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Rétablir la place de Paris sur la scène artistique internationale

B. Etude comparative de l’usage des artefacts

1. Rétablir la place de Paris sur la scène artistique internationale

En devançant des institutions artistiques de grande réputation par la mise en scène d’un sujet convoité autant à New-York qu’à Tokyo ou encore qu’à Londres233

, le Centre Georges Pompidou souhaite se poser en précurseur autant qu’en prédateur. Par l’exposition d’une série d’œuvres renommée sortant pour la première fois d’Autriche, Beaubourg essaye, en effet, de s’attirer l’estime de la concurrence internationale. La correspondance interne prouve que le Centre contribue activement à favoriser la reprise new-yorkaise de la manifestation, en intervenant notamment auprès des autorités viennoise afin d’obtenir pour leurs confrères du MoMa un allongement du temps des prêts : si l’exposition sur Vienne émigre en Amérique, Beaubourg acquerrait le statut de lanceur de tendance. Ce serait une consécration et une autonomisation pour l’institution qui jusque-là se contentait d’obtenir la bienveillance des grands établissements artistiques mondiaux par l’organisation d’expositions bipolaires leur rendant hommage.

Plus techniquement, la mise en place d’un tel évènement permet également au Centre d’élargir son réseau de prêteurs et d’en raffermir la fidélité. Or la réputation

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Archives du Centre Georges Pompidou, 1986-92014/050, Lettre de Michel Laclotte à Dominique Bozo datée

du 12 avril 1984.

233 Archives du Centre Georges Pompidou, 1986-92014/048, Lettre de Robert Waissenberger Gérard Régnier

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d’un musée se mesure aussi par la largeur de son influence. De plus, le catalogue a été conçu comme une véritable opération de marketing. En faisant appel à des personnalités de renommée mondiale pour rédiger le contenu de l’ouvrage, le Centre cherche en effet à donner un rayonnement international à l’évènement tout en se taillant une place sur le marché extra européen de l’édition scientifique.

Conceptuellement, il a été prouvé que les acteurs de l’exposition française internationalisaient le message de celle-ci par différents moyens tels que la limitation des noms propres et des dates visant à atteindre la généralité ou bien encore par le biais des bornes chronologiques incluant l’Anschluss présentée comme une « diaspora fécondatrice » … une telle manière de procéder témoigne nettement de l’ambition du Centre d’améliorer la médiatisation de la manifestation en mondialisant le phénomène de projection.

2. « Vienne, naissance d’un siècle », machine à démocratiser la culture ?

Etant donné que la manifestation est notamment placée sous le parrainage du ministre de la culture français, Jack Lang, dont le combat en politique est axé sur la démocratisation des pratiques culturelles, une telle assertion s’impose presque. Cependant, afin de la mesurer par les faits, il est nécessaire de reprendre un à un les principes dirigeant la politique culturelle interne du Centre : comprendre et expérimenter ; réunir et éduquer ; élargir et décloisonner.

Le sujet même témoigne de l’attention portée par le Centre aux désirs de ses publics. Prenant la mesure de la popularité de Vienne en France dans les années 1980, Beaubourg exprime dès ce moment-là son désir d’exposer la capitale danubienne à Paris. L’expérimental a également sa place au sein de « Vienne. Naissance d’un siècle ». Par exemple, la réalisation d’un catalogue prenant la forme d’un ouvrage monographique est une nouveauté totale, de même que la constitution d’un lieu d’appropriation alternatif et autonome du message de l’exposition, le café viennois. Le choix d’utiliser le visible et le ressenti physique au détriment du lisible comme outil quasi-exclusif de médiation dans l’exposition constitue également une première dans le cadre du Centre Pompidou. Ce procédé, en faisant appel à l’imaginaire plutôt qu’aux connaissances préalables des visiteurs, permet non

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seulement de ramener tous les publics au même niveau d’appréhension, mais encore rend l’exposition ludique et familiale.

Concernant la réunion des différents publics autour de la manifestation, il est bon de noter la connivence qui existe entre la devise de la Sécession « l’art pour tous » et le principe d’élargissement des publics qui dirige l’action de Beaubourg. Cette adéquation justifie à elle seule l’insistance du Centre à prendre en charge la Vienne 1900. Concernant la pédagogie, « Vienne. Naissance d’un siècle » est un terrain d’application idéal des procédés de communication développés par le Centre dans les années 1970. Si l’on prend l’exemple des dispositifs de médiation, le jeu de dissonances et de décalages qui se développe de salle en salle permet une progression par étape du propos dont l’appréhension est ainsi facilitée. Autre exemple, l’usage de citations se faisant écho d’une pièce à l’autre crée une circularité physique et mentale entre les pièces qui apparente presque l’exposition à une chasse aux trésors. L’évènement devient ludique et familial. Au niveau de la scénographie, implication sensorielle et neutralité scientifique sont mêlées, projetant les visiteurs dans la Vienne 1900, tout en leur permettant de garder une distance analytique sur le sujet. La projection, facteur d’appropriation, est d’ailleurs favorisée par les références fréquentes faites à la France. En outre, des animations polymorphes viennent soutenir et élargir le message porté par l’exposition.

Comme le mentionne Jean Maheu dans la préface du catalogue « Vienne 1880- 1938. L’apocalypse joyeuse », Vienne 1900 est un sujet par nature pluridisciplinaire, étant donné que les arts et artistes cohabitant dans le cadre de la Sécession, par exemple, ont pour objectif la création « d’un art total » et qu’un phénomène d’inspiration interdisciplinaire caractérise toute la fin de siècle, comme en témoigne les rapports existants entre Gerstl et Schönberg, Loos et Kraus mais aussi les liens plus ténus qui lient Freud et Klimt…Nathalie Heinich et Michael Pollak parle de sujet « encyclopédique » : « il y en a pour ainsi dire tout le monde entre la peinture, la littérature, les bijoux et l’architecture, les sciences et la politique, les grands hommes et les artistes […] rassemblement quasi-familial des centres d’intérêts »234. Non seulement cette multiplicité des médias de transmission est un facteur

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d’élargissement des publics parce qu’une fois les hiérarchies entre arts effacées, plusieurs angles d’attaque sont mis à disposition ; mais encore parce que la manifestation viennoise était attendue par les visiteurs comme une suite aux très populaires expositions pluridisciplinaires du cinquième étage, L’absence de frontière entre les disciplines – représentée à part égale – est aussi un élément de pédagogie. Ainsi, le métissage des disciplines permet leur illustration mutuelle.

Suite à ces exemples, il est possible d’affirmer que l’exposition « Vienne. Naissance d’un siècle » permit la réaffirmation de la mission de démocratisation du Centre autant par les modalités de traitement du sujet que par le choix de la thématique. Cependant, quelques éléments détonnent et contredisent ce rappel identitaire.