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Rôle secondaire du crime organisé

Chapitre IV : Vécu des entrepreneurs : entre collusion et survie

4.3 Crime organisé

4.3.3 Rôle secondaire du crime organisé

Bien que les entrepreneurs aient infirmé l’infiltration du crime organisé dans le domaine de la construction, ces derniers n’ont toutefois pas nié leur présence. En effet, plusieurs rôles ont été soulevés et associés au crime organisé. Chacun des participants a utilisé des termes différents pour expliquer ces rôles secondaires. Nous retrouvons le rôle de consultant, d’arbitre, de facilitateur et de médiateur. Ces derniers font référence au fait que le crime organisé était contacté pour ses services : Le monde a demandé de l’aide et

la Mafia a vu qu’ils faisaient de l’argent et elle en a voulu. Elle réglait également des problèmes familiaux. Quand tu veux de l’aide, c’est un service. La Mafia réglait des

conflits entre entrepreneurs concernant principalement la répartition des contrats. Elle peut également régler des conflits familiaux ou des conflits personnels entre individus. En effet, Gambetta (1993) mentionne qu’une des protections que la Mafia assurait en Sicile était celle de règlement des différends. Or, lorsque service est rendu, un paiement doit également suivre. L’échange de faveur n’est pas la seule ou la plus importante façon d’assurer les paiements. Les réductions de prix de produits, l’achat par crédit, l’utilisation de ressources gratuite, l’emploi d’un gardien, un partenariat et l’argent comptant sont tous des formes communes de rémunération (Gambetta, 1993). Cependant, les entrepreneurs tentaient d’éviter d’avoir recours à ses services puisqu’ils ne pouvaient prévoir dans quel sens tout cela allait se terminer, comme le précise un des participants. De plus, ces services n’étaient pas bon marché et des montants importants pouvaient être déboursés afin d’obtenir le service voulu.

Par ailleurs, un entrepreneur relate qu’il était possible que la Mafia intervienne auprès d’entrepreneurs voulant entrer sur le territoire puisqu’il y avait une répartition de territoires à respecter.

L’entrepreneur de Montréal ne pouvait pas aller sur la Rive Sud ou sur la Rive Nord. Il fallait donc qu’il protège son territoire surtout lorsque les contrats étaient limités. […] La Mafia s’assurait que personne ne se faisait tasser de son

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dû. Elle s’assurait aussi que la politique était contente. Elle a le mandat de garder l’harmonie.

Un entrepreneur mentionne également la compétition présente entre ces derniers pour ce qui est de l’obtention de contrats, de la prospérité de leur entreprise de même que leur richesse.

Dans les regroupements d’entrepreneurs, il y a eu des hauts et des bas et la Mafia est venue jouer un rôle de médiateur pour faire la paix. Beaucoup d’entrepreneurs voulaient du pouvoir, c’était une grosse problématique, ils étaient gourmands, ils en voulaient toujours plus. Ça a fait de grosses chicanes. La Mafia est venue en rôle d’arbitre, le besoin s’est accentué et elle a sauté sur l’opportunité. Il y avait un besoin et les entrepreneurs respectaient l’arbitre. C’était un service et la Mafia décidait des assignations, en cas de problème. Mais ça ne s’est pas fait pour tous les contrats.

Selon les participants, bien qu’il y ait eu ingérence de la part de la Mafia dans les affaires des entrepreneurs, cette dernière agissait à titre de médiatrice afin de régler des conflits, autant personnels que professionnels. Toutefois, les entrepreneurs ne faisaient pas systématiquement affaire avec cet organisme de régulation puisque des conséquences monétaires importantes étaient engendrées et les résolutions n’étaient pas toujours celles voulues.

Il y avait une personne qui assurait l’harmonie. Elle arbitrait quand les entrepreneurs ne s’entendaient pas. Elle régularisait les contrats quand il y avait de la chicane. La Mafia était utilisée quand ils voulaient tasser quelqu’un, mais ça leur coûtait de l’argent. Ils ne voulaient pas l’utiliser, car ils perdaient de l’argent.

Les participants ont été clairs quant au partage des contrats qui se faisait par les entrepreneurs et non par le monde interlope. La Mafia ne savait pas qui devait avoir le

contrat parce qu’elle ne connaissait pas qui était capable de les faire. La Mafia n’avait pas le contrôle.

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En outre, un des participants a précisé que le crime organisé à Montréal a un rôle

secondaire, il assure l’harmonie. C’est un rôle de facilitateur. S’il n’avait pas été là, quelqu’un d’autre aurait pris sa place. Ceci a été le cas à Laval. En effet, on a souvent

comparé les situations à Montréal et à Laval. Un entrepreneur a fait état d’une comparaison entre ces deux villes. Il mentionne qu’à Montréal, il y a une majorité d’entrepreneurs italiens et que ces derniers ont un respect envers une entité qui est celle de la Mafia. Ainsi, lorsqu’il y a des problèmes, ils savent qu’ils peuvent se tourner vers cet organisme pour régler leurs conflits. En ce qui a trait à Laval, nous retrouvons une majorité d’entrepreneurs québécois. Ces derniers ont une confiance envers des individus possédant des accréditations professionnelles telles que des ingénieurs et des avocats, et non, envers la Mafia pour laquelle ils n’ont aucune estime. La dynamique est donc différente entre ces deux villes, mais le résultat est similaire. Ainsi, ce dernier conclut que si la démographie socioculturelle avait été différente à Montréal, nous n’aurions pas soulevé l’infiltration du crime organisé. Un autre type d’organisme de régulation aurait pris la place du crime organisé traditionnel.

Bref, un propos maintes fois répété est que : La Mafia ne gère pas la construction. La Mafia gère les conflits provenant de la construction. C’est un organisme de régulation et non un organisme de contrôle. La Mafia n’a pas infiltré le domaine de la construction, mais a offert des services en échange de paiement, telle une boîte de consultants. La Mafia a ainsi tenu un rôle secondaire plutôt que le rôle premier dépeint continuellement dans les médias.

La Mafia n’étant pas l’instigatrice de la collusion dans le domaine de la construction, doit-on contrer les comportements anti-compétitifs en déployant des stratégies de lutte similaires à celles utilisées pour le crime organisé traditionnel?