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Chapitre 2. Analyse iconographique et formelle des peintures murales

2.1 Analyse de chaque œuvre

2.1.3 La Résurrection du fils de la veuve de Naïn

La Résurrection du fils de la veuve de Naïn (fig. 34) est racontée dans l’évangile de Luc

(7, 11-17). Dans l’extrait qui suit cet épisode, « Question de Jean-Baptiste et témoignage que lui rend Jésus » (Lc 7, 18-30), Jésus confirme, à l’aide de nombreux miracles, qu’il est bien le Messie. Or, dans l’extrait duquel est inspirée La Remise des clés à saint Pierre (Mt 16, 13-21, Mc 8, 27-30, Lc 9, 18-21), Jésus affirme également cette vérité, comme le fait la voix de Dieu dans La Transfiguration (Mt. 17, 1-8, Mc 9, 2-8, Luc 9, 28-36). Ces passages bibliques, qui narrent la vie publique de Jésus, relient donc ces trois œuvres de la voûte entre elles. Le Mystère de la Rédemption y est sous-entendu, mais il concerne plus directement La Résurrection du fils de la veuve de Naïn. En effet, dans la troisième partie du troisième tome de son ouvrage, qui concerne la Résurrection du fils de la veuve de Naïn, celle de la fille de Jaïre et celle de Lazare, Réau (1955-1959 : 384) explique que « Les théologiens ont voulu voir dans les Résurrections opérées par le Christ le gage de la résurrection des Morts au Jugement dernier… » Ces Résurrections spécifiques acquièrent donc un caractère général, s’étendant à tous les êtres humains. Or, comme le Mystère de la Rédemption découle de la Résurrection du Christ et que La Résurrection du fils de la veuve de Naïn englobe celle de toute l’humanité, la peinture de Saint-Romuald illustre ce Mystère.

Pour représenter cet épisode, Leduc copie aussi un dessin d’Hofmann (fig. 93) tiré de son livret Venez à moi!, publié en 1888. La même année, dans Le Chrétien évangélique, H. Lecoultre (1888 : 174) rédige une critique du livret de dessins Venez à moi! d’Hofmann contenant douze œuvres, dont La Résurrection du fils de la veuve de Naïn. Elle classe ce

dessin parmi ceux les mieux réussis de ce livret. L’auteur ajoute : « … nous admirons surtout le mouvement plein de bonté et d’autorité avec lequel Jésus rend l’enfant à sa mère, et le geste ravi de la mère elle-même ». À la fin du 19e siècle, les contemporains de ce critique partagent sûrement cette opinion parce que, comme l’indique l’auteur, le livret

Souviens-toi, qui précéda Venez à moi!, eut beaucoup de succès. Est-ce que cette

popularité pourrait, à elle seule, justifier le choix de Leduc et de Laflamme d’illustrer ce sujet à Farnham ? Cette interrogation vient du fait que la Résurrection du fils de la veuve

de Naïn constitue un thème « Assez rare », comme l’exprime Zuffi (2009 : 212), ce

qu’atteste le corpus de Leduc qui ne compte qu’une version de ce sujet : celle de Saint- Romuald. Or, « Le fils de la veuve de Naïm », l’un des Contes chrétiens de l’écrivain symboliste français Teodor de Wyzema, est justement publié en 1902, soit trois ans avant la réalisation du tableau de Leduc. Bien qu’Ostiguy (1974 : 223) ne le cite pas parmi les ouvrages contenus dans la bibliothèque du peintre, il est possible que l’artiste, qui est déjà influencé par le symbolisme, comme nous le démontrerons plus loin dans le présent chapitre, ait eu accès aux Contes chrétiens, après son retour d’Europe et que ce texte ait influencé son choix de ce sujet à Saint-Romuald. Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins qu’il rejoint l’idéologie de Leduc189.

Dans ce récit, Thomas, le fils de la veuve de Naïn, après avoir été ressuscité, réfléchit beaucoup à la condition terrestre de l’être humain qui est ultimement destiné à mourir. Leduc s’intéresse aussi à cette question existentielle dans sa poésie et dans ses notes personnelles. L’une d’entre elles porte justement sur la résurrection : « Vivre en ressucité, [n.d.l.r. sic] c’est après avoir été vivant être mort, ou sans vie, vivre de nouveau, pour un temps, car il n’y a pas de vie éternelle, c’est-à-dire de vie sans commencement ni fin,

189Nous résumerons brièvement ce conte afin que le lecteur puisse le comparer aisément avec les extraits

des notes de Leduc que nous citerons. Dans son récit, Wyzema nommele fils de la veuve de Naïn Thomas. Après que Jésus l'eut ressuscité, il perd le goût à la vie. Par la suite, sa mère décède et il se rend à Jérusalem, puis, à Athènes, où il admire la beauté des sculptures et des frises du Parthénon, qui l’inspire et l’incite à devenir sculpteur. Thomas pratique donc son métier et recherche la beauté parfaite. Puis, il se marie, mais ne parvient pas à combler le vide intérieur qu’il ressent. Un jour, sa femme, toute en pleurs, lui fait découvrir la compassion et l’amour, ce qui lui redonne l’impression d’être véritablement en vie. Alors, le couple se délecte ensemble de la beauté de la nature, surpassant celle de l’art, dont elle constitue l’essence. Enfin, ils deviennent les disciples de saint Paul, qui prêche à Athènes, et apprennent à étendre leur amour à toute l’humanité et à accepter la volonté de Dieu, dont la beauté réside autant dans la vie que dans la mort.

excepté celle de l’auteur suprême de tout »190. Ici, l’artiste oppose la Résurrection du Christ à celle, plus limitée, des personnes ordinaires qu’il ramena à la vie. Cette mort inévitable attend Thomas et son épouse dans le conte de Wyzema. Cependant, tout au long du récit, il chemine vers une acceptation de cette étape finale, comme si Jésus ne l’avait pas simplement fait renaître dans un sens littéral, mais plutôt figuré : il lui montre l’impermanence afin qu’il se prépare à quitter son corps. Aussi, cette transformation intérieure de Thomas passe en grande partie par sa réception de la beauté, un concept loin d’être étranger à Leduc, qui y réfléchit en ces termes :

Le Beau est une espèce de bien; mais un [n.d.l.r. sic] espèce de bien supérieur, étant l’éclat actuel et momentané du perfectionnement des formes en leur éternel devenir. C’est un point, un moment fixé, du dynamisme universel, offert à notre sensibilité, qui en est enrichie191.

Selon Leduc, le Beau s’offre au regard de celui qui est présent à l’instant parce qu’il est un « éclat actuel et momentané ». Une personne inattentive ne le remarquera pas. Pour Leduc et pour Thomas, la Beauté manifeste la présence du Seigneur omniprésent dans sa création et en y étant réceptif, l’homme renaît à chaque instant parce qu’il se fond en l’Éternel. Ce sont donc ces idéaux, transmis dans l’ouvrage de Wyzema et auxquels adhère aussi Leduc, que porte en elle La Résurrection du fils de la veuve de Naïn.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, les expertises attribuent le même état de conservation à toutes les œuvres de la voûte. Cependant, bien qu’elles soient toutes retouchées, certaines furent mieux conservées que d’autres. Par exemple, beaucoup plus de retouches recouvrent La Résurrection du fils de la veuve de Naïn que L’Adoration des

Mages. La touche de Leduc ne s’y décèle plus, ce qui ne nous permet pas d’observer sa

recherche stylistique. Pourtant, dans cette toile, son apport personnel se distingue tout de même dans sa réinterprétation de sa source iconographique. Bien que le peintre reprenne les poses des figures d’Hofmann, il les dispose dans un tableau au format horizontal. Il doit combler l’espace pictural excédent, occasionné par ce changement de cadre et créer une composition de sorte que les personnages forment une frise s’accordant avec les

190BAnQ, Fonds O. L., MSS 327/3/8, Série 4/F, Documentation relative à des illustrations et à des

photographies, Note intitulée « Résurrection », s.d., 3 p., original.

191BAnQ, Fonds O. L., MSS 327/4/10, Série 5/E8, Notes théoriques et de travail, Diverses notes

toiles voisines. Justement, le dernier passage de la lettre de Leduc du 20 octobre 1905, citée plus haut, démontre qu’il se préoccupe de l’unification de l’ensemble par la répartition appropriée des figures. L’artiste respecte la version d’Hofmann en incluant tous les personnages, à l’exception du jeune homme penché vers le fils de la veuve qu’il remplace par un petit enfant blond. Aussi, le peintre adapte le paysage paraissant à l’arrière-plan de l’original. Il reprend le bâtiment dominé d’une tour sur une colline et le situe à proximité des personnages de gauche. Quant à l’arc en plein cintre délimitant le paysage, il l’abolit pour intégrer deux pans de murs de part et d’autre de l’événement miraculeux, qui remplissent la même fonction que l’arc. Comme le souligne Sénécal (2008 : 167), dans la conclusion de son ouvrage en ce qui concerne la copie des œuvres de Leduc à Joliette :

Son originalité se retrouvera dans l’interprétation des formes recréées, dans la qualité de son travail pictural, dans le choix personnel du coloris, dans l’unité et dans l’harmonie de l’ensemble, dans la qualité de son dessin et dans sa manière d’intégrer dans une nouvelle composition des éléments empruntés à des sources diverses2.

Lorsque Leduc copie une autre œuvre, la comparaison des deux versions révèle l’apport du peintre et son interprétation. Tous les apports listés par Sénécal valent aussi pour les peintures de Farnham qui ne sont pas des originaux. Ainsi, La Résurrection du fils de la

veuve de Naïn fait pendant à L’Adoration des Mages dans le programme iconographique,

son sujet soulève des questions existentielles auxquelles Leduc s’intéresse tout au long de sa vie et elle démontre l’adaptation d’une œuvre du maître allemand que l’artiste copie à plusieurs reprises.