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L'importance des politiques environnementales dans la régulation l'Union européenne ne fait guère de doute. L'action régulatrice de l’Union Européenne y a été particulièrement abondante depuis 1972, et de très nombreuses directives ont

été votées puis transposées pour réguler la gestion de l’eau, de la pollution atmosphérique, des milieux naturels, des objets polluants, des objets bruyants etc… Cette régulation se fonde sur la base juridique de l’Union, qui réserve à l'environnement une place importante : l’Acte Unique (1986) a fait entrer le sujet dans le traité instituant la Communauté européenne ; le traité sur l’Union européenne (1992) l’a élevé au rang de politique à part entière ; le traité d’Amsterdam (1997) le consolide et soumet les objectifs économiques à la recherche « d’un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement ». Dernièrement, la volonté de l'UE de réguler l'environnement été confirmée dans le cadre du Sixième Programme d'Action Communautaire pour l'Environnement75.

Or, « un certain nombre de problèmes se posent en ce qui concerne la disponibilité, la qualité, l'organisation, l'accessibilité et la mise en commun des informations géographiques nécessaires pour atteindre les objectifs fixés dans ledit programme »76. Il y a donc un problème d'informations concernant les

politiques environnementales. Celui-ci n'est pas lié à la mise à disposition du grand public d'informations sur l'environnement et sur les politiques qui le concernent, car cette mise à disposition est d'ores et déjà organisée par un certain nombre de directives. L'accès du grand public à ces informations a fait, depuis quelques années, l'objet d'une régulation européenne : l'accès public aux

75 Parlement Européen et Conseil (2002).

informations environnementales est réglé par la directive ARUS77 datant de 2003 ;

la réutilisation des informations du secteur public est encadré par une directive nommée PSI78.

Le problème soulevé concerne les décideurs publics eux-mêmes : ils manquent de données fiables pour mettre en œuvre et évaluer les politiques publiques dont ils ont la charge. Le principal objectif d'INSPIRE est bien, selon les textes, de doter les administrations européenne d'un « savoir sûr » de l'état de l'environnement européen. L'un des premiers documents de proposition de la directive INSPIRE émis par la Commission79 est, dès les premières lignes, sans

équivoque sur ce point :

« Il n'y a pas de bonne politique sans informations de bonne qualité ni participation d'un public informé. Les décideurs ont reconnu la complexité croissante et l'interconnexion des questions qui touchent aujourd’hui la qualité de la vie, ce qui influe sur la façon dont les nouvelles politiques sont formulées. Par exemple, le Sixième programme d'action dans le domaine de l'environnement souligne que la politique de l’environnement doit être fondée sur une bonne connaissance et une participation en connaissance de cause, et que cette nouvelle approche transforme la façon dont les décisions de politique environnementale de l’UE sont prises ».

L'objectif principal est de fournir aux autorités européennes les informations géographiques nécessaires à l'implémentation et à l'évaluation de politiques environnementales complexes.

Autrement dit, le déploiement d’INSPIRE répond au fait que les politiques européennes environnementales sont affaiblies par l'absence d'une objectivation

77 Parlement Européen et Conseil (2003a). 78 Parlement Européen et Conseil (2003c).

unifiée de leur objet, « l'environnement européen ». Les politiques

environnementales européennes sont fondées sur des informations hétérogènes, dispersées et provenant d'autorités différentes :

« l'accès aux informations géographiques et leur utilisation demeurent problématiques en Europe. Les principaux problèmes sont liés aux lacunes de données et de documentation, à l’incompatibilité des séries de données spatiales et des services du fait des différences de normes et des obstacles au partage et à la réutilisation des données spatiales »80.

L'environnement européen, en tant que construction intellectuelle, n'existe pas : il est l'agrégat d'objets nationaux indépendants, comme l'environnement français, l'environnement belge, ou d'informations issues d'autres programmes communautaires, comme le programme Galiléo81, le programme GMES82, le

programme de prévention et de contrôle de la pollution ou encore le programme d'évaluation des interactions entre la forêt et l'environnement83.

Or la superposition de visions nationales des enjeux environnementaux pose un certain nombre de problèmes dans la régulation de l’environnement. Tout d'abord parce que les enjeux environnementaux ne respectent pas les frontières politiques. C’est notamment le cas dans le secteur des risques environnementaux. Un des acteurs que nous avons interrogés nous en donne deux exemples : tout d'abord, celui des inondations. Si le bassin du Rhin dans sa partie allemande est inondé, il ne fait aucun doute que l'inondation va tôt ou tard toucher les Pays-Bas. Ici, l'absence de critères de mesure harmonisés entre les deux pays pose un

80 Commission des Communautés Européennes (2004 : 4). 81 Conseil de l'Union Européenne (2002).

82 Commission des Communautés Européenne (2004b). 83 Parlement Européen et Conseil (2003b).

problème d'anticipation du risque. Autre exemple : celui de feux de forêts dans des zones frontalières. En l'absence de données topographiques harmonisées, qui utilisent des deux côtés de la frontière la même légende et le même système de projection, l'intervention aérienne (hélicoptères et canadaires) est rendue dangereuse84.

Ensuite parce que la superposition des visions nationales de l'environnement européen pose un important problème d'actualisation des données. Dans la mesure où les acteurs européens doivent tout d'abord se livrer au lourd exercice d'obtention des données auprès des autorités nationales puis de leur agrégation, les données environnementales sont peu souvent actualisées. Cela ne pose guère de problème pour les données qui évoluent peu (par exemple celles qui concernent la gestion des couches géologiques), mais en lève de sérieux dans les domaines où la situation change rapidement (par exemple celles qui concernent l'érosion des sols).

D'où la nécessité de créer un dispositif technique permettant de construire, à partir de données nationales, une objectivation européenne de l'environnement : c’est là l'objectif d'INSPIRE. Le mouvement général de la construction de cette vision est « bottom-up ». Il s'agit de construire la « vue » de niveau supérieur par agrégation des données obtenues à un niveau inférieur85. Cela passe par la mise en

84 Ces deux points nous ont été communiqués par un des responsables d'INSPIRE, interview

réalisée par l'auteur, Juillet 2007.

réseau de l'ensemble des Systèmes d'Information Géographiques (SIG) nationaux touchant à l'environnement. Celle-ci s'appuie d'un côté sur un réseau distribué de bases de données, et d'un autre côté sur des applications permettant d'interroger et de travailler les données de ce réseau. Les bases de données géographiques sont reliées grâce à des standards communs et des protocoles permettant la compatibilité et l'interopérabilité des données et des services86. Elles sont

accessibles via les réseaux informatiques à travers plusieurs protocoles, de la requête simple (http) au téléchargement d'un ensemble de données (ftp). Les applications logicielles permettant l'interrogation et le travail des données sont réunies sur un « portail » accessible en ligne. Elles comprennent des fonctions de requête, de vision et d'analyse des données. Dans cette architecture, les catalogues de métadonnées sur les données et les applications sont absolument centraux : ce sont eux qui permettent de lier la requête de l'utilisateur aux bases de données comportant les données recherchées et aux applications adéquates pour leur traitement :

« Geo-processing and catalogue services may process user queries, draw maps from data, regulate access, perform payment operations, and extract and send data to a user application. Content repositories or services are available and appropriate for their use. It is safe to call the catalogues, together with the catalogue services, the heart of INSPIRE's architecture. Naturally, catalogues must be populated with metadata of acceptable quality »87.

Cette architecture informatique permet à INSPIRE de créer une

86 Documentation technique sur INSPIRE, Groupe de travail AST (2002 : 15-23). 87 Documentation technique sur INSPIRE (Groupe de travail AST 2002 : 14).

objectivation proprement européenne de l'environnement, et ce pour deux raisons. Premièrement, elle permet la construction de cartes pan-européennes de petite échelle à partir de données nationales détaillées compatibles entre elles, à jour et immédiatement accessibles. Pour la première fois, on peut construire des représentations de l'environnement européen qui ne sont pas la somme des visions nationales. Deuxièmement, l'objectivation de l'environnement organisée par INSPIRE est proprement européenne dans la mesure où la définition de « l'environnement » a été réévaluée dans le cadre de la négociation qui a précédé l'adoption de la directive. Plusieurs représentants nationaux nous ont confié88 que

la définition de l'environnement véhiculée par INSPIRE est beaucoup plus large que celle utilisée dans les États membres. Elle touche en effet aux données suivantes : les référentiels de coordonnées ; les systèmes de maillage géographique ; les dénominations géographiques ; les unités administratives ; les adresses ; les parcelles cadastrales ; les réseaux de transport ; l'hydrographie ; les sites protégés ; l'altitude ; l'occupation des terres ; l'ortho-imagerie ; la géologie ; les unités statistiques ; les bâtiments ; les sols ; l'usage des sols ; la santé et la sécurité des personnes ; les services d'utilité publique et services publics ; l'installation de suivi environnemental ; les lieux de production et sites industriels ; les installations agricoles et aquacoles ; la répartition de la population et la démographie ; les zones de gestion, de restriction ou de réglementation et unités de déclaration ; les zones à risque naturel ; les conditions atmosphériques ;

les caractéristiques géographiques météorologiques ; les caractéristiques géographiques océanographiques ; les régions maritimes ; les régions biogéographiques ; les habitats et biotopes ; la répartition des espèces ; les sources d'énergie ; les ressources minérales89.

Deux exemples de cette redédifinition de l'environnement dans l'objectivation qu'en fait l'UE méritent d'être détaillés : parmi les données retenues par la Commission pour être inclues dans INSPIRE figurent des données qui ne font pas partie des compétences usuelles du ministère danois de l'Environnement – notamment les données qui touchent aux transports, à l'usage des sols, les caractéristiques géographiques météorologiques et océanographiques90. L'exemple

de l'Allemagne est encore plus éloquent. La grande majorité des données intégrées à INSPIRE ne font pas partie des bases de données détenues par les autorités allemandes en charge de l'environnement. Les données non prises en compte par les administrations allemandes en charge de l'environnement mais pourtant inclues dans INSPIRE sont les suivantes :

 dans l'Annexe 1 : les référentiels de coordonnées ; les systèmes de maillage géographique ; les dénominations géographiques ; les unités administratives ; les adresses ; les parcelles cadastrales ; les réseaux de transport ; l'hydrographie ;

 dans l'Annexe 2 : l'altitude ; l'ortho-imagerie ; la géologie ;

89 Selon la directive INSPIRE (Parlement Européen et Conseil 2007 : annexes 1, 2, 3). 90 Correspondance de l'auteur avec un des responsables d'INSPIRE – été 2007.

 dans l'Annexe 3 : les unités statistiques ; les bâtiments ; les sols ; l'usage des sols ; la santé et la sécurité des personnes ; les services d'utilité publique et services publics ; les lieux de production et sites industriels ; les installations agricoles et aquacoles ; la répartition de la population et la démographie ; les zones de gestion, de restriction ou de réglementation et unités de déclaration ; les zones à risque naturel ; les conditions atmosphériques ; les caractéristiques géographiques météorologiques ; les caractéristiques géographiques océanographiques ; les régions maritimes ; les sources d'énergie ; les ressources minérales91.

Cet élargissement de la définition du secteur environnemental à l'œuvre dans INSPIRE peut conduire à des réorganisations dans les secteurs administratifs nationaux. Celles-ci ne sont pas au cœur de notre propos : nous les mentionnons simplement pour montrer que la vision de l'environnement créée par la directive est strictement européenne : les critères de mesure de l'environnement européen sont différents des critères utilisés dans les États membres.

INSPIRE est donc bien un instrument d'objectivation d'un domaine politique de l'Union européenne. Les acteurs qui l'ont conceptualisé et mis en place visaient à renforcer la légitimité de la régulation européenne en augmentant la capacité d'analyse environnementale des décideurs européens. Cela correspond

à la volonté exprimée dans le 6eme Programme Communautaire d'Action pour

l'Environnement :

« Des connaissances scientifiques solides et des analyses économiques fondées, des informations et des données fiables et à jour sur l'environnement, ainsi que l'utilisation d'indicateurs, viendront étayer l'élaboration, la mise en œuvre et l'évaluation de la politique environnementale »92.

Cette augmentation de la capacité d'analyse passe notamment par la création d’une objectivation européenne de l'environnement, c'est-à-dire une objectivation qui ne soit pas cloisonnée par les frontières nationales : « En l’absence d’un cadre harmonisé au niveau communautaire, la formulation, la mise en œuvre, le suivi et l'évaluation des politiques nationales et communautaires qui affectent directement ou indirectement l'environnement se heurteront aux obstacles à l’exploitation des données spatiales transfrontières nécessaires aux politiques concernant des problèmes à caractère transfrontière. »93. Il s'agit là

d'une volonté tout à fait comparable à celle qui a motivé la création d'instruments d'objectivation par les États modernes. En ce sens, l'analyse d'INSPIRE renforce la thèse selon laquelle l'Union européenne tend à devenir un « État régulateur » dans certains domaines de politiques publiques (Majone 1996 : 11).