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2. Garneau, historien national : la contradiction résolue et la

2.3. En résumé : D’un historien national patriote à un historien national

Notre examen du discours sur Garneau pendant la période 1866-1913 montre que Casgrain a bel et bien réussi à sacraliser le mythème de l’historien national. Après lui, effectivement, il se développe un profond sentiment d’admiration pour l’historien, pour son patriotisme, pour la défense qu’il mène de son peuple, pour son esprit de sacrifice et pour la lumière qu’amène son Histoire sur le passé des Canadiens, et ce, tant ici qu’à l’étranger. En d’autres mots, Garneau devient la figure emblématique du pan patriotique de l’éthos littéraire que Casgrain cherche à promouvoir.

Une partie de la preuve de tout cela réside dans le fait que des auteurs reprennent l’idée, présentée par Casgrain dans le « Mouvement littéraire en Canada » et soutenue implicitement par le F. X. Garneau de Casgrain, que l’Histoire est un modèle littéraire à suivre. L’adhésion à ce modèle est claire, par exemple, chez Edmond Lareau, qui parle de l’œuvre de Garneau en donnant dans la censure prescriptive : « Je conseille à celui qui veut consacrer son temps et son talent à écrire des nouvelles, [sic] de lire l’Histoire du Canada de Garneau. Il trouvera presqu’à [sic] chaque page le sujet d’un beau roman. Le roman historique est seul appelé à vivre en Canada. C’est du moins celui qui doit attirer davantage les sympathies de nos littérateurs » (1874, 276).

Une douzaine d’années plus tard, l’écrivain et journaliste Sylva Clapin abonde dans le même sens en proposant, dans son ouvrage intitulé Le Canada, qui porte sur le dominion

et qui s’adresse à un public français, une façon de « jeter les bases d’une littérature franco- américaine » (1885, 94) que n’aurait pas reniée Casgrain :

Je me suis moi-même arrêté bien souvent à songer qu’un Alphonse Daudet, par exemple, trouverait, dans ces pages [celles de l’Histoire], matière à plus d’un de ces ravissants petits contes de fantaisie historique, qui ont fait ici la réputation de l’auteur du Nabab, et ce m’est un bien vif étonnement que l’on ne s’en soit pas déjà avisé au Canada. […] L’ouvrage de M. Garneau sur les genoux, et là-bas l’autre grand livre de la nature canadienne large ouvert sous les yeux, cette besogne de résurrection se poursuivrait pièce par pièce avec une facilité inouïe, pour se résumer bientôt en un tout d’une originalité captivante. Ce serait enfin, comme dirait M. Francisque Sarcey, le « livre à faire » (97-99).

Et Clapin ne se limite pas à cette affirmation : mettant ses dires en pratique, il esquisse immédiatement après ce passage un conte de quelques pages racontant la disparition d’une sentinelle française tombée dans le cadre des « escarmouches journalières avec les Iroquois » (99) des débuts de la Nouvelle-France.

Plus tard encore, et malgré le fait que le mouvement s’inspirant de l’historien par le biais de l’abbé se soit essoufflé au tournant du siècle, l’appel à s’en inspirer pour produire des œuvres littéraires trouve encore quelques échos, notamment chez le rédacteur en chef du Canada, Fernand Rinfret, qui, dans l’édition du 15 juin 1909 de son journal, déclare : « que de poèmes, que de romans, que de chroniques, que de livres en puissance dans les pages de son “histoire” [sic]. […] Son œuvre devrait devenir l’œuvre de chevet des écrivains canadiens d’aujourd’hui et de demain » (4).

À la preuve de l’adhésion à la dimension patriotique de l’éthos littéraire de Casgrain que constituent ces appels à s’inspirer de Garneau s’ajoute le fait que des auteurs de la période ont suivi ce conseil littéraire. Des essais, romans ou poèmes historiques qui mettent en valeur les Canadiens et leurs héros dans un cadre historique ou qui rendent directement hommage à l’historien paraissent en effet pendant la période, souvent sous le regard bienveillant de l’abbé. Et de façon plus précise, le Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec désigne nommément une douzaine d’auteurs qui s’inspirent de Garneau ou qui

s’appuient sur ses écrits pour composer de telles œuvres. Parmi ceux-ci se retrouvent certains des écrivains canadiens les plus connus de l’époque : Laure Conan, Louis Fréchette, Joseph Marmette (qui est aussi un gendre de Garneau) et, bien sûr, Casgrain lui- même.

Autre élément en faveur de l’effectivité de la sacralisation du mythe garnélien : encore à la fin de la période, la société québécoise continue à commémorer l’historien. La réédition de l’Histoire, accompagnée de la biographie de Chauveau, d’un poème de Louis Fréchette faisant l’apologie de Garneau et d’une table analytique de Benjamin Sulte, qui paraît en 1883, relève assurément de cet esprit. Il en va de même du fait qu’en 1909, plusieurs journaux marquent le centième anniversaire de l’historien en rendant aussi hommage à son patriotisme. Et le dévoilement en 1912 d’une statue de l’historien placée à un jet de pierre de l’Assemblée nationale, dévoilement auquel plusieurs membres de l’élite intellectuelle, économique et politique du Québec se font le devoir de participer en rappelant le patriotisme de Garneau, démontre bien que l’on a adhéré en masse à l’éthos patriotique que Casgrain a cherché à promouvoir à travers l’historien.

Par ailleurs, le fait que la pensée radicale (au sens ou l’entend Bouchard) de Casgrain paraisse museler pendant un bon moment la critique ultramontaine sur Garneau tend aussi à prouver la sacralisation du mythème de l’historien national ; dans un contexte où l’ultramontanisme est particulièrement fort, le fait est notable. Cela ne veut pas nécessairement dire que tout le monde adhère au discours de l’abbé : nous l’avons souligné, il existe des indices démontrant que la critique de Garneau continue de circuler sous le manteau avant 1880. Malgré cela, jusqu’à cette date, les commentaires négatifs sur les auteurs inspirant Garneau ou sur ses positions idéologiques laissent peu de traces écrites.

Pendant ce temps, certains libéraux vont même jusqu’à défendre les positions libérales de Garneau ; et si la part polémique de leur discours ne trouve pas d’échos, ce qui ne manque pas encore une fois d’étonner dans un contexte où les condamnations du libéralisme sont promptes à venir, il est possible d’imaginer que c’est afin d’éviter de donner trop de publicité à un discours ayant la possibilité de saper les bases du portrait éventuellement mythique construit par Casgrain.

À partir de 1880, quelques critiques des positions et des sources d’inspiration libérales de Garneau apparaissent isolément. Cependant, celles-ci s’inspirent de l’esprit casgrainien : elles restent généralement imprécises, et rares sont les cas où elles ne sont pas accompagnées par une atténuation de leur portée ou de leur importance, ou alors par une justification ou une excuse expliquant les choix et positions de l’historien. Ainsi formulées, elles rappellent les concessions ultramontaines pour la forme de la première réception, à la différence qu’elles ont l’objectif inverse : là où ces dernières reconnaissaient la valeur du style de Garneau pour dénoncer plus efficacement l’idéologie garnélienne, les premières désignent quelques erreurs de l’historien pour crédibiliser davantage le discours le mettant en valeur. Quant aux critiques non atténuées, il ne se trouve personne pour les relayer au sein de notre corpus.

Tout cela pris en compte, il apparaît donc qu’il existe bien un phénomène qui, à la suite de Casgrain, amène la représentation que les Canadiens de l’époque se font de Garneau à être davantage motivée par une émotion (l’admiration patriotique pour l’historien) que par la raison (notamment, dans une logique ultramontaine, les critiques que les tenants de cette idéologie pouvaient faire à Garneau).

Qu’est-ce qui peut expliquer une telle adhésion au portrait de Garneau que propose Casgrain dans un contexte qui, de prime abord, s’y prête aussi mal ? La première raison qui vient en tête est sans aucun doute, comme nous l’avons laissé entendre au début de ce chapitre, que Casgrain a su profiter de façon optimale de la mort de Garneau : sa biographie de l’historien paraît en effet pendant la « période de grâce » qui suit la mort de l’historien, celle où il est opportun de rendre hommage au mort et où il est mal vu de le critiquer. En proposant à ce moment sa biographie de Garneau, Casgrain lui assure donc un maximum d’impact et un minimum de critiques. De plus, la concurrence discursive est presque inexistante à ce moment : l’opportunisme de l’abbé lui permet donc de s’établir rapidement comme principal « spécialiste » de Garneau.

Par la suite, le contrôle qu’exerce l’ecclésiastique sur les lettres canadiennes pendant les deux premières décennies de la période l’aide à asseoir davantage son statut de sommité garnélienne, et donc de donner plus de poids encore à son portrait de l’historien. Pendant ce temps, il a bien sûr la possibilité d’inciter certains auteurs et auteures qui cherchent son conseil, telle Laure Conan, mais aussi tel Louis Fréchette (qui écrit un poème rendant hommage à Garneau qui paraît dans le dernier tome de la quatrième édition de l’Histoire en 1883) à orienter dans le même sens que lui son discours sur l’historien (et à s’inscrire dans l’éthos littéraire que l’abbé promeut notamment à travers l’historien).

Mais surtout, il a la possibilité de diffuser largement sa « propagande garnélienne » : sa biographie de Garneau, en plus d’être publiée dans le Foyer canadien et en volume en 1866, l’est également, dans une édition ou une autre des œuvres de l’abbé, en 1875, 1884, 1886, 1896 et 1912 (et il n’est pas impossible que certaines éditions ou réimpressions nous échappent). La « biographie originale » de Garneau reste donc disponible sur le marché

pendant toute la période. Et il est certain qu’elle pénètre les esprits : les textes de l’époque qui la citent pour rappeler ou appuyer un jugement sur Garneau ne sont pas rares. La biographie écrite par Chauveau, qui paraît à la fois en volume individuel et adjointe à la quatrième édition de l’Histoire en 1883, décuple sans doute, en s’imposant comme second ouvrage de référence par excellence à propos de Garneau, la crédibilité et l’efficacité du discours mythifiant casgrainien dont elle adopte l’essence ainsi que plusieurs stratégies argumentatives.

Par ailleurs, il est possible d’imaginer que les éditions les plus polémiques de l’Histoire du Canada se font de moins en moins accessibles au fil de la période. À leur place se retrouvent sans doute des versions où les éléments problématiques pour les ultramontains du discours de Garneau sont atténués. De plus, au fil de la période, il y a des moments où l’Histoire se fait rare sur le marché : alors qu’il annonce la parution prochaine (environ trois ans plus tard, dans les faits) de la quatrième édition de l’œuvre de Garneau, Le Courrier du Canada du 23 septembre 1880 constate justement que l’édition précédente est un « ouvrage qui se fait rare aujourd’hui, et a atteint un prix énorme, $15 à $16 » (2), alors qu’elle valait 5 $ à sa parution une vingtaine d’années auparavant (Montreal Herald, 6 mars 1860, 2). Et pour ce qui est de la quatrième édition, Hector Garneau rappelle qu’elle était « entièrement épuisée » (Duhamel, février 1945, 86) aux alentours de 1905.

Parallèlement, il faut aussi tenir du compte du fait que bon nombre de Canadiens sont sans doute entrés en contact avec les écrits de Garneau par l’intermédiaire de son Abrégé, utilisé comme manuel dans les écoles et dont Chauveau, nous le rappelons, estime en 1883 la distribution à 20 000 exemplaires (ccxxxiii) depuis 1856, ce qui est assurément un plus gros tirage que celui de l’Histoire complète. Sur ce point, l’adhésion au mythème de

l’historien national pourrait donc en partie découler du fait que l’œuvre la mieux connue de Garneau est son Abrégé (qui est exempt du « poison » (Lefranc, mars 1890, 137) que contient l’Histoire) et d’une faible relecture de la « grande » Histoire que laisse présumer non seulement l’épuisement de l’œuvre, mais aussi le fait qu’elle n’est que rarement citée directement dans les textes qui traitent de l’historien et de son œuvre.

Et finalement, un point à ne pas négliger quant à l’efficacité du discours de Casgrain est que même à la fin de la période, comme l’avoue Camille Roy en 1907, l’Histoire « est encore l’ouvrage indispensable auquel il faut recourir » (32). Dans la mesure où on juge que Garneau a atténué ses positions problématiques dans les 3e et 4e éditions, et dans

l’optique où, somme toute, même les ultramontains ont besoin d’un récit national valorisant, il est possible qu’ils aient accepté, peut-être un peu contraints, de « faire avec » Garneau par manque de choix.

Nous avons donc établi que le mythème de l’historien national proposé par Casgrain a été sacralisé, marquant ainsi la naissance du mythe garnélien. Toutefois, nous avons aussi remarqué que l’abbé a tracé son portrait de l’historien afin de faire de ce dernier un modèle de la part patriotique de l’éthos littéraire qu’il cherche à promouvoir. Or, à la fin de la période, le mouvement inspiré par cet éthos est à peu près épuisé ; malgré cela, Garneau est toujours tenu en très haute estime, à preuve sa statue inaugurée en 1912 et le fait que bon nombre de journaux marquent son centenaire en 1909. Dans cette mesure, il est légitime de se demander si le mythe de l’historien national, dont l’essence est préservée, ne sert pas un nouvel éthos à la fin de la période. À ce sujet, il est possible de constater qu’il se rencontre régulièrement, au début des années 1900, un extrait de Garneau qui se

réduit souvent à une simple phrase à laquelle Casgrain ne s’est pas intéressée, mais qui est reprise comme un crédo par plusieurs des admirateurs de l’historien. Cette phrase se retrouve originellement dans la conclusion de l’Histoire : « Que les Canadiens soient fidèles à eux-mêmes [sic], qu’ils soient sages et persévérans [sic], qu’ils ne se laissent point emporter par le brillant des nouveautés sociales ou politiques » (Garneau, 1852, 317).

C’est tout d’abord un Français, Charles Forbes René, comte de Montalembert, qui cite la phrase dans une lettre envoyée à la Revue canadienne en 1864 et dont Lareau reprend un passage une décennie plus tard : « “Je dirais volontiers avec ce patriote écrivain : ‘Que les canadiens [sic] soient fidèles à eux-mêmes’, et, j’ajouterai, qu’ils se consolent d’avoir été séparés par la fortune de la guerre de leur mère patrie, en songeant que cette séparation leur a donné des libertés et des droits que la France n’a su ni pratiquer, ni conserver” » (Lareau, 1874, 158). Montalembert, tout en complimentant Garneau, tend ici davantage à déplorer la situation politique en France qu’à réellement louer celle du Canada ; ceci dit, il est difficile de déterminer à quels « libertés et droits » Montalembert fait allusion. Le sens à donner à sa récupération de l’expression de Garneau reste donc plutôt vague.

Chauveau, après avoir cité Montalembert dans sa biographie de Garneau, interprète cependant le propos du politicien français dans une optique qui vient clairement servir l’image de héros martyr patriote de l’historien : « Être fidèle à soi-même, c’est-à-dire à sa mission, M. Garneau le fut jusqu’à l’héroïsme ! Il est mort à la tâche [sic], comme l’a dit M. Octave Crémazie » (1883, cclxvi). La mission à laquelle Garneau se sacrifie de façon héroïque, c’est évidemment l’écriture de son « monument national », comme Chauveau l’a remarqué à de nombreuses reprises dans sa biographie.

Or, lorsque l’expression est récupérée dans les premières années du XXe siècle, c’est

clairement dans l’optique de faire de Garneau le promoteur d’un traditionalisme conservateur et catholique. La chose est notamment explicite dans le discours que Charles- Joseph Magnan prononce pendant la 125e Conférence des instituteurs de l’école normale

Jacques Cartier du 31 mai 1907 avant de le reproduire dans la revue L’Enseignement primaire (qu’il possède et dirige) en septembre de la même année :

Nous aussi, instituteurs, jetons une semence saine et choisie dans l’âme des élèves que les parents nous confient. Transmettons à ces élèves les traditions nationales et religieuses qui ont fait de nos pères un peuple de gentils hommes et de rudes lutteurs. Apprenons-leur ce conseil de l’historien Garneau : « Que les Canadiens soient fidèles à eux-mêmes » s’ils veulent se survivre et continuer leur œuvre civilisatrice. Cette semence, une fois jetée, abandonnons-la aux soins de l’Église catholique, notre mère et notre protectrice. L’Église est à l’âme humaine ce que le soleil est aux plantes de la terre : lumière, chaleur et vie (Magnan, septembre 1907, 12).

Le « fidèles à eux-mêmes » de Garneau, ici, est fermement lié aux « traditions nationales et religieuses » à perpétuer. Et il n’est pas douteux que le texte de Magnan ait connu une large diffusion : en tant que seule revue pédagogique francophone de la province à l’époque, L’Enseignement primaire est subventionnée par le gouvernement et envoyée mensuellement à toutes les écoles catholiques du Québec.

Par ailleurs, Magnan n’est pas le seul à s’exprimer en ce sens au sujet de Garneau. Lors du dévoilement du monument Garneau le 10 octobre 1912, Joseph-Edmond Roy interprète lui aussi ce trait dans un sens traditionaliste : « “Que les Canadiens soient fidèles à eux-mêmes !” s’écriait Garneau en terminant sa merveilleuse épopée. Fidèles à eux- mêmes, c’est-à-dire fidèles à leur passé de tradition, attachés au tronc, d’où vient la sève, là où sont les racines, là où est la force, et le ciel sombre aurait encore pour eux de radieux soleils » (L’Action sociale, 21 octobre 1912, 6). Et lors de la même occasion, en employant une allusion indirecte à la phrase de l’historien, l’abbé Amédée-Édouard Gosselin abonde dans la même logique :

Pourquoi notre Grand [sic] historien ne continuerait-il pas son œuvre féconde parmi les fils et les petits-fils de ses contemporains ? Pourquoi ne servirait-il pas de modèle à tous ceux qu’intéresse le sort de notre race ? Pourquoi les jeunes surtout, ceux que les devoirs de l’heure présente et les problèmes de l’avenir ne laissent pas indifférents, n’imiteraient-ils pas la constance de son travail et l’ardeur de son patriotisme ?

Comme Garneau, j’aime à le croire, ils voudront demeurer fidèles à leurs traditions religieuses et nationales [nous soulignons] : comme lui, ils mettront de bon cœur, au service de

la patrie leur intelligence ou leurs bras ; comme lui enfin, ils consacreront leurs talents, leurs loisirs, leur influence à faire connaître, aimer, respecter, à défendre même à l’occasion, nos institutions, notre langue et nos droits (L’Action sociale, 21 octobre 1912, 6).

Gosselin, s’inspirant visiblement en même temps qu’il l’interprète du « que les Canadiens soient fidèles à eux-mêmes » de Garneau, offre carrément ce dernier comme modèle à suivre de patriotisme et de traditionalisme religieux et national.

Alors que Casgrain proposait l’image d’un Garneau religieux, mais ne cherchant pas à faire la promotion d’une idéologie catholique (comme nous l’avons précédemment mentionné, il appelle à chercher ailleurs la mise en valeur du labeur de l’Église en Nouvelle-France après avoir jugé l’Histoire lacunaire sur ce point), les précédentes citations laissent entendre qu’au tournant du XXe siècle, le mythème de l’historien national

est récupéré afin de promouvoir un éthos plus franchement traditionaliste et religieux. De Garneau, Casgrain cherchait à donner l’image d’un patriote qui a défendu son peuple en en valorisant le passé glorieux et qui a sacrifié sa vie à cette défense ; en insistant sur le « que les Canadiens soient fidèles à eux-mêmes », et en particulier sur le traditionalisme catholique qui leur apparaît implicite dans cet appel, ceux qui s’appuient sur cette déclaration teintent le patriotisme de l’historien d’un conservatisme catholique. Dans un contexte où les Canadiens français, malgré les promesses de la constitution de 1867, sentent à nouveau leurs droits être menacés, cette récupération n’est pas réellement surprenante, d’autant plus que l’Histoire n’a toujours pas de concurrente susceptible de la supplanter à l’époque. Dans cette mesure, il est difficile d’espérer mieux que l’historien national pour faire efficacement la promotion de la défense des valeurs traditionnelles. Or,

en 1913, la cinquième édition de l’Histoire s’apprête à constituer un sérieux obstacle