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CHAPITRE 4 Discussion générale

4.1 Rappel de la problématique et des résultats

Au cours des dernières années, l’actualité sportive regorge d’histoires personnelles d’anciens joueurs de hockey, de football américain ou d’athlètes de sports de combat qui présentent un déclin cognitif pathologique suite à de multiples commotions cérébrales (Omalu et al., 2011; Stern et al., 2011). Cette affection de plus en plus fréquente au sein de la communauté sportive se nomme l’encéphalopathie traumatique chronique. En parallèle, il est maintenant bien accepté que la survenue d’un traumatisme crânio-cérébral (TCC) modéré ou sévère est un facteur de risque non négligeable du développement de maladies neurodégénératives à un âge avancé (Plassman et al., 2000). Mais qu’en est-il de l’impact d’un seul TCC léger (TCCL) sur le fonctionnement cognitif à plus long terme? Actuellement, peu d’études se sont penchées sur les conséquences permanentes d’un tel traumatisme, en particulier lorsqu’il survient chez une personne âgée. Cette situation est problématique puisque l’accroissement de l’incidence du TCCL chez cette population est à prévoir en raison du vieillissement démographique observé dans les sociétés occidentales. Bien que ce ne soient pas tous les gens victimes d’un TCCL qui rapportent des problèmes cognitifs suite à l’évènement, une proportion significative d’entre eux, soit près d’un quart, ressentirait encore des symptômes (Cassidy, Boyle, & Carroll, 2014a) ou aurait une atteinte fonctionnelle (McMahon et al., 2014) au-delà d’un an post-TCCL.

Jusqu’à présent, les recherches sur le TCCL ont essentiellement porté sur l’identification des déficits cognitifs en phase aiguë. Bien que nous puissions observer un certain consensus concernant la présence d’altérations du fonctionnement cognitif au cours des premiers mois suite au TCCL (e.g., Dikmen et al., 2009; Larrabee, Binder, Rohling, & Ploetz, 2013), l’existence de telles dysfonctions est très controversée au-delà de six mois (e.g., Dikmen et al., 2009). Néanmoins, quelques études réalisées auprès de jeunes adultes ayant subi un TCCL ont démontré que l’utilisation de paradigmes complexes sollicitant tout particulièrement le système de contrôle exécutif permet de déceler des atteintes chroniques subtiles chez cette clientèle (e.g., Binder, Rohling, & Larrabee, 1997). Ces altérations sont notamment mises en évidence dans le cadre de tâches de mémoire où l’encodage est effectué en situation d’attention divisée (Blanchet, Paradis-Giroux, McKerral, & Pépin, 2009; Mangels, Craik, Levine, Schwartz, & Struss, 2002). Par ailleurs, les techniques de neuroimagerie couramment utilisées en clinique telles que l’examen en tomodensitométrie

123 (CT scan) et l’imagerie par résonnance magnétique (IRM), sont peu sensibles à la détection des microlésions de la substance blanche fréquemment retrouvées à la suite d’un TCCL (Belanger, Vanderploeg, Curtiss, & Warden, 2007). La technique des potentiels évoqués (PE) est une approche à privilégier dans l’étude des effets du TCCL puisque plusieurs chercheurs ont déjà identifié des altérations électrophysiologiques suite à un tel incident (pour revue, Chamard, Henry, & Lassonde, 2012). Par surcroît, les PE permettent une investigation très précise des diverses opérations impliquées dans une tâche cognitive comme dans le cas présent, l’encodage épisodique. Jusqu’à aujourd’hui, aucune étude ne s’est intéressée à l’impact de l’attention divisée sur les mécanismes neuronaux de l’encodage chez des aînés sains et ayant subi un TCCL. Dans le cadre de cette thèse, deux recherches empiriques ont été menées afin de préciser comment l’attention divisée en combinaison avec le vieillissement normal et avec le TCCL viennent interférer avec les processus cognitifs responsables de la création d’une trace mnésique. Dans un premier temps, nous avons investigué les effets de l’attention divisée sur les substrats neuronaux de l’encodage en mémoire épisodique auprès de personnes âgées entre 64 et 76 ans. La connaissance de ces effets nous a permis par la suite d’identifier la présence d’altérations électrophysiologiques chez une clientèle âgée ayant subi un TCCL à l’aide d’une tâche de mémoire dans laquelle la charge attentionnelle en encodage a été contrôlée. Ainsi, l’objectif principal de la thèse visait à déterminer si l’avènement d’un seul TCCL chez des individus âgés de 55 ans et plus peut accetuer les effets du vieillissement normal sur les mécanismes neuronaux de l’encodage épisodique et ce, en fonction de la charge attentionnelle.

4.1.1 Chapitre 2 : L’étude sur le vieillissement normal

La réalisation de l’Étude 1 visait l’atteinte de deux objectifs. Dans un premier temps, nous avons identifié les effets de l’attention divisée sur les composantes électrophysiologiques impliquées en encodage chez des adultes jeunes et âgés sains en fonction de la présence de liens sémantiques entre les items. Cette dernière manipulation expérimentale visait à induire l’utilisation par les participants d’une stratégie d’encodage précise, soit l’organisation sémantique pour les conditions composées de mots liés sémantiquement et l’élaboration verbale pour celles comprenant des mots non liés. Grâce au contrôle de ces variables, nous avons investigué l’impact de l’augmentation de la charge attentionnelle en encodage sur l’utilisation efficace de stratégies. Par conséquent, le

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deuxième d’objectif de cette étude consistait à déterminer lesquelles des théories explicatives des effets du vieillissement cognitif correspondaient le mieux aux changements observés tant au niveau comportemental qu’électrophysiologique. Plus précisément, nous souhaitions démontrer que la diminution des ressources attentionnelles disponibles causée soit par l’attention divisée ou par l’âge entraînerait un affaissement de l’utilisation de stratégies d’encodage. Pour atteindre ces objectifs, nous avons soumis 14 jeunes adultes et 14 personnes âgées saines à un paradigme de mémoire épisodique dans lequel nous avons manipulé la charge attentionnelle en encodage (attention pleine, attention divisée) et la présence de liens sémantiques entre les mots à mémoriser (liés, non liés). Pour obtenir des données sur la qualité de l’encodage, les participants ont dû procéder à un rappel libre durant la phase de récupération suivi d’un test de reconnaissance de type remémoration consciente-familiarité. Les résultats comportementaux ont indiqué que les aînés ont obtenu un taux de discrimination (A') plus faible que les jeunes suite à un encodage en attention divisée alors qu’en attention pleine, cette différence n’a pas été observée. De plus, le pourcentage de déclin des performances mnésiques induit par la tâche secondaire était plus accentué chez les personnes âgées que chez les jeunes adultes au rappel libre et au taux de discrimination. À l’indice A' seulement, ce déclin chez les aînés était beaucoup plus marqué pour les mots non liés sémantiquement, alors que pour la condition comprenant des mots liés, les deux groupes ont obtenu un pourcentage de déclin similaire. De façon générale, les personnes âgées ont aussi évoqué moins de mots en rappel libre que les jeunes adultes. Au niveau des composantes électrophysiologiques, la P200 antérieure impliquée dans la capture attentionnelle du stimulus (Blanchet, Gagnon, & Bastien, 2007; Mangels, Picton, & Craik, 2001) s’est avérée sensible à la présence de la tâche secondaire. En effet, l’amplitude moyenne de cette composante a été diminuée en situation d’attention divisée au sein des deux groupes à chacune des régions d’intérêt, à l’exception de la région centrale gauche chez les jeunes où cette différence n’était pas significative. En ce qui a trait à la LPC, ce PE associé à l’encodage réussi était beaucoup plus positif lors d’un encodage en attention divisée au niveau des régions frontales et fronto-centrales chez les aînés en comparaison aux jeunes adultes. En revanche, en attention pleine, l’amplitude de la LPC était similaire entre les participants jeunes et âgés et celle-ci était maximale au niveau des régions postérieures (i.e., centrales, centro-pariétales et pariétales) et ce, pour les deux groupes expérimentaux. Finalement, les

125 résultats obtenus pour l’activité frontale soutenue ont indiqué que cette composante a été affectée de façon comparable par l’attention divisée et par l’âge. En effet, chez les jeunes adultes, cette activité liée à l’auto-initiation d’une stratégie d’encodage était plus positive en attention pleine qu’en situation d’attention divisée. Cet effet n’a pas été observé chez les personnes âgées. De plus, les jeunes participants ont eu tendance à présenter une activité soutenue plus large pour les mots non liés que pour les mots liés alors que chez les aînés, cette composante était similaire entre les deux conditions. Globalement, les données recueillies dans le cadre de l’Étude 1 appuient davantage la prémisse suggérant que la réduction des ressources attentionnelles disponibles affecterait l’utilisation efficiente de stratégies d’encodage.

4.1.2 Chapitre 3 : L’étude sur l’effet du TCCL survenant à un âge avancé

La deuxième étude incluse dans la présente thèse comprenait aussi deux objectifs. Le premier but visé était de déterminer les effets du TCCL sur les différents PE lors d’un encodage réalisé en attention pleine et divisée chez une clientèle gériatrique. L’utilisation d’une tâche de mémoire épisodique complexe visait à déceler la présence d’altérations cognitives subtiles touchant tout particulièrement les opérations cognitives requises lors de l’encodage. Le second objectif de cette investigation était d’apporter de nouveaux appuis empiriques attestant que les personnes âgées victimes d’un TCCL peuvent présenter des séquelles cognitives permanentes et ce, en l’absence de syndromes psychologiques. Pour ce faire, un paradigme de reconnaissance dans lequel nous avons manipulé la charge attentionnelle en encodage (attention pleine, attention divisée) a été complété par 11 aînés ayant subi un TCCL en moyenne 38 mois avant l’étude et par 11 individus sains appariés. Outre une diminution des performances mnésiques en attention divisée dans les deux groupes, les participants TCCL ont obtenu des taux de discrimination moindres aux deux conditions d’encodage comparativement à ceux du groupe contrôle. De plus, à l’évaluation neuropsychologique, les individus TCCL se sont avérés plus sensibles à l’interférence en mémoire de travail tel que démontré par leur faible rendement aux délais 20 et 30 secondes du paradigme de Brown-Peterson. L’altération de cette fonction cognitive a aussi été supportée par les résultats obtenus pour la P200. La latence de cette composante était plus tardive chez les personnes ayant subi un TCCL au niveau de la région centro-pariétale. Par ailleurs, les analyses effectuées sur l’amplitude moyenne de la LPC ont révélé que les aînés

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en bonne santé ont davantage recruté les régions antérieures pour soutenir leur encodage et ce, pour les deux conditions expérimentales. Chez les participants ayant un TCCL, cette sollicitation accrue des aires frontales et fronto-antérieures n’a pas été observée. Finalement, l’activité frontale soutenue était quasi absente chez les individus victimes d’un TCCL. Ces résultats ont montré qu’effectivement, la survenue d’un TCCL entraînerait une altération chronique de certaines opérations cognitives impliquées en encodage et ce, peu importe la charge attentionnelle requise.

Ce chapitre se veut une discussion générale des différents apports de la présente thèse. Dans un premier temps, nous discuterons des contributions empiriques, théoriques et cliniques des études réalisées dans le cadre de ce doctorat. Les différentes forces mais aussi les limites de ces travaux seront ensuite évoquées. À la lumière des éléments discutés, d’autres avenues de recherche seront proposées.

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