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En résumé, l’urbanisation est un mouvement de fond qui affecte l’ensemble de la société contemporaine mais qui peut prendre des formes éminemment variées, que ce soit au niveau

paysager, de l’habitat ou de la densité bâtie, que ce soit aussi en termes de fonctions, de

développement et de gouvernance. Ainsi, l’urbanisation renvoie souvent et à juste titre à

l’étalement urbain et, par conséquent, à l’artificialisation des sols. Ceci est exact mais incomplet,

puisque l’urbanisation traduit aussi l’évolution des modes de vie. Elle est donc aussi à

comprendre comme le développement d’un mode d’habiter urbain, une manière spécifique de

pratiquer l’espace (Stock, 2004). De ce fait, penser l’urbain conduit à se confronter à des

paradoxes. Ainsi l’urbanisation se décline en réalité au pluriel et certaines des formes qu’elle

prend peuvent être contradictoires avec l’affirmation d’une urbanité. Cela s’observe

particulièrement à propos de certains espaces protégés urbains qui sont créés afin de préserver le

foncier de son artificialisation (donc de l’urbanisation au sens restreint du terme), mais qui

nourrissent l’urbanité d’une ville en rassemblant des valeurs et en proposant des services aux

citadins (ce qui relève donc d’un processus d’urbanisation au sens large du terme).

3.2.2. La métropolisation, un processus de concentration axiologique

La métropolisation peut être abordée comme une des formes ou une des composantes de

l’urbanisation. Si tout processus de métropolisation relève aussi de l’urbanisation, la réciproque

n’est pas vraie. En effet, elle est un « processus de concentration de valeur à l’intérieur et autour des villes les

plus importantes » (Ascher, 2013) – l’importance de la ville n’étant pas seulement démographique,

on l’aura compris. Par ailleurs, elle serait la « traduction spatiale et infranationale de la globalisation »

(Ghorra-Gobin, 2010, p. 27). Pour certains auteurs, avant d’être un processus social et spatial, la

métropolisation relève donc de dynamiques économiques renvoyant à des jeux de concentration

capitalistique et de circulation de flux financiers et de marchandises sur la planète. Elle se

traduirait par une sélection et une valorisation de nœuds dans un réseau qui, à l’ère de

l’information, apparaît comme la nouvelle structuration de la société (Castells, 1998) et, par

ricochet, de l’espace des sociétés. Elle serait alors le corollaire d’une économie d’archipel dans

laquelle les villes qui comptent sont les métropoles (Veltz, 2005).

Si nous ne réfutons aucunement une telle approche qui peut être résumée par l’expression

de « subversion économique des territoires » (Ghorra-Gobin, 2015b), nous souhaitons mettre l’accent

sur les dimensions sociales, politiques et évidemment spatiales qui accompagnent la

métropolisation (Bretagnolle et al., 2011). En effet, elle n’est pas seulement le résultat annexe

d’un phénomène économique qui échapperait à des logiques locales pour simplement se

répercuter localement. La manière dont les formes et les fonctions urbaines sont affectées par la

métropolisation repose aussi sur des choix politiques à l’échelle de la ville (au sens administratif)

voire du quartier. Ainsi, en considérant la métropolisation comme un nouveau paradigme, de

nombreux verrous liés à une conception trop restreinte de l’urbanisation se disloquent et

s’ouvrent alors de stimulantes pistes de réflexion. C’est ce que suggère C. Ghorra-Gobin (2010)

en postulant que ce « nouveau paradigme [permet] d’appréhender les dynamiques spatiales et territoriales liées à

la ville et à son développement et ainsi de clarifier les enjeux de l’aménagement du territoire » (op. cit., p. 25).

PARTIE I - CHAPITRE 2

CHAPITRE

Comme elle met en branle les valeurs de l’urbain – des valeurs foncières aux valeurs

symboliques –, la métropolisation vient exacerber certains enjeux d’aménagement. C’est en ce

sens que nous concevons la dynamique métropolitaine : les valeurs sociales et environnementales

promues et produites par les politiques de protection viennent s’intriquer aux valeurs

économiques qui seraient initialement les seules concernées par la métropolisation. Autrement

dit, le simple phénomène de concentration de fonctions de commandement et de richesses est

dépassé pour envisager le fait métropolitain de manière moins restreinte, sans pour autant le

confondre avec le fait urbain. Cela transparaît notamment dans le choix de nos espaces d’étude

qui, malgré des degrés de métropolité différents, renvoient tous peu ou prou à la dimension

métropolitaine dans le contexte nordique.

En somme, il s’agit bien de raisonner en géographe et non en économiste ou en politiste.

Pour le formuler différemment, nous proposons moins une approche de la métropolisation

à laune de dynamiques économiques qui influenceraient les formes spatiales des villes

nordiques quune analyse de la manière dont les acteurs et les habitants envisagent leur

espace de vie et daction dans une structure urbaine diffuse et archipélagique. Les espaces

protégés peuvent alors être appréhendés comme des solutions de continuité non pas

morphologique mais axiologique ; ils concentrent certaines valeurs qui, sans être directement

monétisées, nourrissent la logique métropolitaine. Ils sont aussi des révélateurs particulièrement

puissants du caractère nordique dans l’affirmation de stratégies métropolitaines où la dimension

environnementale est centrale.

3.3. Lurbanité face aux espaces protégés, ou avec eux ?

La notion d’urbanité n’est pas plus évidente que celles que nous avons explorées jusqu’à

maintenant. Comme cela a déjà été évoqué en filigrane, elle renvoie finalement à deux approches.

Chacune d’elles possède sa cohérence, mais il est difficile de les rendre compatibles l’une avec

l’autre. En effet, l’urbanité peut être conçue comme un rapport au monde pour partie

indépendant de la place des individus dans l’espace, elle peut aussi renvoyer à un état caractérisant

spécifiquement une situation urbaine. Dans le premier cas, elle existe sans qu’il soit possible de la

mesurer ou de l’évaluer ; dans l’autre, elle peut transparaître de manière plus ou moins forte,

acceptant ainsi des gradients d’urbanité. Dans le cadre de cette thèse, les deux approches peuvent

être justifiées ; nous considérons que le choix entre l’une de ces deux options serait réducteur et

pourrait s’entendre comme un positionnement inutile au sein d’une école de pensée. Nous

préférons de ce fait questionner les deux manières d’envisager l’urbanité.

3.3.1. Lurbanité, un rapport au Monde

La réflexion que livre A. Berque à propos de son étude des relations entre formes

urbaines et lien social au Japon est des plus éclairantes, bien qu’a priori fort éloignée de notre

contexte nordique. En effet, il démontre que les rapports qu’ont tissé les Japonais entre le temps,

l’espace et la nature, entre l’écologique et le symbolique sont condensés à la fois dans le paysage

et dans l’urbanité. Il mentionne ainsi que « l’urbanité japonaise est empreinte de ruralité » (Berque, 1993,

p. 87), ce qui n’est pas sans faire écho au contexte nordique où il est nécessaire « de comprendre la

ruralité et l’urbanité par leur interdépendance plutôt que leur opposition afin de faire place à la réinvention des

perceptions des lieux comme étant ruraux et urbains en même temps »

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(Munkejord, 2009, p. 215). Dans ces

deux contextes, la distinction entre urbanité et ruralité n’a pas de sens dans une perspective

dualiste ville/campagne, mais bien parce qu’elle donne du sens aux deux à la fois, par un

processus profondément dialogique. Ainsi, le dépassement du dualisme ville/campagne

n’implique pas nécessairement que l’urbanité soit empreinte de ruralité. Il s’agit en effet de

catégories culturellement et intellectuellement construites qui, au moins dans les représentations

collectives d’Europe du Nord, renvoient à des rapports au Monde différents, pour partie opposés

mais également complémentaires. Ainsi la ruralité correspondrait à un mode de vie traditionnel

supposément proche de la nature mais qui serait dépassé, voire archaïque, dans des

considérations empreintes à la fois de répudiation et de nostalgie. Quant à l’urbanité, elle serait

associée aux idées de modernité, de distinction, de culture et de progrès ; elle inspirerait à la fois

la satisfaction mais aussi la crainte d’un rejet d’un mode de vie trop en rupture avec les sens de la

nature (ibid.).

Bien qu’elles soient particulièrement présentes dans les sociétés nordiques, de telles