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Rappel sur le temps-fr´equence

Les analyses `a l’ordre deux s’int´eressent aux propri´et´es ´energ´etiques des signaux. Dans le cas stationnaire, la densit´e spectrale repr´esente la distribution

de l’´energie sur les fr´equences constituant le signal. Cette grandeur est fonda- mentale et se doit d’ˆetre la premi`ere quantit´e ´etudi´ee pour la compr´ehension d’un signal. Toutefois, si le spectre est calcul´e pour un signal non stationnaire, cette information est incompl`ete. Par exemple, le spectre d’une modulation lin´eaire de fr´equence montre une partie tr`es large bande, allant des plus basses aux plus hautes fr´equences balay´ees par le signal. Or, dans cet exemple, un tel spectre n’est pas r´ev´elateur de la structure pr´ecise du signal. En effet, la transform´ee de Fourier, base du spectre, consid`ere les fr´equences `a amplitudes non nulles comme pr´esentes `a tout instant dans le signal, et ce n’est manifes- tement pas le cas pour une modulation lin´eaire de fr´equence. Une philosophie s’est alors d´evelopp´ee, `a partir de 1948 et l’article de J. Ville [195], proposant de regarder l’´evolution du contenu fr´equentiel (ou ´energ´etique) d’un signal en fonction du temps. Ceci a conduit `a diverses approches, montrant encore une fois qu’une non-propri´et´e n’a pas de caract´erisation unique. Dans ce pa- ragraphe, nous rappellerons quelques ´el´ements concernant les repr´esentations temps-fr´equence bilin´eaires, dont les extensions aux ordres sup´erieurs font l’ob- jet de la suite de ce chapitre.

4.2.1

Repr´esentations temps-fr´equence

La construction d’une repr´esentation temps-fr´equence d’ordre deux n’est pas du tout triviale. En effet, une telle repr´esentation se doit de v´erifier cer- taines propri´et´es. Pour les repr´esentations bilin´eaires3 , le but est d’obtenir

une r´epartition de l’´energie du signal dans un plan temps-fr´equence, c’est-`a- dire construire une fonction Rx(t, ν). Nous allons exposer quelques propri´et´es

qu’une “bonne repr´esentation” devrait poss´eder pour atteindre ce but. Nous ne voulons pas ici faire une liste exhaustive de ces propri´et´es, mais plutˆot d´egager la philosophie conduisant aux repr´esentations acceptables (des listes compl`etes de propri´et´es souhaitables se trouvent dans [74]).

– R´ealit´e : une densit´e spectrale ´etant `a valeurs r´eelles, on souhaite conserver cette propri´et´e pour une densit´e temps-fr´equence.

– Positivit´e : l’´energie ´etant physiquement positive, il est souhaitable de conserver cette contrainte dans le cas d’une r´epartition d’´energie dans le plan temps-fr´equence.

– Energie : en tant que r´epartition de l’´energie dans le plan temps- fr´equence, la repr´esentation doit permettre de retrouver l’´energie du si- gnal. De mˆeme, la puissance instantan´ee et la densit´e spectrale peuvent ˆetre d´eduites de la repr´esentation (“marginales”).

– Invariances par translation : deux ´ev´enements identiques arrivant `a des dates diff´erentes doivent avoir la mˆeme repr´esentation, `a un retard pr`es (la mˆeme propri´et´e doit ˆetre v´erifi´ee dans le cas d’´ev´enement iden- tiques occupant des zones de fr´equence diff´erentes –modulation d’un

signal par une fr´equence pure–). Notons que l’on parle ´egalement de covariance.

– Conservation des supports (localisation) : un ´ev`enement `a support tem- porel fini aura une repr´esentation ayant le mˆeme support temporel (mˆeme propri´et´e pour un ´ev`enement fr´equentiel `a support fini). – Ind´ependance vis-`a-vis du temps dans le cas d’un signal stationnaire. – etc . . .

Diverses autres proprit´et´es souhaitables pourraient ˆetre cit´ees. Mais il n’est pas certain qu’il existe une repr´esentation temps-fr´equence v´erifiant toutes ces propri´et´es. En fait, toutes ces propri´et´es ne peuvent ˆetre simul- tan´ement v´erifi´ees par les repr´esentations bilin´eaires ; par exemple, la propri´et´e de positivit´e interdit les propri´et´es de marginales [74].

Le terme bilin´eaire est apparu plusieurs fois jusqu’`a pr´esent. En effet, r´ep´etons que nous voulons une transformation non param´etrique capable de r´epartir aussi bien que possible l’´energie d’un signal dans un plan temps- fr´equence. Examiner l’´energie impose de travailler sur le produit des valeurs du signal `a deux instants, x(t1)x∗(t2), ou `a deux fr´equences, X(ν1)X∗(ν2).

Dans le cas stationnaire, le choix des instants n’a pas d’importance, seule la diff´erence entre les deux comptant r´eellement. Dans le cas non stationnaire, les deux instants doivent ˆetre consid´er´es par rapport `a un temps de r´ef´erence, soit l’instant courant t.

La repr´esentation temps-fr´equence doit garder un caract`ere local, et les ´ev`enements apparaissant longtemps avant ou apr`es l’instant de r´ef´erence t ne doivent pas avoir autant d’importance qu’un ´ev`enement proche de t. Nous devons alors pond´erer x(t1)x∗(t2) par une fonction k d´ependant de t, mais

aussi de t1 et t2 qui chiffrent l’´eloignement par rapport `a t (l’analogue station-

naire de cette pond´eration est l’apodisation dans l’analyse spectrale). Cette op´eration peut se r´ep´eter sur l’axe dual de l’axe temporel, l’axe fr´equentiel. En effet, la non-stationnarit´e fait perdre l’orthogonalit´e entre deux composan- tes fr´equentielles X(ν1) et X(ν2). Ainsi, la pond´eration k doit aussi d´ependre

de la fr´equence d’analyse ν. Ces consid´erations conduisent alors `a la forme g´en´erique d’une repr´esentation temps-fr´equence bilin´eaire, soit pour un signal x(t) complexe

Rx(1)(1)(t, ν) =

! !

k(t, ν; t1, t2)x(t1)x∗(t2)dt1dt2. (4.10)

La forme (4.10) est la plus g´en´erale possible, et est donc trop com- pliqu´ee. Les propri´et´es souhait´ees indiqu´ees pr´ec´edemment se transforment en contraintes sur la fonction de pond´eration k(t, ν; t1, t2) qui prendra donc des

formes plus simples. Cette constatation est `a la base de la d´efinition de la classe de Cohen : classe des repr´esentations temps-fr´equence bilin´eaires invariantes par translations temporelle et fr´equentielle.

4.2.2

Classe de Cohen

Certaines des propri´et´es pr´ec´edentes apparaissent comme tr`es naturelles. Parmi celles-ci, les invariances par translations temporelle et fr´equentielle cor- respondent `a des vœux tr`es forts. Il est naturel qu’une repr´esentation se d´ecale dans le temps si l’´ev`enement qu’elle d´ecrit se d´eplace ´egalement. La traduction math´ematique de ces propri´et´es est la suivante :

– translation temporelle : si y(t) = x(t − τ) alors

Ry(1)(1)(t, ν) =Rx(1)(1)(t − τ, ν),

– translation fr´equentielle : si y(t) = x(t) exp(2πν0t) alors Ry(1)(1)(t, ν) = Rx(1)(1)(t, ν − ν0).

On montre alors que Rx(1)(1)(t, ν) prend la forme [74] Rx(1)(1)(t, ν) = ! ! F (t − θ, τ)x(θ +τ 2)x ∗(θ − τ 2) exp(−2πντ)dτdθ, (4.11) o`u F (t, τ ) est une fonction param´etrant la repr´esentation. Les repr´esentations temps-fr´equence bilin´eaires v´erifiant ces propri´et´es d’invariance et s’´ecrivant donc comme (4.11) appartiennent `a la classe dite de Cohen. Un ´el´ement fa- meux de cette classe est la repr´esentation ou transform´ee de Wigner-Ville

WVx(1)(1)(t, ν) qui est obtenue pour F (t, τ ) = δ(t), soit

WVx(1)(1)(t, ν) = ! x(t + τ 2)x ∗(t − τ 2) exp(−2πντ)dτ.

Cette repr´esentation est centrale dans la classe de Cohen, puisqu’elle permet d’engendrer tous les membres de la classe par lissage temps-fr´equence selon

Rx(1)(1)(t, ν) = Π(t, ν) ∗t∗νWVx (1) (1)(t, ν),

o`u Π(t, ν) est une fenˆetre bidimensionnelle (cette fenˆetre est la transform´ee de Fourier par rapport `a τ de la fonction F (t, τ )).

A titre d’exemple, le lissage de la repr´esentation de Wigner-Ville d’un signal x(t) par la transform´ee de Wigner-Ville d’une fenˆetre h(t) conduit au spectrogramme (ou module carr´e de la transform´ee de Fourier glissante) li´e `a la fenˆetre h(t), soit plus explicitement

" WVh(1)(1)(t, ν)#∗t∗νWVx (1) (1)(t, ν) = | ! h∗(t − τ)x(τ) exp(−2πντ)dτ|2. Remarquons enfin que la construction de la classe de Cohen est effectu´ee pour des signaux d´eterministes. W. Martin et P. Flandrin ont montr´e que pour

des signaux al´eatoires harmonisables (classe f(2) de Blanc-Lapierre et Fortet,

voir le paragraphe 2.9.2), l’esp´erance math´ematique de WVx(1)(1)(t, ν) existe et

d´efinit le spectre de Wigner-Ville [144, 74]. Ceci constitue l’extension au cas al´eatoire des repr´esentations temps-fr´equence bilin´eaires, extension qui sera discut´ee plus en d´etail au paragraphe 4.3.2.

Nous avons rappel´e dans ce paragraphe la philosophie des repr´esentations temps-fr´equence, en nous concentrant sur les repr´esentations bilin´eaires. Exa- minons maintenant un exemple de probl`eme pour lequel l’utilisation des repr´esentations ou distributions temps-fr´equence s’av`ere insuffisante.

4.2.3

Non-lin´earit´e et distributions bilin´eaires

Consid´erons le signal x(t) d´efini par

x(t) = e−2π(a1+b1t)t+φ1 + e−2π(a2+b2t)t+φ2 + e−2π(a1+a2+(b1+b2)t)t+φ3,

o`u φ1 et φ2 sont des phases al´eatoires ind´ependantes, uniform´ement r´eparties

sur [0, 2π]. Nous envisageons deux cas pour φ3 :

1. φ3 est ind´ependante de φ1 et φ2, et est uniform´ement distribu´ee sur

[0, 2π].

2. φ3 = φ1+ φ2.

Ces deux situations sont tr`es diff´erentes, puisque la deuxi`eme signifie que la modulation a1 + a2 + (b1 + b2)t provient d’une interaction quadratique entre

les deux premi`eres modulations. Calculons le spectre de Wigner-Ville de ce signal. On doit ´evaluer au pr´ealable E[x(t + τ

2)x∗(t − τ

2)]. Ce calcul se simplifie

en remarquant qu’apr`es avoir d´evelopp´e le produit x(t+τ2)x∗(t−τ

2), six termes

conservent leur caract`ere al´eatoire et ont une contribution nulle par moyennage d’ensemble. Les trois termes restants sont du type exp(−2π(a + 2bt)τ). Le r´esultat vient apr`es le calcul de la transform´ee de Fourier, soit

WVx(1)(1)(t, ν) = δ(ν − (a1 + 2b1t)) + δ(ν − (a2+ 2b2t))

+ δ(ν − (a1 + a2+ 2(b1+ b2)t)).

Le r´esultat est surprenant : il ne d´epend absolument pas du choix fait sur φ3

lors de la mod´elisation. La conclusion est donc que le spectre de Wigner-Ville ne peut faire la distinction entre un ph´enom`ene lin´eaire et un ph´enom`ene non lin´eaire.

Cet exemple simple montre que les repr´esentations temps-fr´equence bi- lin´eaires ne sont sensibles qu’aux propri´et´es du second ordre, et par suite ne peuvent exhiber que des ph´enom`enes lin´eaires.

L’exemple pr´ec´edent d´emontre la n´ecessit´e d’outils diff´erents, adapt´es aux ph´enom`enes non lin´eaires et aux propri´et´es d’ordre sup´erieur des signaux

non stationnaires. De plus, sans montrer d’exemple particulier, l’id´ee de ca- ract´eriser l’´evolution au cours du temps de propri´et´es d’ordre sup´erieur est naturelle. Les applications de telles id´ees `a des ph´enom`enes physiques ne sont pas encore tr`es d´evelopp´ees, mais nul doute qu’elles peuvent ˆetre utiles.

Les motivations ´etant pr´esent´ees, nous proposons maintenant une exten- sion aux ordres sup´erieurs des repr´esentations temps-fr´equence bilin´eaires.