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Si les protocoles de semis direct offrent d'intéressantes perspectives dans une île défaunée comme La Réunion, ils n'ont pour autant pas la prétention de se substituer efficacement aux frugivores de grande taille. D'abord parce qu'ils ne peuvent être entrepris qu'à des échelles spatiale et temporelle limitées en comparaison avec les capacités de dispersion de la grande faune. Rien ne peut remplacer des frugivores en grand nombre en quête perpétuelle de nourriture et dotés d'un grand rayon d'action. Mais aussi parce que les frugivores permettent aux graines de certaines espèces d'échapper à une prédation précoce en mangeant les fruits sur les arbres (Benítez-Malvido et al., 2016), tandis que les protocoles de semis s'appuient essentiellement sur du ramassage de diaspore au sol ou dans des filets où peut s'exercer une très forte pression d'ennemis naturels (comme cela a été observé chez Poupartia borbonica lors de cette thèse). Quoi qu'il en soit, le retour des grands frugivores est souhaitable à La Réunion et ne doit pas être opposé à des actions de semis à grande échelle menées par l'Homme. Ces perspectives sont même complémentaires dans la mesure où la dispersion à longue distance des plantes à grosses graines n'est guère envisageable par la faune susceptible de ré-ensauvager (rewilding) prochainement les écosystèmes. Il reste que si une politique de semis direct pourrait être assez facilement déployée par les gestionnaires d'espaces naturels, le ré-ensauvagement des écosystèmes soulève de nombreuses questions socio-économiques (Cybèle, 2018) ou écologiques (Vizentin-Bugoni et al., 2019) qui rendent sa mise en œuvre plus complexe.

Le ré-ensauvagement avec des grands frugivores peut être envisagé à différentes échelles et avec des objectifs variables en fonction des contextes qui sont disparates. Il est par exemple plus aisé de ré-ensauvager les îlots de Maurice avec les tortues terrestres

Aldabrachelys gigantea et Astrochelys radiata (Cole, 2012; Griffiths et al., 2011) que La Réunion :

ces îlots sont des réserves naturelles isolées tandis que les problèmes de sécurisation des animaux sont prégnants à La Réunion où le braconnage est à redouter. Pourtant, le lancement du projet de réintroduction de tortues à la réserve d'Ebony Forest à Chamarel (Maurice) montre

qu'une initiative analogue pourrait voir le jour à La Réunion (cf https://www.ebonyforest.com). Cette possibilité qui a d'ailleurs été longtemps envisagée par les acteurs du LIFE + forêt sèche et discutée lors d'un symposium consacré à la question au congrès IB2019 (Juvik, 2019), n'a malheureusement pas été mise à exécution. S'il ne faut pas attendre d'un tel projet qu'il ait un impact significatif sur la restauration de la dispersion à l'échelle d'un écosystème à La Réunion, il reste qu'une réserve avec des tortues terrestres pourrait non seulement être une passionnante expérience de restauration écologique (Hansen et al., 2010), mais aussi et surtout avoir une importante vocation pédagogique. Elle contribuerait notamment à montrer au public, touristes et élèves, que les grands vertébrés ont un rôle essentiel à jouer dans les forêts tropicales indigènes.

Fig.d.7 Dortoir de la roussette noire (Pteropus niger) dans l'Est de La Réunion. La roussette

noire a recolonisé La Réunion depuis Maurice au début des années 2000 plus de deux siècles après en avoir disparu. Photo : Gildas Monnier.

Le retour de la roussette noire (Pteropus niger) à la Réunion constitue une remarquable opportunité pour les écosystèmes forestiers (Fig.d.7), car cette grande chauve-souris frugivore endémique de l'archipel joue un rôle doublement mutualiste en tant que pollinisateur et disperseur (Florens et al., 2017a; Nyhagen et al., 2005). Les premiers travaux sur cette espèce à La Réunion montrent que les individus suivis sont capables de parcourir une vingtaine de kms au cours d'une seule nuit (GCOI, 2019), ce qui corrobore les travaux de Oleksy et Ayady (2019) à Maurice. Ainsi, elles assurent déjà une continuité géographique entre les dortoirs situés à basse altitude dans des habitats totalement transformés et la végétation indigène de l'Est de l'île où elles vont probablement se nourrir (GCOI, 2019). Si elles propageront peut-être de nouvelles plantes exotiques (Rouget et al., 2016), ces potentiels effets néfastes seront probablement contrebalancés par la restauration d'interactions mutualistes de pollinisation et de dispersion qui étaient éteintes depuis des siècles (cf van Toor et al., 2019). Pour s'en convaincre, il suffit de constater la remarquable régénération de la plupart des plantes indigènes à Brise Fer malgré la

persistance de nombreuses plantes exotiques à l'échelle du paysage (chapitre 6). A La Réunion, les reliques de forêts indigènes aux basses et moyennes altitudes riches en arbres à gros fruits (chapitre 2) sont sans surprise les plus attractives pour la roussette (GCOI, 2019). Ces reliques sont souvent très fragmentées et à proximité directe des activités humaines, tandis que les plus grandes zones en coeur de Parc national se trouvent entre Saint-Philippe et Sainte-Rose, notamment au Grand Brûlé qui voit malheureusement les kipukas riches en espèce à gros fruits charnus disparaître depuis des siècles sans possibilité de se reconstruire (chapitres 3 et 4). Pour que cette zone qui constitue la plus grande aire de basse altitude à distance des activités humaines soit réellement attractive pour les roussettes, il est non seulement possible (chapitre 5 ;

Fig.d.2), mais il y a surtout urgence à ramener des semenciers indigènes dont se nourrit cette

espèce (Florens et al., 2017a). Il y a d'autant plus de raisons d'envisager de vastes zones favorables et protégées pour les roussettes qu'avec la croissance exponentielle de la population de l'Est (GCOI, 2019), le risque de conflit d’intérêt avec les arboriculteurs doit être anticipé. Le défi est grand comme le montre la situation à Maurice où cette espèce qui joue pourtant un rôle clé de voûte dans les forêts indigènes est décimée à des fins démagogiques (Florens, 2015). Par conséquent, les acteurs locaux de la conservation devraient veiller à créer les conditions de l’acceptation de cette espèce endémique de l'archipel et inclure un important volet socio-écologique dans les prochains travaux de recherche (cf Cybèle, 2018).

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