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La représentation de l’environnement européen n’est pas construite par la centralisation de savoirs locaux. Les informations restent détenues par les États

92 Commission des Communautés Européennes (2001 : 6). 93 Commission des Communautés Européennes (2004 : 4).

membres : les bases de données sont maintenues sur leurs lieux de production. On n’assiste donc pas à une centralisation des informations, mais à leur « mise en compatibilité ». L’idée est que, en rendant compatibles les informations détenues par les États membres sous des formats différents, on peut construire une représentation unifiée à partir de données décentralisées.

« Les infrastructures d'information géographique dans les États membres devraient être conçues de façon à ce que les données géographiques soient stockées, mises à disposition et maintenues au niveau le plus approprié, qu'il soit possible de combiner de manière cohérente des données géographiques tirées de différentes sources dans la Communauté et de les partager entre plusieurs utilisateurs et applications, que les données géographiques recueillies à un niveau de l'autorité publique puissent être mises en commun entre les autres autorités publiques (...) »94.

Dans la mesure où la « mise en compatibilité » des bases de données est un processus long et coûteux, la Commission a décidé d'un agenda progressif : dans un premier temps, et selon les données considérées, les États peuvent ne pas modifier leurs bases de données, et simplement ajouter sur celles-ci un « filtre » qui les transforme de façon à ce qu'elles soient compatibles entre elles. Il s'agit là d'une harmonisation par une transformation à la volée des données, plutôt qu'une harmonisation profonde des données elles-mêmes. Selon la directive (art. 7.3, nous soulignons), « spatial data sets shall be made available in conformity with the implementing rules either through the adaptation of existing spatial data sets

or through the transformation services referred to point (d) of Article 11(1) ». Une

première harmonisation « artificielle » des données a donc lieu par l'ajout sur les bases de données de petits programmes de traduction. Cette solution a été retenue

94 Selon la Directive INSPIRE (Parlement Européen et Conseil 2007 : Considérant 6). Sur

pour éviter les coûts très importants d'une harmonisation immédiate des bases de données, coûts liés aux transformations technologiques ainsi qu'à la formation des personnels95. C'était là un enjeu majeur pour que les États membres acceptent la

directive.

Pour bien nous faire comprendre ce point, un de nos interlocuteurs96 nous a

raconté la situation suivante. Pour ce qui concerne les données sur les sols, les pays européens utilisent le modèle de nomenclature fournit par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture. Cependant, la Hongrie possède sa propre nomenclature nationale. Celle-ci n'est pas compatible avec la nomenclature du FAO, si bien qu'il est actuellement impossible d'avoir une vision directement européenne des « sols » européens. Il faut toujours passer par une mise en conformité des données hongroises. INSPIRE vise précisément à répondre à ce type de situation. Dans ce cas, la base de données hongroise comporte des données d'échelle intermédiaire (c'est-à-dire assez précises) : il reviendrait donc très cher à la Hongrie de changer complètement son système de nomenclature. Aussi, le choix lui est-il donné de mettre en place un simple filtre qui, ajouté par dessus la base de données, « traduit » les données de façon à les rendre compatibles avec la nomenclature européenne.

Il faut comprendre ce processus d'harmonisation comme un processus

95 Interview réalisée par l'auteur, août 2007. 96 Interview réalisée par l'auteur, juillet 2007

large : il ne s'agit pas seulement d'harmoniser les bases de données, mais également les savoir-faire des femmes et des hommes qui les manipulent. L'un des buts d'INSPIRE est également d'amener les gestionnaires nationaux de ces bases de données à communiquer entre eux, à échanger leurs expertises, à mettre en commun leurs pratiques97.

Comme dans tout processus d’harmonisation, des difficultés sont apparues. Ainsi, si les États membres sont parvenus à s'entendre sur l'harmonisation progressive des bases de données, ils n'ont pu étendre celle-ci aux licences appliquées aux données, qui divergent assez sensiblement entre les États. Aussi l'harmonisation du cadre de la propriété intellectuelle, si elle n'est pas totalement abandonnée, est remise à plus tard : « La présente directive n'affecte pas l'existence ou la titularité de droits de propriété intellectuelle par des autorités publiques. »98. Seuls un certain nombre d'éléments devant être spécifiés par ces

licences ont été définis99.

Enfin, il est intéressant de noter que le processus d'harmonisation concerne également les États membres. En effet, INSPIRE leur permet d'harmoniser leurs relevés sur leur territoire. Il y a donc un enjeu, au sein même de chaque État membre, de standardisation des informations. Les interlocuteurs – qui sont des technocrates au service des États centraux – présentent généralement cet effet de la directive comme une conséquence positive quoi qu'inattendue :

97 Interview menée par l'auteur, juillet 2007.

98 Selon la directive INSPIRE (Parlement Européen et Connseil 2007 : article 2). 99 Documentation technique sur INSPIRE, (Groupe de travail DPLI 2002 : 19).

« Oui, nous travaillons actuellement à l'intégration dans le droit allemand. Je dois dire que, en tant que membre du gouvernement fédéral, je suis très content de voir cette directive parce que c'est une opportunité d'harmoniser même les données nationales grâce à une loi européenne »100.

On peut cependant se demander dans quelle mesure cette conséquence n'a pas été anticipée et motivée l'adoption de la Directive :

« If Member States want to use INSPIRE in a clever way, they will use it to streamline every thing in their country and to collaborate in the same way as they collaborate with the EU level with the other levels... This is known in a good way for Germany and Spain »101.

Cependant, la forme non-centralisée de gestion de l'information organisée par INSPIRE ne doit pas laisser penser que cette non centralisation induise un recul du pouvoir de l’autorité centrale : il semble en effet que les services de la Commission soient sortis renforcés par la mise en place de la directive.

La directive INSPIRE a été initiée par les services de la Commission. Trois services ont été mobilisés : la direction générale de l'Environnement, Eurostat et le Centre Commun de Recherche (CCR). La DG Environnement était responsable de la partie politique du projet, Eurostat de l'aspect opérationnel et le CCR du développement technologique. Un de nos interlocuteurs insiste particulièrement sur le fait que l'ensemble du processus répond à une volonté de la Commission : « it was the wish of the Commission (...) to have better databases for the environment. The process was not iniated by the Member States... »102. Le rôle de

la Commission a été particulièrement important lors du choix, crucial, des thèmes

100 Interview réalisée par l'auteur, Août 2007. 101 Interview réalisée par l'auteur, Juillet 2007. 102 Interview réalisée par l'auteur, septembre 2007.

couverts par les données. Si des consultations publiques ont été tenues pour opérer le choix103, ce sont les services de la Commission qui ont fini par trancher.

Plusieurs de nos informateurs attirent notre attention sur un effet important d'INSPIRE dans les relations entre la Commission et les États membres. L'un de nos interlocuteurs évoque ainsi l'allègement qu'INSPIRE va apporter aux États membres en termes de « reporting requirements ». Pour travailler à l'Agence Européenne de l'Environnement, il connaît le poids des obligations de reporting qui pèsent sur les États membres. Or INSPIRE va permettre à ceux-ci d'être dispensés de ce genre de procédures, dans la mesure où l'infrastructure permet aux autorités européennes d'aller elles-mêmes chercher les informations dont elles ont besoin104. Delphine Nivière (2005 : 38-40) avait déjà relevé les problèmes

d'obtention des données par Eurostat auprès des offices nationaux.

Mais cet allègement est à double tranchant : paradoxalement, si les procédures de reporting deviennent plus légères pour les États membres, elles sont renforcées. A travers INSPIRE, les services de la Commission peuvent d'une part accéder aux données des États membres quand ils le souhaitent, et, d'autre part, accéder à des données beaucoup plus détaillées que celles fournies via les procédures de « reporting » classiques, permettant de la sorte une bien meilleure évaluation des politiques publiques environnementales.

103 Un de nos informateurs confirme que la Commission a scrupuleusement respecté les

procédures de consultation décrites dans un des documents. La consultation publique, notamment via internet, a bien été menée – mais seuls les experts et la société civile organisée y ont effectivement pris part.

« Often in Brussels, they do not have access to the more detailed information in the Member States ; so they receive a lot of letters of complaints [... such as] 'a new road has been planified in a region X and it will cross sites of Natura 2000 and it will have an impact' etc... So, for people in Brussels, it's very difficult to understand [les problèmes qui se posent sur le terrain]. So what they tried to do until now, is to collect all this information from Member States through reporting... A very complex process but always incomplete and very difficult to interpret. So we hope that with INSPIRE in place it would make all these monitoring of the policies implemented in the Member States easier for the people in Brussels, but vice et versa also »105.

En cela, INSPIRE participe bien d'un mouvement de renforcement du pouvoir des services de la Commission qui peuvent à présent construire une représentation de l'environnement européen sans être tributaire de la bonne volonté des États membres.