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polymères thermosensibles

II) Synthèse et caractérisation de polymères blocs amphiphiles thermosensibles

1) Rappels bibliographiques

Les avancées récentes en ingénierie macromoléculaire offertes par la polymérisation radicalaire contrôlée2 ont permis un développement sans précédent dans le contrôle architectural des polymères, notamment grâce au travail pionnier d' Otsu et al.3 dans le début des années 1980. Il est ainsi devenu possible de contrôler avec précision leurs caractéristiques telles que leurs fonctionnalités, leur composition, leur masse moléculaire ou encore leur indice de polymolécularité. Les polymérisations radicalaires dites « vivantes » sont des polymérisations contrôlées présentant la particularité (dans un système idéal), lorsque le monomère initial est entièrement consommé, de pouvoir redémarrer si du monomère est réintroduit dans le milieu. Elles permettent notamment de minimiser les réactions de terminaisons inhérentes au processus radicalaire, et ainsi fournissent un contrôle précis de la masse moléculaire ainsi que de la distribution en masse. De plus, elles sont compatibles avec une large gamme de monomères (acrylates, styrène, acrylamides, butadiène et acétate de vinyle), de fonctionnalités (-OH, -NR2, -COOH, -CONR2), et sont réalisables dans des

conditions de synthèse relativement douces, permettant notamment l’emploi de solvants dits « verts » tel que l’eau. De plus, leur application à échelle industrielle est simple et peu coûteuse par rapport à des technologies comparables, ce qui explique le large engouement qu’elles ont suscité ces dernières années (plus de 12000 papiers publiés entre 1995 et 20084).

Il existe de nombreux types de polymérisations radicalaires vivantes, dont parmi les plus étudiées :

- la polymérisation à radicaux libres persistants, telle que la polymérisation contrôlée par des nitroxydes (Nitroxide Mediated Polymerization "NMP"5)

- la polymérisation catalysée par des métaux de transition, telle que la polymérisation par transfert d'atomes (Atom Transfert Radical Polymerization (ATRP)6)

- la polymérisation à transfert dégénératif, tels que les procédés de transfert de chaîne par addition-fragmentation réversible (Reversible Addition-Fragmentation chain Transfert (RAFT)7,8) ou la technologie de conception macromoléculaire par échange de xanthates (Macromolecular Design by Interchange of Xanthates (MADIX)9)

Nous ne détaillerons cependant que cette dernière méthode dans ce manuscrit.

Le procédé RAFT a été découvert au milieu des années 90 par des chercheurs australiens et notamment par l’équipe de Rizzardo10. Cette technologie repose sur un mécanisme de transfert de chaîne via des additions et des fragmentations. Elle emploie des agents de polymérisation de type thio-carbonyl-thio. Parallèlement, en France, Zard et son équipe ont remis au goût du jour la chimie des xanthates (cf. Figure 1), d’abord pour des applications en chimie organique11, puis l’ont adapté à la chimie des polymères à l’aide des chercheurs de la

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société Rhodia pour donner naissance à une technologie basée sur le même mécanisme nommée MADIX12. Nous allons dans un premier temps nous intéresser au mécanisme qui régit la synthèse de polymères d'architecture contrôlée par RAFT. Nous examinerons brièvement l'influence de la structure de l'agent de contrôle sur la synthèse, puis les procédés de polymérisation utilisés. Enfin, nous ferons un point sur l'état de l'art concernant les polymères stimulis-sensibles synthétisés par RAFT.

a) Mécanisme

La structure générale des agents de contrôle utilisés en RAFT et en MADIX sont représentés sur la Figure 1. Elle montre également le mécanisme communément admis de la technologie RAFT.

Figure 1: Agents de transfert de chaîne de RAFT et de MADIX et mécanisme de la polymérisation « RAFT » S S Z R S S O R Z

Agents de transfert de chaîne « RAFT » Agents de transfert de chaîne « MADIX »

Mécanisme de la polymérisation « RAFT » (1) décomposition I (2) I Monomère ki Pm Pm S S Z R Pm S S Z R 1 2 3 Pm S S Z R kadd k-add kb k-b (3) R Monomère Pl Monomère Pn kre-in k p (4) (5) Pm S S Z Pn Pn S S Z Pm Pn S S Z Pm Pn Pm Pm+n ktc ktd P n// PmH 4 Monomère Pl kp +

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La première étape de ce mécanisme8 est l’amorçage du radical. Il a été reporté plusieurs méthodes dans la littérature, telles que l’auto-amorçage thermique de monomères comme le styrène13, l’irradiation UV de l’agent de transfert de chaîne14, les radiations γ15, mais la décomposition thermique d’amorçeurs radicalaires reste la méthode la plus utilisée. L'amorceur va alors réagir avec le monomère pour donner un radical oligomérique en croissance Pm●.

Lors de la deuxième étape, les radicaux oligomériques produits précédemment réagissent avec l’agent RAFT (1). Il a été prouvé que tout l’agent RAFT est consommé dans cette étape16 avant que la propagation ne commence. En effet, la liaison C=S de l’agent RAFT est très réactive, et donc l’addition radicalaire sur cette liaison est hautement favorisée par rapport à n’importe quelle autre addition sur une double liaison présente sur les monomères. L’intermédiaire radicalaire (2) ainsi formé peut soit se re-décomposer en l’agent RAFT (1) original et en radical oligomérique, ou se fragmenter pour former un oligomère de l’agent (3) et ré-amorcer un radical. C’est dans cette étape que la structure du groupement R a de l’importance : il doit être en bon groupe « ré-amorceur ». Il doit pouvoir se fragmenter facilement du radical intermédiaire (2) pour devenir un radical qui réagira sur un monomère pour donner une nouvelle chaine en croissance (étape 3).

Dans l'étape suivante, les chaînes de polymères croissent par ajout de monomère, puis s’échangent rapidement entre les radicaux en croissance existants et les espèces portant le groupement thiocarbonylthio (4). Cet échange rapide dans l’étape du transfert de chaîne assure que la concentration en chaînes croissantes est toujours inférieure à celle des intermédiaires radicalaires stabilisés (4), ce qui limite les réactions de terminaison. Ainsi limitées, les réactions de terminaison (étape 5) se font tout de même via des mécanismes de combinaison (2 chaînes radicalaires en croissance se combinent) ou de dismutation (l’une des chaînes en croissance arrache un proton à l’autre chaîne).

b) Influence des substituants R et Z

Le groupement Z influence grandement la stabilité de l’intermédiaire radicalaire thiocarbonylthio (2)17. En effet, un stabilisant fort favorisera la formation de l’intermédiaire radicalaire et accentuera ainsi la réactivité de la liaison C=S. Cependant la stabilité de l’intermédiaire doit être finement ajustée de manière à favoriser la fragmentation qui permet le relargage du groupement « ré-initiateur » R. Le groupement R doit, quand à lui, être un bon groupement partant par rapport à la chaîne polymérique en croissance, ainsi qu’un bon « ré- initiateur » d’espèces radicalaires vis-à-vis du monomère utilisé18. De nombreuses études ont été menées pour établir les effets des groupements R et Z sur la polymérisation de monomères variés9. Brièvement, il en ressort qu’il est difficile d’établir un classement universel car la réactivité dépend grandement du type de monomère utilisé, ainsi que de paramètres tels que la polarité ou l’encombrement stérique des groupements.

Typiquement pour le groupement Z, pour des monomères à vitesse de propagation lente (styrène), des groupements favorisant la fragmentation tels que les groupements alkyl, phényl, ou benzyl sont préférables pour obtenir un contrôle de la masse moléculaire et de la

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polydispersité. A contratrio, pour des monomères donnants lieux à des radicaux très réactifs tels que les acrylates, les acrylamides ou les acétates de vinyle, un substituant réduisant la réactivité de la liaison C=S est préférable, typiquement un hétéroatome portant un doublet non liant délocalisé sur la double liaison. Ainsi les xanthates (Z = -O-Z’) et les thiocarbamates (Z = -NR1R2) ont été testé avec succès pour la polymérisation de l’acétate de vinyle et ont permis

d’obtenir des indices de polymolécularité de l’ordre de 1,719 et compris entre 1,1 et 1,820 respectivement.

La structure de l’agent de transfert est donc primordiale pour le contrôle de la masse et de la polydispersité, et doit être adapté non seulement au type de monomère utilisé, mais aussi au procédé de polymérisation employé.

c) Procédés de polymérisation

La technologie RAFT/ MADIX a été, jusqu’alors, utilisée dans une vaste gamme de procédés, tels que:

- La polymérisation en volume. C’est de loin le procédé le plus simple, le monomère tient

lieu de solvant. Elle a pour avantage d’être plus rapide que la polymérisation en solution, mais l’augmentation de la viscosité au cours de la polymérisation est le problème majeur de cette technique, notamment pour les polymères à haute température de transition vitreuse (glass temperature Tg).

- La polymérisation en solution. Plus lente que la précédente, elle mène aussi souvent à des

indices de polymolécularité plus élevés, surtout pour les taux de conversion élevés. Un des avantage majeur de ce procédé est qu’il permet la copolymérisation de monomères non miscibles21, en utilisant un solvant commun aux deux monomères. La polymérisation en solution aqueuse a aussi été largement étudiée, notamment par l’équipe de McCormick22. La polymérisation en liquides ioniques ou fluide super critique présente une alternative "verte" aux Composé Organiques Volatils. De surcroît leur utilisation (dans le cas des liquides ioniques) permet d’augmenter les vitesses de réaction.

- La polymérisation en émulsion, procédé probablement parmi les plus étudiés du fait de

ses nombreuses applications à l’échelle industrielle. Elle permet de minimiser les augmentations de viscosité en cours de polymérisation, ce qui permet de conserver un bon transfert de chaleur et d’éviter les problèmes de diffusion du monomère. Les principales difficultés rencontrées pour appliquer la technologie RAFT en émulsion ou en miniémulsion sont notamment la sensibilité à l’eau de certains agents RAFT, des délais d’induction, la ségrégation de l’agent de contrôle et son transport entre les phases, ainsi que l’activité de surface que présentent certains de ces agents. Les challenges majeurs de ce procédé restent le contrôle de la stabilité de l’émulsion et de la masse moléculaire du polymère.

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La technologie RAFT peut donc, par la diversité des agents de contrôle et la souplesse des procédés qu'elle autorise, permettre de polymériser une très large gamme de monomères. Nous allons rapidement voir quels polymères thermosensibles ont été synthétisés grâce à cette technologie.

d) Polymères thermosensibles synthétisés par RAFT

(i) Homopolymères et généralités

Les (co)polymères thermosensibles montrent une transition de phase à une température critique, ce qui cause un brusque changement de l’état de solvatation du polymère. Certains, qui deviennent insolubles sous l’effet du chauffage, présentent une température critique minimum de solution ou point de trouble (Tc). D’autres systèmes

présentent la propriété inverse : ils deviennent solubles sous l’effet du chauffage. Ces phénomènes se rencontrent principalement en solution aqueuse, mais aussi dans les liquides ioniques par exemple. Ces comportements s’expliquent thermodynamiquement, et sont imputables à la compétition entre les effets entropiques, d’une part, de la dissolution du polymère et de l’organisation des molécules d’eau au voisinage des chaînes, et les effets enthalpiques, d’autre part, dûs aux liaisons hydrogènes et aux interactions hydrophobes.

Cette transition de phase a été reportée pour la première fois pour le PNIPAM par Heskin en 196823, polymère qui depuis a été probablement le plus étudié, à cause de sa transition très abrupte aux environs de 32°C24 et de sa biocompatibilité (applications en diagnostic).

Figure 2: Structure des monomères utilisés pour synthétiser par RAFT des (co)polymères thermosensibles25.

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La Figure 2 montre la structure du NIPAM, ainsi que celles des autres monomères polymérisés par RAFT et menant à des polymères thermosensibles. Typiquement pour le PNIPAM, son comportement thermosensible s’explique par sa structure et résulte de deux effets. Ainsi avec l’augmentation de la température il y a :

- Une augmentation de l’entropie due à la libération des molécules d’eau autour des groupements isopropyles lorsque ceux-ci s’associent (de manière similaire à la micellisation des molécules amphiphiles).

- Une augmentation de l’enthalpie entraînée par la rupture ou l’affaiblissement des liaisons hydrogène entre les molécules d’eau et les groupements amides.

La contribution de chacun de ces deux effets dans la séparation de phase reste encore débattue à ce jour. La séparation de phase qui en résulte est en réalité est une transition pelote- globule26,27, c'est-à-dire qu’une chaîne de polymère solvatée va se contracter sur elle-même au-delà de la Tc, expulsant les molécules d’eau entourant la chaîne. Cet effondrement de la

chaîne de polymère transforme la pelote gonflée en un globule dense28, puis ces globules s’assemblent en grosses particules colloïdales métastables dits « mésoglobules » qui donneront la phase séparée. Ces mésoglobules ont été observés pour les homopolymères du PNIPAM29, mais aussi pour des polymères de PNIPAM modifiés30.

De nombreux facteurs peuvent influencer la valeur de la Tc comme l’addition d’un

cosoluté tel qu’un tensioactif ou un sel31, ou encore en modifiant le polymère lui-même. Ainsi, l’avènement de la polymérisation radicalaire vivante a permis un développement sans précédent de structures dérivées du PNIPAM (copolymères dibloc, tribloc) présentant ce même comportement thermosensible32,33.

(ii) Polymères blocs thermosensibles dérivés du PNIPAM

Les polymères blocs32 sont particulièrement abondants dans la littérature, car ils combinent souvent les propriétés de leurs blocs constitutifs. De plus, la combinaison de blocs hydrophobe et hydrophile mène à des structures de type amphiphile présentant des propriétés nouvelles et notamment la capacité de s’auto-organiser en solution aqueuse34,35,36.

Le design d’une architecture de type bloc, de masse moléculaire contrôlée, renfermant un bloc présentant des propriétés d’intérêt comme la thermosensibilité, a donc représenté un défi pour les polyméristes de synthèse. De nombreuses revues sont d’ailleurs parues sur le sujet25,33,37,38 et les copolymères renfermant un bloc de PNIPAM sont légions. Deux types principaux se distinguent :

- Ceux comprenant un bloc hydrophile : par exemple, Convertine et al.39 ont décrit la

synthèse à température ambiante dans l’eau de copolymères dibloc PNIPAM-b-PDMA ou tribloc PDMA-b-PNIPAM-b-PDMA et ont étudié par DDL les tailles obtenues en solution aqueuse au dessus et en dessous de la Tc. Ils ont démontré la réversibilité du phénomène en

étudiant ces tailles pendant 5 cycles de température et ont démontré que la taille des micelles obtenues ainsi que la température de transition étaient dépendantes de la taille du bloc de PNIPAM mais aussi de l’architecture du polymère (dibloc vs tribloc). D’autres

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groupes ont travaillé à l’élaboration de copolymères PNIPAM-b-PDMA40,41,42. Enfin d’autres exemples de copolymères double hydrophiles ont été reportés avec des blocs PEO43 ou PEG44.

- Ceux comprenant un bloc hydrophobe : le PNIPAM étant hydrophile à une température

inférieure à la Tc, l’introduction d’un bloc hydrophobe induit des propriétés d’auto-

organisation en phase aqueuse. Ainsi, Zhu et al. ont synthétisé un copolymère dibloc de Poly(N-isopropylacrylamide)-b-[méthacrylate de 2-hydroxyéthyle-poly(epsilon- caprolactone)]n (PNIPAM-b-P(HEMA-PCL)n)45. Il apparaît qu’il s’auto-organise en

micelles à température ambiante (structure cœur de P(HEMA-PCL), coquille de PNIPAM) et cette propriété est mise à profit pour l’encapsulation d’un agent anticancéreux hydrophobe (le paclitaxel). Le relargage du principe actif est beaucoup plus rapide au-delà de la Tc qu’en deçà, la nature hydrophobe du PNIPAM cassant la structure cœur-coquille

observée à TA et favorable à l’encapsulation. Zhang et al. reportent la synthèse du copolymère bloc amphiphile PNIPAM-b-PMPS (méthacryloxypropyltriméthoxysilane)46 et son auto-assemblage en solution aqueuse, ainsi que la préparation de nanoparticules hybrides cœur silice-coquille PNIPAM en utilisant un procédé sol-gel à l’intérieur du cœur de PMPS. Le même groupe s’est aussi intéressé à la préparation de nanoparticules hybrides à base de PDMAEMA-b-PNIPAM47. L’équipe de Tang rapporte la synthèse et la micellisation en solution aqueuse de PMMA-b-PNIPAM48, et Zhou et al celles de triblocs PSMA-b-PNIPAM-b-PSMA49. De nombreux autres exemples se trouvent dans la littérature mais plus récemment, Destarac et al.1 ont reporté la synthèse de copolymères amphiphiles comportant un bloc de PABu ou de PDMS comme blocs hydrophobes. Ils ont démontré que la Tc du polymère pouvait être contrôlée par un choix judicieux de la

composition du bloc thermosensible. Ces copolymères ont ensuite été utilisés comme co- stabilisants pour des émulsions huile dans eau, et il est apparu que la température de précipitation-redissolution de l’émulsion correspond parfaitement à celle du copolymère seul.