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La raison et la foi : les Sentences

Dans le document La philosophie du Moyen- Âge (Page 106-118)

Ch. 2 - Divers courants philosophiques en Occident

VII. La raison et la foi : les Sentences

Bien que d’esprit différent de la pensée de saint Anselme, la philosophie des Chartrains comme l’érigénisme pur n’ont d’autres motifs de développement que de penser la foi : la nécessité, nécessité pratique encore plus que théorique, de formuler, de propager, de transmettre la foi chrétienne est bien la cause pour laquelle il y a au XIe et au XIIe siècle une philosophie. Jamais, sans ce puissant motif, l’esprit occidental ne serait sans doute revenu à la philosophie ; jamais l’idée d’une spéculation autonome, d’une recherche de la vérité pour elle-même n’aurait pu naître. Lorsque l’on songe à la recherche de la vérité, l’on entend vérité dans le sens augustinien, dans le sens de la Vérité qui est le Dieu suprême qui nous a créés et qui nous sauve. En ce sens, la philosophie a sa place marquée dans l’idéal d’une culture chrétienne ; elle se coordonne à l’ensemble des activités multiples, religieuses, mystiques et politiques qui constituent la chrétienté. Seulement cette coordination ne va pas sans peine ; la philosophie, à mesure qu’elle se développe, a ses exigences propres ; à l’universalité de la foi chrétienne, qui naît et se développe en des conditions historiques définies, s’oppose l’universalité rationnelle de la philosophie, indépendante de toute foi : opposition peu consciente et certainement non voulue, puisque tous sont d’accord pour assigner à la philosophie la tâche que nous avons dite, penser la foi, opposition bien réelle pourtant, puisque les écarts des philosophes sont sans cesse surveillés et réprimés par ceux qui ont plus spécialement la charge de maintenir l’unité de la chrétienté, comme saint Bernard ; sans cesse, on se demande si la philosophie n’est pas, plutôt qu’un soutien, l’invention d’un orgueil diabolique : il semble pourtant impossible de s’en passer, et toujours l’on cherche un équilibre nouveau, presque toujours aussitôt rompu. Le problème qu’a voulu résoudre le Moyen Age est peut-être insoluble, peut-être même absurde : mais il est vivant et passionnant, et, seul, il a produit cette tension d’esprit qui a forcé l’Occident chrétien à continuer la grande œuvre de la civilisation grecque.

Le problème se complique, si l’on songe que, à l’époque à laquelle nous arrivons, la foi s’énonce en une foule d’autorités diverses, souvent contradictoires, au moins en apparence, et que peu d’hommes peuvent dominer ; et ce qui est vrai de la foi doit se dire aussi de la discipline et des règles des mœurs : au milieu de tant de textes de l’Écriture et des Pères, de décisions conciliaires, de canons, de décrets des papes, il est difficile de s’y reconnaître ;

il est de plus en plus urgent qu’il y ait des spécialistes pour organiser et classer tant de matériaux divers et en dégager l’unité. Ces spécialistes, ce sont les

« Sententiaires » du XIIe siècle, dont Mgr Grabmann a retracé l’histoire 343. Leur travail, qui n’était fait que pour dégager explicitement la foi, mettait pourtant en jeu la raison pour déterminer la valeur des matériaux et même utilisait parfois la philosophie pour ajouter, à l’autorité, des preuves rationnelles.

Mgr Grabmann signale, à cet égard, de grandes différences entre les auteurs. Il y a ceux qui, créateurs véritables de la méthode du Sic et Non, dont on voyait autrefois l’origine chez Abélard, rangent face à face les autorités contradictoires sur chaque question ; tel Bernold de Constance, qui indique en même temps les règles à suivre pour résoudre ces contradictions : comparaison plus attentive des textes, détermination du sens d’après les circonstances de lieu et de temps où ils ont été écrits, etc. : excellentes règles philologiques, qui accoutument l’esprit à des recherches positives, bien différentes de ces commentaires allégoriques que l’on employait quand la lettre d’un texte était gênante 344. Il y a ceux qui cherchent un exposé systématique de la foi : et c’est bien là ce qui plus tard portera le nom de Sentences : tel est le Decretum d’Yves de Chartres, mort en 1116 ; le Decretum, en dix-sept livres, étudie la foi et les mœurs 345 ; le premier, le deuxième et le dix-septième exposent la foi en se fondant sur une collection de citations des Pères. De même, dans leurs Sentences inédites, Garnier et Alger de Liège traitent successivement, avec la même méthode, des dogmes de la création et de la chute, des lois et de la chute des empires, de l’institution du christianisme, du droit canonique et de la mystique. Une forme d’exposé de plus en plus fréquente, et où Mgr Grabmann voit la source de ce qu’il appelle la méthode scolastique, c’est d’énoncer, sur chaque point litigieux, les raisons pour et contre. Honorius d’Autun, dans son Elucidarium, procède de cette manière.

Guillaume de Champeaux et Anselme de Laon séparent les problèmes en articles, dont chacun pose une question précise ; mais ils renoncent souvent à résoudre par la raison des questions qui ne sont pas résolues par l’autorité :

« Cela, disent-ils, doit être laissé au jugement de Dieu », ou bien : « Je n’ai lu nulle part d’une façon précise, si cela est vrai ». Pourtant cette forme des Sentences, qui sera celle des Sommes du XIIIe siècle, appelle, pour ainsi dire, l’argument rationnel. De fait, dans les livres des Sentences, issus de l’école d’Anselme de Laon, et qui contiennent un exposé systématique du dogme, on ajoute des déductions et des preuves rationnelles par exemple, dans l’un d’eux, une preuve de la Trinité que l’on considère au moins comme ayant la force de persuader (vis suasiva). L’importance historique de ces livres, c’est qu’ils précisent et rendent définitif un procédé qui, d’ailleurs, était lié depuis

343 XXII, t. I, p. 234 sq. ; t. II, p. 133.

344 VI, t. CXLVIII.

345 Cf. FOURNIER, Revue des Questions historiques, 1890.

longtemps à la pensée philosophique : c’est celui de l’argumentation dialectique.

Ainsi tandis que, chez les Chartrains, la philosophie donne une interprétation raisonnée du dogme, chez les sententiaires son rôle peut s’amenuiser jusqu’à fournir seulement des raisonnements corrects dont les prémisses sont empruntées aux autorités, ou s’enfler au contraire jusqu’à substituer des démonstrations rationnelles aux arguments d’autorité. Cette instabilité dans la conception des rapports de la foi et de la philosophie est rendue manifeste par la philosophie d’Abélard et ses controverses avec saint Bernard.

VIII. Abélard.

On se rappelle que le problème de la réalité des universaux se pose dans l’Isagoge de Porphyre, c’est-à-dire dans le traité d’introduction à la dialectique, et que, d’autre part, selon saint Anselme, la solution donnée à ce problème engage déjà le théologien, puisque le nominalisme équivaut à l’impossibilité déclarée de penser la Trinité. Il importe donc de bien comprendre la dialectique d’Abélard pour comprendre sa théologie. Abélard, né en 1079, a d’abord enseigné la dialectique à Melun, à Corbeil et à Paris ; c’est en 1113, après une vaine tentative à Laon, qu’il enseigna la théologie à l’école cathédrale de Paris ; après son aventure avec Héloïse, il se réfugia à Saint-Denis, puis enseigna à Nogent-sur-Seine, au « Paraclet », d’abord en 1121, puis en 1129 ; il reprit ses leçons sur la montagne Sainte-Geneviève de 1136 à 1140 et mourut en 1142. La Dialectica est d’ailleurs sans doute un des premiers livres qu’il ait écrits (avant 1121), et ses ennemis lui ont souvent reproché d’être entré en intrus dans la théologie.

Quant à la question des universaux, Abélard prend une position critique à l’égard de deux de ses maîtres, le nominaliste Roscelin et le réaliste Guillaume de Champeaux. On connaît déjà Roscelin. Pour Guillaume de Champeaux, de neuf ans l’aîné d’Abélard (il est né en 1070), il devint de 1113 à 1121 un haut dignitaire de l’Église, évêque de Châlons et ami de saint Bernard ; il avait été élève d’Anselme de Laon et de Roscelin, puis maître à l’école épiscopale de Paris, où Abélard fut son auditeur, puis, à partir de 1108, maître de chœur dans cette abbaye de Saint-Victor où se développa dès ce moment un mouvement mystique.

La doctrine de Guillaume nous est connue par la tardive mention qu’en a faite Abélard dans son Historia Calamitatum. Les termes qu’il emploie pour la définir suffisent à faire voir que, comme saint Anselme, c’est le souci de la théologie qui l’y amena. Rappelons encore que les universaux, chez les réalistes comme chez les nominalistes, désignent uniquement les genres et les espèces des êtres naturels, c’est-à-dire les voix de Porphyre, et ne désignent jamais les

archétypes qui pourraient être en Dieu. On s’accorde aussi sur ce point que, dans la connaissance, l’on commence toujours par les individus pour aller de là au genre et à l’espèce ; mais, selon les réalistes, et c’est là que commence la différence, l’ordre par nature n’est pas le même que celui de la connaissance ; comme dit un exposé anonyme et hostile au réalisme, « selon cette opinion fort ancienne et cette erreur invétérée, chaque terme est antérieur par nature (naturaliter) au terme inférieur ; il est par nature un sujet pour les formes (spécifiques) qui, en y survenant, amènent la nature du genre jusqu’aux espèces » 346. Guillaume en tire la conclusion : « La même réalité est tout entière à la fois dans chacun des individus d’une espèce ; il n’y a en ceux-ci nulle diversité d’essence, mais la variété y vient de la seule multitude des accidents 347 ». L’important est ici le tota simul inesse ; l’ubiquité de l’essence reproduit en quelque sorte, dans les limites de l’espèce, l’ubiquité de l’être vrai à travers toute la réalité, ou l’identité de la substance divine à travers les personnes ; selon un exposé du réalisme dû à Robert Pullus, « l’espèce est toute la substance des individus, et on la trouve, totale et la même, en chacun d’eux ; l’espèce est comme la substance dont les individus sont de multiples personnes 348 ». Le réalisme est un fruit de la méthode augustinienne qui cherche, dans la nature, des images de la réalité divine. Dans sa Dialectique, Abélard nous apprend que, commentant le chapitre des Catégories sur la quantité continue, son maître Guillaume appelait le point une natura specialis, et la ligne un individu composé : il faisait de la ligne un agrégat de points, n’ayant pas plus de substance qu’un peuple ou un troupeau, et, du point, que l’on retrouvait partout, en quelque endroit qu’on coupât la ligne, l’essence de la ligne, de même que le nombre, n’est qu’un agrégat d’unités ; on remarquera ici aussi que l’individualité de la ligne vient d’un accident, la composition.

Il est vrai que, sous l’influence des critiques de son disciple, Guillaume aurait modifié sa thèse ; il aurait abandonné cette ubiquité de l’essence spécifique, qui, au début du Parménide, faisait l’objet des critiques de Parménide à Socrate ; l’humanité de Pierre est la même que celle de Paul, non essentialiter, sed indifferenter 349, c’est-à-dire que, si l’on peut compter autant d’humanités que d’hommes, si par conséquent on peut se passer de l’hypothèse étrange de l’ubiquité d’une seule essence, l’humanité, comme telle, chez Pierre et chez Paul, n’offre aucune différence pour la pensée. Est-ce poussé par la dialectique d’Abélard qu’il aurait encore cédé sur ce point, pour dire que l’humanité de Pierre et celle de Paul n’étaient les mêmes dans aucun de ces

346 HAURÉAU, III, t. XXXI, 2e partie, p. 201 sq.

347 VI, t. CLXXVIH, p. 119-a.

348 VI, t. CLXXXVI, p. 676-d.

349 VI, P. L., t. CLXXVIII, p. 119-6 ; HAURÉAU, XXIV, t. I,p. 336, lit individualiter pour indifferenter.

deux sens, mais qu’elles étaient seulement semblables 350 ? Comment, en effet, aurait-on pu admettre des humanités qui n’étaient que numériquement différentes ? Quoi qu’il en soit, abandonner la thèse de l’ubiquité, c’était, semble-t-il, abandonner l’essentiel du réalisme, tout ce qui pouvait faire sa valeur pour la théologie. Et c’est pourquoi, sans doute, dans ses Sentences, Guillaume a tenu à marquer qu’il fallait détendre le lien entre la théologie et le problème des universaux : on peut rejeter le réalisme lorsque l’on parle des espèces des choses créées ; mais alors « le mode d’unité (de l’espèce dans les individus) ne doit pas être transporté à la nature de la divinité, de peur que, contrairement à la foi, nous ne soyons forcés de reconnaître trois dieux comme trois substances 351 ». Alors aussi, doit-on ajouter, l’intellectualisation de la théologie, que cherchait saint Anselme, se trouve bien compromise.

Abélard a cherché, en dehors de la voie du réalisme, une solution neuve et originale au grand problème du Moyen Age : comment penser la foi ? Jamais il n’eut l’ambition ni même l’idée de créer une philosophie autonome ; le prétendu rationalisme d’Abélard est une invention moderne ; c’est en toute franchise qu’il écrivait à Héloïse : « Je ne veux pas être philosophe s’il faut résister à saint Paul ; je ne veux pas être Aristote s’il faut me séparer du Christ 352. » Il a exalté la vie monastique, qu’il mettait bien au-dessus de celle du clergé séculier ; il oppose la simple fonction (officium) du prêtre et de l’évêque à la religion (religio) du moine et de l’ermite, saint Augustin à saint Jérôme, mais il trouve dans le stoïcisme de l’évêque l’expression du vieil idéal monastique 353.

S’il a abandonné le réalisme, ce n’est pas pour arriver au nominalisme de son second maître Roscelin ; il n’a pas assez de sarcasmes contre celui « dont la vie et le bavardage ont rendu la dialectique méprisable à presque tous les religieux 354 ». Pourtant sa théorie des universaux, autant qu’on peut la préciser, se rapproche plutôt du nominalisme. Il part de la définition qu’Aristote a donnée de l’universel dans le De Interpretatione : « L’universel est ce qui, par nature, se dit de plusieurs choses, ainsi homme ; l’individuel, ce qui ne se dit pas de plus d’une chose, comme Callias » ; l’universalité n’est donc pas dans le mot comme tel (vox), mais dans le mot en tant qu’il est capable d’être prédicat (sermo praedicabilis) ; on pourrait presque dire : l’universalité est une certaine fonction logique d’un mot. Par là même et en vertu du vieil adage : res de re non praedicatur, il ne peut être une réalité. Pourtant le mot universel, bien que ne

350 Le troisième état de la pensée de Guillaume est connu par ses Sentences ; cf. le fragment I dans G. Lefèvre, CVI, p. 25.

351 Fragments dans G. LEFÈVRE, Ibid., p. 25. —

352 Lettre XVII.

353 VI, t, CLXXVIII, p. 343-352 ; il cite les Lettres à Lucilius, 51, § 4 sq.

354 COUSIN, CIV, p. 1215 c-d.

désignant pas une réalité, a été donné aux sujets dont il se dit à cause d’une ressemblance en laquelle ils conviennent tous ; tous ces sujets, par exemple, sont des hommes et, par leur état d’hommes (status hominis), ne diffèrent pas 355. L’originalité d’Abélard, à propos des universaux, paraît donc avoir été de n’avoir jamais considéré l’espèce à part des individus ni les individus à part les uns des autres, mais d’avoir cherché l’universel dans un rapport entre eux.

C’est pourquoi il a été le premier à remarquer l’aspect psychologique du problème, la formation des universaux à partir de la connaissance des individus, et à se servir de ce que Boèce, en son commentaire des Topiques, avait inséré de la théorie d’Aristote sur la formation du concept : le sens touche légèrement la chose, l’imagination la fixe dans l’esprit, l’intelligence vient de l’attention prêtée non plus à la chose, mais à une de ses propriétés. C’est le procédé d’abstraction ; l’intelligence connaît l’abstrait séparément de la chose, mais non séparé (séparation non separata, division non divisa) ; sans quoi, remarque Abélard, cette connaissance serait vaine, puisqu’elle ne se rapporterait pas du tout à la réalité 356.

Bien que différente du nominalisme de Roscelin, cette théorie d’Abélard ne pouvait prétendre guider l’esprit vers une intelligence de la foi, et particulièrement de la Trinité. La dialectique échouait donc ici à résoudre le grand problème d’Anselme. A l’époque d’Abélard, ce n’était pas le seul échec de ce genre ; par ses œuvres mêmes, nous savons que fourmillaient alors les essais d’employer les notions ou adages de la dialectique pour penser les choses divines ; car Abélard les dénonçait lui-même et les critiquait violemment :

« Telle est leur arrogance, disait-il, qu’ils pensent qu’il n’est rien qui ne puisse être saisi et pénétré par leurs petits raisonnements (ratiunculis) ; méprisant toutes les autorités, ils se font gloire de ne croire qu’en eux seuls... Quelle plus grande indignation pour les fidèles que de professer un Dieu tel que le petit raisonnement humain peut le comprendre 357. » Les hérésies qu’il cite et qu’il condamne dans l’Introduction à la Théologie proviennent toutes d’une fâcheuse application des procédés de connaissance humaine à la réalité divine ; si l’on appliquait les règles de la dialectique à la Trinité, on obtenait les résultats les plus contraires à la foi ; par exemple, si Dieu est une substance unique, il s’ensuit que, le Père et le Fils étant une seule substance, Dieu s’engendre lui-même : ainsi concluait Albéric de Reims. La dialectique nous enseigne que chaque être distinct a une essence distincte ; si donc les personnes sont distinctes, il faudra admettre au-dessus d’elles trois essences, la paternité, la filiation et la procession : ainsi pensait Gilbert l’Universel, qui enseigne vers 1127. Les Catégories d’Aristote classent les choses en substances et en

355 Glossulae Porphyrii, éd. Geyer, p. 112.

356 Glossulae, p. 126 sq.

357 Theologia Christiana, p. 1217-c ; 1224-a.

accidents : si les personnes ne sont pas substances, elles sont accidents ; dès lors il n’y a aucun moyen de les distinguer d’autres attributs divins, tels que la justice et la miséricorde, qui sont, eux aussi, des « formes essentiellement distinctes de Dieu », comme leurs attributs le sont des créatures : c’était la thèse soutenue par Ulger, le maître de l’école d’Angers, entre 1113 et 1125. D’autres dogmes que la Trinité étaient d’ailleurs atteints par cette méthode : l’universelle prescience de Dieu contradictoire avec la liberté, la création dans le temps qui contredit l’adage que la cause ne peut exister sans l’effet 358.

Avec son goût de la souplesse dialectique, Abélard classe même toutes les hérésies possibles sur la Trinité. La dialectique ne connaît que deux espèces de distinctions, celle de mots et celle de choses ; les personnes de la Trinité sont donc distinctes entre elles d’une de ces deux distinctions ; si c’est d’une distinction de mots, cette distinction n’est pas éternelle, puisque les mots sont d’invention humaine, et, de plus, il y aurait autant de personnes qu’il y a de noms donnés à Dieu (c’est l’hérésie d’Angers) ; si elle est réelle, ou bien Dieu est un en substance, et la réalité des personnes se confond en un ; ou bien les personnes sont distinctes, et il est triple aussi en substance. Ajoutons que trois choses impliquent une multitude réelle et, par suite, une composition en Dieu.

Voilà comment le mystère se dissout, dès qu’on veut le penser en dialecticien.

Un exemple montrera tout le verbalisme de ce procédé. Aristote, dans le De Interpretatione, avait dit que la proposition : « homo ambulat », revient à

« homo est ambulans » 359 ; si l’on dit « personae sunt », on pourra mettre à la place, selon cette règle, personae sunt entia ou sunt essentiae, ce qui amène une hérésie voisine de celle de Gilbert l’Universel.

Il est vrai que, pour réfuter ces hérésies, Abélard tente de se placer d’abord au point de vue de ses adversaires et d’en appeler d’une dialectique grossière à une dialectique plus subtile. Le mouvement tournant est bien marqué dans le passage suivant : « Dans cet opuscule 360, dit-il, nous entendons non pas

Il est vrai que, pour réfuter ces hérésies, Abélard tente de se placer d’abord au point de vue de ses adversaires et d’en appeler d’une dialectique grossière à une dialectique plus subtile. Le mouvement tournant est bien marqué dans le passage suivant : « Dans cet opuscule 360, dit-il, nous entendons non pas

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