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Chapitre 4 : Conceptions du concept de fonction

1. Jalons historiques :

1.5 Conception expression analytique :

Dans un article publié en 171822, Bernoulli définit explicitement une fonction comme expression analytique :

« On appelle fonction d’une grandeur variable une quantité composée de quelque manière que ce soit de cette grandeur variable et de constantes ».

La fonction de la variable x est alors désignée par ϕx. Dans cette nouvelle définition, « de quelque manière que ce soit » désigne toujours les expressions alors connues en analyse23. Plus tard, Lagrange (1788), dans Mécanique analytique, présente la mécanique comme une partie de l’analyse. L’analyse, dit-il, se distingue de la mécanique par le fait particulier qu’elle ne nécessite pas l’appel à des figures géométriques. Ainsi, les concepts du calculus perdent progressivement leurs références géométriques et mécaniques, comme cela était le cas chez Leibniz, et sont formulés algébriquement. Ils apparaissent comme des concepts indépendants. Le concept de fonction se développe considérablement avec le travail d’Euler (élève de Bernoulli). Dans Introductio in analysin infinitorum volume 1 (1748), celui-ci définit le terme fonction par :

Une fonction d’une quantité variable est une expression analytique composée de quelque manière que ce soit à partir de cette quantité, de nombre et d’autres variables.

Il est significatif de noter qu’Euler est alors le premier à s’interroger sur les limites du terme « expression analytique ». Ceci l’amène à énumérer les règles de construction de ces expressions. Ces règles incluent les opérations algébriques, d’autres types d’opérations (transcendantes) – exponentielles, logarithmiques et des transformations définies au moyen de l’intégration. Pour Euler, toute fonction s’exprime sous la forme : Azα +Bzβ +Czγ + , où ... α,β,γ sont des nombres réels. Cette idée lui permet de classer les fonctions : les fonctions

explicites sont celles dont on connaît l’expression Azα +Bzβ +Czγ + , les fonctions ...

implicites (définies en général comme solution d’équations fonctionnelles) sont celles dont on

22 Remarques sur ce qu’on a donné jusqu’ici de solutions des problèmes sur les isopérimètres, in Mém. Acad. Roy. Sci., Paris. 1718.

23 Bernoulli dans une lettre à Leibniz, (Leibnizens mathematische schriften, hsg. Von C. I. Gerhardt, I-VII, Berlin-halle, 1849-1863)), parle de sa découverte du développement en série infinies :

3 2 1 1 . . . ... 1.2 1.2.3 dn ddn ndz nz z z z dz dz = − + −

ne connaît pas le développement. Mais Euler ne doute pas de l’existence d’un tel développement (excepté éventuellement en des points isolés). Les développements en séries, et les calculs que ceux-ci permettent, constituent alors le principal instrument d’étude des fonctions et des équations fonctionnelles et différentielles.

Les courbes ne sont cependant pas abandonnées mais arrivent en second plan. Le volume 2 de

Introductio in analysin infinitorum est consacré à l’étude des courbes planes. Euler procède à

une classification de ces courbes sous-tendue par le fait que chaque courbe plane est représentée par une fonction (c’est-à-dire une expression analytique). Ainsi les courbes

continues sont celles qui sont désignées par une seule expression analytique, les courbes

discontinues sont celles qui sont désignées part des expressions différentes sur différentes parties de leur domaine (elles sont donc composées de courbes continues). Il est à signaler que cette définition de la continuité est différente de l’acception qui en est faite aujourd’hui. Par exemple, la fonction inverse définie par f x( ) 1

x

= désigne une courbe continue. De même, une fonction, continue par morceaux du point de vue actuel, est discontinue selon la définition donnée par Euler. Le registre analytique devient donc la référence de classification des fonctions et est en rupture avec la représentation des courbes.

Si on trouve dans les travaux d’Euler essentiellement des fonctions dont on connaît une représentation analytique, l’importance des fonctions non analytiques est cependant reconnue. La résolution des équations fonctionnelles et différentielles oblige en effet cette reconnaissance. L’exemple de l’équation des cordes vibrantes est représentative de ce fait : la solution fait intervenir une fonction « arbitraire » dans la mesure où cette fonction dépend de la position initiale de la corde. L’évocation mentale des positions initiales possibles de la corde justifie pour Euler d’inclure, parmi les fonctions solutions, les fonctions discontinues (composées par exemple de fonctions continues (au sens d’Euler) par morceaux).

Le problème des cordes vibrantes est représentatif des limites de la définition d’une fonction comme expression analytique : il existe des fonctions n’ayant pas une représentation analytique qui sont solutions de problèmes centraux pour l’époque (les solutions du problème des cordes vibrantes a occupé beaucoup de mathématiciens du moment).

Voici un autre phénomène décrit par Euler lui-même, illustrant une autre limite de la définition donnée à « fonction ». Euler fournit de nombreux exemples d’une même quantité pouvant être représentée par des expressions différentes : w= a2+z2 et aussi représentée

par la fonction de y 2 2 2 a y w y + = avec 2 2 2 a y z y − = ; ou plus simplement 4 4 3 6 2 2 4 3 4

v a= − a z+ a zaz + est aussi la fonction z v= y4avec a z− = . y

Bien que l’on trouve dans les écrits d’Euler une définition24 de fonction indépendante de la référence à l’expression analytique, celle-ci restera annexe au travail de Euler sur les fonctions effectivement mis en œuvre.

En conclusion, nous dirons que le concept de fonction, défini comme expression analytique, ne nécessite plus de référence à la géométrie ou aux champs expérimentaux de la physique ou de la mécanique. Il est étudié en soi. Les problèmes portent sur la recherche des développements en série, la résolution des équations fonctionnelles ou différentielles. Les modes de validations de ces problèmes sont relatifs aux règles de manipulation des expressions analytiques autorisées et engagent des preuves avec des règles logiques. Les problèmes de la mécanique sont alors présentés, dans l’exposé des théories, comme des applications. Il est intéressant de noter cependant que, devant les contradictions apportées par le problème des cordes vibrantes, Euler a recours à des justifications physiques de ses intuitions (existence de solutions de l’équation des cordes vibrantes non continues), les outils du champ de l’analyse alors disponibles ne lui permettant pas d’en trouver d’autres.

1.6 Limites d’une définition de fonction comme expression analytique :