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Chapitre I : Collusion, crime organisé et crime organisant

1.4 Problématique

Bien que la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction soulève quotidiennement des enjeux quant à l’intégrité du milieu de la construction, les stratégies de lutte contre la collusion mises en place ne sont peut-être pas appropriées à la réalité montréalaise. Certaines solutions, parfois élaborées à partir de la conviction que le crime organisé contrôle le milieu, pourraient être inadaptées au contexte présent. De plus, les actions déployées relèvent plutôt de la répression que de la dissuasion.

De ces faits, en nous basant sur la situation vécue à Montréal, au cours des dernières années, nous élaborerons des solutions de prévention et de lutte à la collusion dans le milieu de la construction. Notons que la mise au jour d’ententes préalables dissimulées au sein de l’industrie de la construction à Montréal étant un sujet relativement récent, plusieurs aspects concernant cette problématique n’ont pas encore été amplement approfondis.

Premièrement, nous constatons une absence de connaissances scientifiques contemporaines concernant la collusion dans la construction, particulièrement dans la grande région de Montréal. En effet, la majorité des écrits relativement à la collusion ne font pas référence au contexte québécois ou ne sont pas d’actualité. Nous retrouvons des écrits relevant de l’historique néerlandais, chinois et new-yorkais (Van de Bunt, 2004; Zou, P. X. W., 2006; Goldstock, R, Marcus, M., Thatcher II, T.D. et Jacobs, J.B., 1991; Ichniowski, C. et Preston, A., 1989) et de rares écrits quant à la collusion québécoise (Sexton, 1989). Néanmoins, ces derniers ne reflètent pas la réalité du domaine de la construction ou n’étudient pas le problème à sa source. Il serait donc intéressant de circonscrire le point d’émergence de la collusion dans un milieu donné afin d’être en

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mesure de le prévenir avec des outils adaptés ou encore de l’éradiquer. Pour ce faire, les conditions d’émergence de la collusion devront être identifiées en analysant le marché et les types d’irrégularités relevés. Ceci permettra de distinguer la source de la collusion afin d’instaurer des stratégies de prévention efficaces.

Deuxièmement, il est à préciser qu’il existe des idées préconçues quant à l’infiltration du crime organisé dans le domaine de la construction. En effet, la perception populaire provenant autant des médias, des documents officiels, des autorités que des citoyens, fait fréquemment référence aux groupes criminalisés afin d’appuyer son argumentation. Des stéréotypes associés à ces organisations criminalisées et des généralisations sur leurs activités et leur dominance en découlent. Cette vision tunnel a pour conséquence la subjectivité et les conclusions hâtives, sans nécessairement apporter d’explications au phénomène ou proposer des causes diverses. Précisons qu’aucune étude ne s’est penchée sur ce phénomène criminel au sein du milieu de la construction à Montréal. De plus, les validations offertes quant à l’infiltration du crime organisé traditionnel dans l’industrie de la construction sont relatives à l’anecdote et se basent principalement sur les témoignages d’informateurs dans le cadre d’une commission gouvernementale publique.

Davis et Wilson (2002) mentionnent que bien que des dénonciations ou des plaintes exposent fréquemment les complots, de bonnes raisons existent de soupçonner que les conspirations détectées de cette façon ont tendance à être moins efficientes. En effet, un délateur trahira son organisation lorsqu’il n’aura plus de bénéfices à en retirer, ce qui suggère donc que la conspiration est sur le point de s’écrouler. Il devient ainsi primordial de mettre sur place un système d’analyse du marché afin de pouvoir déceler les irrégularités par de la surveillance. Ceci permettra de déceler la collusion efficace et dissimulée. Une analyse de marché sera, par conséquent, effectuée afin d’explorer la possibilité d’identifier les comportements anticoncurrentiels en se basant uniquement sur des données disponibles du marché telles que le nombre de contrats, les entreprises et le montant octroyé pour les contrats. En validant l’existence de la collusion à l’aide d’entrevues auprès d’acteurs œuvrant dans la construction et en identifiant les conditions d’émergence et les opportunités criminelles qui ont permis à la collusion de s’installer dans le milieu de la construction, nous prendrons position à savoir si l’on fait face à un

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phénomène de crime organisé ou de crime organisant. Cela aura pour objectif d’établir les mesures de prévention et de répression afin de contrer les comportements anticoncurrentiels dans le domaine de la construction et de proposer de nouvelles façons de concevoir le rôle du crime organisé relativement à son infiltration possible dans l’industrie de la construction, dont celui de médiateur.

Conséquemment, nous posons l’hypothèse qu’un marché influencé par des pratiques collusoires sera teinté de modèles spécifiques tels que l’octroi de contrat à des entreprises particulières, et ce, de manière récurrente comme le mentionnent Brockmann (2009) et Chassin et Joanis (2010). Une attention particulière sera portée à l’année 2009 considérée comme charnière. En effet, cette cassure en 2009 pourrait être attribuée au fait que ce serait l’année où la collusion a été révélée par les médias. Il y a eu une forte réaction de la part de la population concernant les allégations de collusion, particulièrement grâce au rôle majeur des reportages de l’équipe d’Enquête sur la collusion dans l’industrie de la construction (Gravel et Denis, 2009). En effet, des manifestations revendiquant la tenue d’une enquête publique sur la collusion dans le milieu de la construction ont eu lieu. Toujours en 2009, au mois d’octobre, le gouvernement libéral sous Jean Charest, en tant que premier ministre, lance l’opération Marteau. Cette dernière regroupe plusieurs corps policiers de même que des acteurs précis de la fonction publique qui devront enquêter sur le milieu de la construction notamment en ce qui a trait à la collusion et aux liens avec le crime organisé. De plus, la mise en place de l’Unité anticollusion du ministère des Transports en février 2010 de même que celle de la Commission Charbonneau en novembre 2011 pourraient également avoir eu une incidence sur les changements survenus dans le milieu de la construction après 2009.

Tableau 1 : Opérations policières et organismes d’enquêtes spécialisées au Québec

2009 Escouade Marteau est une équipe chargée d’enquêter sur les allégations de collusion et les liens possibles avec le crime organisé dans le milieu de la construction.

2010 Unité anticollusion (UAC) a pour mission de prévenir la collusion dans l’attribution de tous les contrats du ministère des Transports (MTQ). Il en

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résultera la publication d’un rapport dénonçant les lacunes provenant du MTQ et des stratagèmes de collusion au sein de l’industrie de la construction.

2011 Unité permanente anticorruption (UPAC) assure la lutte contre la corruption, la collusion et le trafic d’influence dans l’octroi et l’exécution de contrats publics. Dans ses réalisations, on y retrouve le Projet Gravier ayant pour mission d’enquêter sur les allégations de collusion, de corruption et de favoritisme dans l’attribution des contrats publics à la ville de Mascouche de même que le Projet Grattoir qui est une enquête réalisée conjointement par Revenu Québec, le Service des enquêtes sur la corruption de la Sûreté du Québec et le Bureau de la concurrence du Canada ayant pour but de lutter contre la collusion et la corruption dans le système public québécois. Plusieurs autres projets policiers ont vu le jour, mentionnons uniquement le Projet Honorer visant la malversation à la ville de Laval de même que le Projet Joug portant sur le financement politique illégal au sein du Parti libéral du Québec

2013 Escouade de protection de l’intégrité municipale (EPIM) est chargée d’assurer la protection de l’intégrité administrative de la ville de Montréal, principalement dans le cadre des processus d’octroi de contrats.

Ayant obtenu les contrats pour les années 2006 à 2011 et prenant en considération que des mesures ont été enclenchées à la suite de la découverte de collusion en 2009, nous pouvons ainsi comparer l’ère avant 2009 à l’ère après 2009 afin de déceler la présence de la collusion. Nous posons ainsi l’hypothèse qu’il y aurait eu un recul quant à la collusion entre entreprises suite aux révélations et aux enquêtes policières qui ont suivi, confirmant ainsi la présence de comportement anticoncurrentiel dans le domaine de la construction. Ce recul serait associé à la crainte de la répression de même qu’aux conséquences y étant rattachées, mentionnons également la mise en place de barrières à l’entrée imposées par l’Autorité des marchés financiers afin de filtrer les entreprises désireuses d’obtenir des contrats publics.

Enfin, nous posons l’hypothèse que l’industrie de la construction n’a pas été infiltrée par le crime organisé, mais que les acteurs découlent plutôt du crime organisant. À l’aide

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d’entrevues auprès d’entrepreneurs, l’impunité du gouvernement et les opportunités criminelles qui auront permis à un groupe d’acteurs du milieu de créer une organisation seront démontrées. Nous proposons également que le crime organisé traditionnel italien au sein de la ville de Montréal ait joué un rôle secondaire à titre d’arbitre et ne serait pas l’instigateur des stratagèmes de collusion, mais que ce rôle serait plutôt détenu par un groupe s’étant organisé afin d’atteindre des objectifs communs. Ceci permettra une nouvelle manière d’observer et de concevoir le phénomène de la collusion sans nécessairement l’associer au crime organisé et offrira des pistes de solution effectives à long terme afin de contrer les comportements anti-compétitifs dans le domaine de la construction.