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Le rôle des faunes indigène et introduite a surtout été étudié de manière indirecte au cours de cette thèse. Pour comprendre le rôle des frugivores, nous avons par exemple largement étudié les traits de dispersion des plantes en les associant aux traits de la faune (chapitres 1, 2, 4, 5 et 6), mais aussi la localisation des relevés de végétation et trappes à graines pour comprendre les déplacements de la faune dans des paysages hétérogènes (chapitres 4 et 5) ou encore l'impact du nettoyage des graines via la consommation de la pulpe en réalisant manuellement cette opération (chapitre 7). Pour comprendre l'impact des prédateurs de graines, nous avons de même contrôlé le nombre de graines semées (chapitre 7) et utilisé des cages d'exclusion (chapitre 5). Pour aller plus loin lors de nos expérimentations, ces méthodes indirectes ont été couplées à de nombreuses observations directes et divers dispositifs permettant de suivre la faune (quatre pièges caméras et deux enregistreurs acoustiques). Il persiste néanmoins de nombreuses limites à notre compréhension fine de son rôle.

Utiliser les tailles de fruits et de graines pour comprendre les conséquences de rupture d'interaction de frugivorie (chapitres 4 et 6) peut révéler un pattern de recrutement similaire suivant des limitations pré- ou post-dispersion : les plantes à grosses graines sont par exemple souvent la cible de vertébrés prédateurs de graine (Forget et al., 2005). Même si nous montrons expérimentalement que la prédation des graines est une limitation secondaire pour les ligneux à grosses graines au Tremblet (chapitre 5), nous ne pouvons rigoureusement démêler les causes derrière le défaut de recrutement de nombreuses espèces dans la comparaison entre les forêts de Mare Longue et Brise Fer (chapitre 6). Pour la plupart des ligneux à grosses graines ayant des difficultés de régénération, la forte limitation de la dispersion est probablement le principal facteur à l’œuvre. Si cela semble aller de soi à la Réunion où le plus gros frugivore indigène pèse 55 g en moyenne, cela est également valable à Maurice où la roussette pourrait disperser peu efficacement les grosses diaspores en raison de sa taille de bouche limitée par rapport à d'autres vertébrés, tels les pigeons (Meehan et al., 2002; Whittaker et Jones, 1994; Wotton et Kelly, 2011) et tortues (Hansen et al., 2008). A Maurice, plusieurs lignages de plantes à grosses graines pourraient néanmoins avoir des traits végétatifs qui rendent ces plantes très attractives pour les cerfs et macaques qui sont absents à La Réunion (Cheke et Hume, 2008), ce qui pourrait aggraver le défaut de recrutement de ces plantes, et par exemple expliquer pourquoi

Labourdonnaisia spp. s'y régénèrent si mal en comparaison avec La Réunion.

Piéger des oiseaux frugivores était initialement prévu au Tremblet pour comprendre rigoureusement « qui disperse quoi », mais les difficultés technico-légales de mise en œuvre nous ont conduit à mesurer la pluie de graine avec des trappes pour nous concentrer sur « qui est dispersé » (chapitre 5). Nous avons ainsi opté pour une méthode permettant de collecter en continu les diaspores dispersées par tous les vertébrés arboricoles et d'accumuler une grande quantité de graines pour mieux comprendre les limitations qui pèsent sur le recrutement des plantes (Muller-Landau et al., 2002). Même si la structure spatiale de la pluie de graine suggère des comportements sensiblement différents entre Hypsipetes borbonicus et Pycnonotus jocosus et que les quatre pièges caméras couplés aux observations directes ont permis d'apporter de nombreux enseignements, il reste que nous ne savons pas exactement quels sont les frugivores qui ont dispersé les graines identifiées dans les différentes trappes (chapitre 5). Pour tenter de mieux comprendre le comportement des frugivores au Tremblet, nous avons également utilisé des enregistreurs acoustiques (cf Katz et al., 2016a, 2016b). Cependant, la méthode s'est révélée inadaptée, principalement en raison de la petitesse du site d'étude et de la difficulté à optimiser les vraies détections (taux de faux positifs et faux négatifs importants, Maigné et al., 2019). Une approche basée sur des points de comptage a été envisagée durant la dernière partie de l'expérimentation au Tremblet, mais le confinement lié à l'épidémie de covid-19 n'a pas rendu possible sa mise en œuvre. Pour aller véritablement plus loin dans la compréhension de « qui fait quoi », le metabarcoding pourrait permettre d'identifier aussi bien les plantes que les vertébrés qui les ont dispersées (González-Varo et al., 2014). L'intérêt apparaît limité au Tremblet pour les premières qui montrent une surdispersion phylogénétique (Albert et al., 2018) et sont de ce fait relativement faciles à discriminer d'un point de vue morphologique (Leishman et al., 2000). Le fort conservatisme des traits des graines rendrait en revanche une étude comparable beaucoup plus délicate dans une communauté où coexistent de nombreuses plantes apparentées (cf à Maurice la tentative de discriminer Diospyros spp. dans les fèces de tortues en utilisant le marqueur ITS (Tatayah et al., 2018)). Au Tremblet, le metabarcoding permettrait surtout d'aller vers l'identification des disperseurs à partir d'échantillons collectés dans des trappes (González-Varo et al., 2018).

Les îles océaniques ont été particulièrement touchées par les extinctions de vertébrés indigènes (Heinen et al., 2017), mais elles connaissent un processus de refaunation depuis le début de la colonisation humaine (chapitre 2). Une question importante consiste à comprendre dans quelle mesure les frugivores introduits pourraient disperser les plantes indigènes (Loayza et al., 2020). Nos résultats montrent que les nouvelles interactions de frugivorie profitent essentiellement aux plantes exotiques à fruits charnus (chapitre 5), comme cela a déjà été montré à Hawaiʻi (Vizentin-Bugoni et al., 2019). Nous détectons en effet un nombre limité d'interactions de frugivorie entre le principal frugivore introduit, Pycnonotus jocosus, et les espèces indigènes au Tremblet (chapitre 5). Par exemple, ce passereau consomme fréquemment diverses plantes exotiques envahissantes dans le sous-bois des forêts indigènes en délaissant des arbustes voisins comme Gaertnera vaginata ou Chassalia corallioides qui sont en revanche fréquemment visités par Hypsipetes borbonicus. Des observations en milieu (péri-) urbain montrent pourtant que Pycnonotus jocosus consomme les fruits de diverses espèces indigènes plantées, ce qui suggère que le comportement de ce passereau pourrait être fortement modulé par la disponibilité en fruits à l'échelle du paysage (Vizentin-Bugoni et al., 2019).

Fig.d.5 Tenrec ecaudatus mangeant l'intérieur d'une figue de Ficus mauritiana au Tremblet en février

2019. La plupart des détections s'est en réalité produite durant la nuit. Photo : S. Albert.

Les animaux introduits peuvent également jouer un rôle très ambigu et difficile à appréhender. Chez les mammifères, Tenrec ecaudatus peut par exemple déchausser de nombreuses plantules au Tremblet en fouillant dans la litière et consommer massivement certaines plantes indigènes comme Ficus mauritiana (Fig.d.5) et exotiques comme déjà rapporté ailleurs (Cheke et Hume, 2008). Cependant, notre dispositif conçu pour mesurer la pluie de graines issue des vertébrés volants et arboricoles n'a pas permis d'inclure ses fèces dans les résultats. Les rats remportent la palme de la complexité (Abe, 2007; Campbell et Atkinson, 2002; Shiels, 2011; Shiels et Drake, 2011) : omnivores et prédateurs de graine, disperseurs de plantes envahissantes et indigènes parfois à grosses graines (malgré un rayon d'action limité), le tout avec une remarquable variabilité dans l'espace (chapitre 5) et le temps (chapitre 7). Si l'on ajoute la quasi restauration en 2020 du recrutement de Labourdonnaisia calophylloides après le dépulpage massif opéré par Achatina immaculata (chapitre 7), la variabilité de certains comportements mis en évidence invite à la prudence quant à la portée d'expérimentations souvent très limitées dans l'espace et le temps. Quoi qu'il en soit, ces animaux introduits sont aujourd'hui des acteurs incontournables des nouveaux écosystèmes insulaires et méritent d'être davantage étudiés pour mieux comprendre leur impact sur le fonctionnement des forêts.

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