensibles à une distance plus petite que la taille de la particule. Les particules ont donc besoin de se rapprocher pour que l’interaction soit significative. Après collision, les interactions entre les particules doivent être telles qu’il y ait formation d’un contact permanent (interactions du type Van der Waals ou attraction hydrophobique). Il existe aussi des forces de répulsion qui empêchent la formation de l’agrégat (répulsion électrique). La nature de ces interactions dépend de la surface de la particule et de la chimie de la solution (pH, force ionique) (Mersmann 2001).

La plupart des modèles de vitesse d'agglomération sont basés sur le travail de Von Smoluchowski (1917), qui établit le mécanisme d'agglomération comme bi-particulaire. Le nombre de collisions rij de deux particules de taille Li et Lj est donnée par l'équation suivante (Mersmann 2001) :

rij = kijNiN j

Équation 16

où Ni et Nj sont, respectivement, les concentrations (nombre de particules par unité de volume) des particules de taille Li et Lj. kij est la constante d'agglomération ou noyau d’agglomération qui dépend de la taille des particules et de leur mécanisme de transport (Mersmann 2001). Étapes de l’agglomération 2) Collision + Association 3) Consolidation 1 2 3 1) Particules en suspension Suspension

Plusieurs paramètres peuvent donc influencer le processus d'agglomération, comme : les conditions hydrodynamiques (mélange, turbulence locale…), la nature du solvant (viscosité), la taille des cristaux, le nombre de cristaux, le rapport de sursaturation et la vitesse de croissance et, également les forces de cohésion entre le solvant, les impuretés et les cristaux.

Mécanismes de collision 1.4.4.1

Collision péricinétique 1.4.4.1.1

Lorsque les particules sont de taille submicronique (L < 0,5 µm), le mécanisme de collision est lié au mouvement brownien des particules. Il s’agit d’un processus de type diffusionnel qui peut donc se produire en milieux stagnant ou agité. Le mouvement des particules est composé d’une série de parcours indépendants et aléatoires, conséquences de la collision entre les particules et les molécules de fluide autour de la particule (Elimelech et al. 1995; David et al. 2003).

La constante de vitesse de collision en régime péricinétique est la suivante (David et al. 2003) :

kbij = 2kBT3µ

(

Li + L j

)

2

LiL j Équation 17

La transition entre les régimes Brownien et laminaire est définie par une taille appelée échelle de Batchelor qui correspond à l’égalité des temps caractéristiques de la diffusion et du cisaillement laminaire. L’échelle de Batchelor (lB) se calcule par l'équation suivante (David et al. 2003) : lB = !DAB2 " ! " # # $ % & & 1 4 Équation 18

ε!est la puissance moyenne dissipée et ν la viscosité cinématique de la solution (= µ/ρ où ρ est la masse volumique).

En-dessous de la distance lB, la diffusion est le phénomène prépondérant pour le rapprochement entre deux particules, alors qu'au-dessus de lB, c'est l'étirement laminaire.

Collision orthocinétique 1.4.4.1.2

Pour des particules plus grandes (L > lB) et en milieu agité turbulent, deux autres mécanismes prendront le relais :

- Si les particules restent plus petites que la micro-échelle de turbulence (l'échelle de Kolmogoroff), les collisions se produiront entre les particules contenues dans les micro-tourbillons créés par la turbulence. À l’intérieur de ces micro-tourbillons, le fluide subit un cisaillement laminaire uniforme. L’agglomération sera alors induite par le champ de cisaillement et concernera uniquement les particules d’un même tourbillon.

- Lorsque les particules sont plus grandes que la micro-échelle de turbulence, elles sont transportées par des tourbillons de plus grandes tailles qui s’interpénètrent et projettent ainsi les particules les unes contre les autres (Veesler et al. 2005).

L'échelle de Kolmogoroff lk caractérise la limite entre les tourbillons turbulents et le mélange laminaire. Pour les structures de fluide de taille inférieure à lk, les distances sont suffisamment faibles entre les points extrêmes de la structure pour que les vitesses ne fluctuent plus l'une par rapport à l'autre.

La taille de Kolmogoroff lk est calculée par l'équation (David et al. 2003) :

lk = !3 " ! " # # $ % & & 1 4 Équation 19

La constante de vitesse de collision orthocinétique entre deux particules Li et Lj est

donnée par l'équation (David et al. 2003) :

klij = 0,16 Li + L j

( )

3 !!"#"$

% & 1

Efficacité d'agglomération 1.4.4.2

Une fois les particules au contact l’une de l’autre, elles doivent rester associées au moins sur une certaine durée, pour que la collision se produise (Mersmann 2001). L’efficacité de l’association est liée aux interactions physico-chimiques entre les particules et/ou aux interactions hydrodynamiques (Arsic et al. 2003).

Au moment de la collision, en raison des forces interparticulaires et des tailles relatives de particules, toutes les collisions ne conduisent pas à la formation d’un agrégat (efficacité de collision : α≠1). S’il existe une forte répulsion entre les particules, l’efficacité de collision est nulle. Quand il existe des forces d’attraction entre les particules et que les forces de répulsion ne sont pas trop intenses, l’efficacité de collision est proche de 1 (Elimelech et al. 1995). En milieu sursaturé, la croissance des cristaux permet la consolidation de l’agrégat pour former ainsi l’agglomérat.