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Différents rôles des conceptions structurelle et opératoire d’un concept

Chapitre 2 : Fonction comme « objet » et problématique de la validation

2. Conceptions structurelles et opératoires d’un concept

2.2 Différents rôles des conceptions structurelle et opératoire d’un concept

2.2.1 Le rôle des conceptions structurelle et opératoire dans la formation

(historique) des concepts

Sfard montre que, dans la formation du concept de fonction, l’opératoire précède le structurel. Elle situe l’apparition de la notion de fonction au 17ième siècle (Leibniz, en 1692), après une longue période de recherche d’un modèle mathématique des phénomènes physiques engageant des variations. Cette apparition est liée au développement du symbolisme algébrique : la notion de fonction est associée à celle d’un processus algébrique (Euler (1747) définit la fonction comme une expression algébrique, Bernoulli (1718) appelle « fonction d’une grandeur variable une quantité composée, de quelque manière que ce soit, de cette grandeur variable et de constantes

»

. Ainsi, la fonction est à la fois un processus algébrique et son résultat. Sfard signale l’attention importante qui est portée sur le concept de variable associé à celui de fonction, et cite une nouvelle définition donnée par Euler (1755) d’une fonction : une quantité peut être appelée fonction seulement si elle dépend d’une autre quantité de sorte que si cette dernière quantité change, la première change aussi. Sfard explique que cette dernière définition révèle une conception.

La suite de l’histoire de la notion de fonction est présentée comme un long processus de réification, c’est-à-dire de transition d’une conception opératoire à une conception structurelle.

La volonté de dégager la notion de variable de celle de temps est une marque importante de réification. Après les tentatives de Dirichlet de faire échapper la définition de fonction d’une approche algorithme, la définition donnée par Bourbaki comme un ensemble de couples

ordonnés est la dernière étape vers une conception structurelle. La fonction, ainsi envisagée comme un objet, permettra d’opérer de nouvelle opération sur les fonctions.

Ce processus de construction de la notion de fonction est ainsi envisagé comme représentatif d’un phénomène global :

« various processes had to be cobverted into compact static wholes to become the basic units of a new, higher level theory » (Sfard (1991) p.7).

Ce phénomène est utilisé comme lecture des processus de conceptualisation d’un concept :

“it seems that the scheme which was constructed on the basis of historical examples can be used also to describe learning processes”.

Sfard se défend cependant de vouloir projeter l’étude historique sur le psychologique. Elle argumente en disant que beaucoup d’autres travaux vont dans le sens de l’hypothèse que l’opératoire précède le structurel. Elle cite en particulier les travaux de Piaget (1970), et à sa suite, ceux de Dubinsky (1986), Thompson (1985), Dörfler (1987, 1989).

2.2.2 Le rôle des conceptions structurelle et opératoire d’une fonction dans

les processus de conceptualisation

Sfard distingue trois étapes dans le processus de conceptualisation d’un concept, qui désignent la passage d’une conception opératoire à une conception structurelle :

« if the conjecture on operational origins of mathematical objects is true, then first there must be a process performed on the already familiar objects, then the idea of turning this process into an autonomous entity should emerge, and finally the ability to see this new entity as an integrated, object-like whole must be acquired. We shall call these tree stages en concept development

interiorisation, condensation and reification, respectively ».

Cette lecture des trois étapes d’un processus de conceptualisation est très proche des travaux de Piaget.

Dans le cas du concept de fonction, Sfard désigne par une phase d’intériorisation, le moment où la notion de variable a été apprise, et où la capacité à utiliser une formule pour trouver les valeurs d’une variable dépendante est acquise. La phase de condensation, désigne le moment où le sujet est capable d’envisager ces processus de transformation sans regarder leurs valeurs spécifiques, éventuellement, le sujet est capable de dessiner les graphes de ces fonctions, de composer deux fonctions, ou de trouver l’inverse d’une fonction. Enfin, résoudre des équations fonctionnelles, parler des propriétés de divers processus engagés sur des fonctions

(composition ou inversion), reconnaître le caractère computable d’une fonction (alors envisagée comme un ensemble ordonné de couples) sont le signe d’une phase de réification. Une fois encore, Sfard se réfère à des situations pour définir intériorisation, condensation et réification. Mais cette référence n’est pas véritablement attestée et reste implicite.

2.2.3 Le rôle des conceptions structurelle et opératoire dans les processus

cognitifs

Sfard justifie la nécessité de l’opératoire par la nature de l’activité mathématique qui nécessite d’engager du calcul. Elle dit :

“Theoretically it would be possible to do almost all the mathematics purely operationally: we could proceed from elementary processes to higher level processes and then to even more complex processes without ever referring to any kind of abstract objects” (Sfard (1991) p. 23).

Cependant, tant que les processus sont appréhendés de façon opératoire, ils ne peuvent être réifié en entités abstraites susceptibles d’être traitées comme des objets. Cette capacité est présentée par Sfard comme nécessaire à l’activité mathématique.

“While tackling a genuinely complex problem, we do not always get far if we start with concrete operations; more often than not it would better to turn first to the structural version of our concepts. These upper-level representations provide us with a general view, so we can use our system of abstract objects just like a person looking for information uses a catalogue; or like anybody trying to get to a certain street consults a map before actually going there. In other words, in problem-solving processes the compact entities serve as pointers to more details information” (Sfard (1991) p. 27).

L’expression “serve as pointers” mérite d’être explicitée : Sfard donne plus loin deux raisons pour lesquelles le processus de réification facilite ainsi l’activité. La première est celle du nombre limité d’informations qui peuvent être mémorisées par un sujet :

“the distance between advanced computational processes and the concrete material entities which are the objects of the most elementary processes (such as counting) is too much large to be grasped by us in its totality. We overcome this difficulty by creating intervening abstract objects which serve as a kind of way-stations in our intellectual journeys” (Sfard (1991) p. 29).

La seconde est celle du sens :

“structural conception is probably what underlies the relational understanding, defined by Skemp (1976) as “knowing is both what and why to do” or having both rules and reasons. Purely operational approach would

usually give no more than instrumental understanding, once presented by Skemp as having rules without reasons”.

Ainsi, la réification permet la construction du sens et la mémorisation.

3. Conclusion

Les conceptions structurelle et opératoire portent sur des propriétés génériques des concepts mathématiques. En effet, un concept a un versant oépratoire : le concept est identifié à un processus. Par exemple, pour le cas qui nous intéresse, la fonction est identifiée au processus qui permet le passage d’un ensemble à un autre. Les représentations algébriques jouent un rôle important, et la possibilité d’exprimer le processus par un algorithme de calcul est centrale pour cette conception. Un concept a d’un autre coté un caractère structurel : il est envisagé comme un objet, sur lequel il est possible de mettre en œuvre des opérations et de faire des déclarations. Dans ce cas, la capacité à envisager une fonction comme un ensemble ordonné de couples apparaît comme centrale chez Sfard. Les représentations graphiques jouent un rôle privilégié dans la mesure où elles donnent à voir l’objet comme un tout. Nous verrons que cela n’est pas si clair, en particulier lorsqu’il s’agit de traiter l’objet fonction à l’infini : nous proposerons un problème dans lequel les représentations graphiques se révèlent inefficaces pour traiter le comportement de la fonction à l’infini. Sfard montre la nécessité de ces deux aspects pour la conceptualisation. L’analyse en termes structurel/opératoire fournit des prescriptions pour l’enseignement, qui sont sous tendues par l’hypothèse que l’opératoire précède le structurel dans le développement des concepts. Sfard préconise donc d’abandon dans l’enseignement d’une entrée par le coté objet (comme cela est souvent le cas pour la notion de fonction qui est introduite au moyen de sa définition bourbakiste), et préconise une introduction par l’aspect processus des concepts.

Cette approche de la connaissance diffère fortement de notre problématique, qui est celle de la compréhension de l’activité du sujet en résolution de problèmes et en particulier aux relations opérateurs/contrôles dans cette activité. Cette différence est liée en particulier à la distance qui est prise relativement à l’activité du sujet par Sfard. Les conceptions structurelle et opératoire sont décrites en dehors des problèmes, bien que Sfard n’échappe pas à la nécessité de se référer à des situations pour différencier structurel et opératoire. Cela est classique dans la confrontation d’une problématique française, dont l’histoire est fortement marquée par la Théorie des Situations, à des problématiques anglo-saxones, plus proches de la psychologie. Nous allons tenter cependant de faire le lien entre notre problématique et certains aspects du travail de Sfard en vue d’émettre une hypothèse de travail.