• Aucun résultat trouvé

Le discours dépréciatif : la « fausse » nationalité canadienne défendue par

1. Le discours prémythique : une réception ambiguë (1845-1866)

1.2. Le discours sur l’œuvre

1.2.2. Le discours dépréciatif : la « fausse » nationalité canadienne défendue par

parallèle un discours surtout (quoique pas exclusivement) animé par un esprit ultramontain qui tend à juger négativement une part de l’idéologie de l’œuvre et de son auteur. Voyons donc de quoi il en retourne sur ce point.

1.2.2. Le discours dépréciatif : la « fausse » nationalité canadienne défendue par Garneau

Sans vouloir absolument accoler à Garneau l’étiquette de libéral, il reste que son parcours de vie, dans les années 1830, le rapproche indubitablement de cette idéologie. À cet effet, la fréquentation de Polonais exilés à Londres à la suite de ce que Garneau

considère comme des actes tyranniques de la part du tsar russe34 est sans doute

déterminante dans le développement chez ce dernier d’une pensée hostile au despotisme. Les manquements à l’esprit, puis à la lettre des règles du jeu politiques commis par le gouvernement colonial anglais envers les élus canadiens de la Chambre d’assemblée au fil de la décennie 1830 et avec l’Acte d’Union de 1840 ne peuvent que renforcer sa position à ce sujet.

Pour cela, mais aussi à cause de ses sources d’inspiration historico-philosophiques, Garneau écrit une Histoire dans laquelle il proclame vouloir juger les faits de façon « impartiale », mais aussi dans laquelle il cherche à faire l’apologie des Canadiens. Ultimement, son ouvrage, parce que marqué par ces divers choix et influences, interprète certains événements ou faits historiques d’une façon incompatible avec la pensée historiographique ultramontaine donnant la préséance en tout à la religion catholique. Ce sont ces « symptômes » de l’écart idéologique existant entre la pensée de Garneau et celle des partisans de l’ultramontanisme que nous allons explorer et analyser ici en n’omettant pas de noter les quelques occurrences où d’autres facteurs influent sur la critique.

1.2.2.1. Mauvaise philosophie historique

Alors même que certains présentent positivement le fait que la philosophie « politique et sociale » de l’Histoire la distingue de celle « morale et religieuse » de Charlevoix, pour reprendre les termes du Journal de Québec du 28 août 1845 (2), il se trouve également des critiques pour dénoncer cet état des choses. À ce sujet, il ne faut pas perdre de vue qu’alors que l’Histoire de Garneau est, sur le plan philosophique, d’une facture plus contemporaine que dépassée à son époque, il en va autrement de l’horizon d’attente historiographique

canadien. De ce côté, les collèges classiques des années 1840 en sont en effet encore à l’idéologie édifiante de Charlevoix et de Bossuet35. La prédominance de cette conception

de l’histoire est de plus accentuée par le fait que le système d’éducation se retrouve alors, avec l’assentiment du pouvoir politique, sous le contrôle d’un clergé à tendance ultramontaine qui s’accommode très bien de cet ordre des choses.

En conséquence, le discours de l’époque sur cette question est ambigu. Nous avons noté au début du chapitre comment Chauveau, alors que l’encre des premières éditions de l’Histoire est encore fraîche, fait à Garneau le « reproche très grave […] [d’]avoir méconnu ce qu’il y avait de véritable philosophie dans le système de colonisation des peuples catholiques et de la France en particulier » (1845, 10). Le premier malaise sur ce point est cependant antérieur au commentaire de Chauveau et se retrouve dans la première critique de l’œuvre, celle du Journal de Québec du 28 août 1845 :

Charlevoix vivait dans un temps où on pensait simplement à narrer les faits sans s’occuper de ce qu’on appelle, de nos jours, la philosophie de l’histoire, laissant à chaque lecteur le soin de faire ses propres commentaires. Aujourd’hui on ne lirait pas un auteur qui se contenterait de raconter les événements sans en montrer le côté philosophique, et sans se lancer dans quelque spéculation politique ou sociale plus ou moins fondée, plus ou moins probable, qui a au moins pour elle le mérite de la vraisemblance. C’est le goût, ou plutôt c’est l’engouement, le dévergondage de notre époque, auquel s’est assez soustrait M. Thiers et M. Garneau lui-même (2).

D’entrée de jeu, Garneau semble exempté de tout tort sur ce point. Mais l’auteur poursuit :

D’ailleurs, disons-le en justice, l’écrivain, quand même il le voudrait, ne saurait se soustraire entièrement aux mœurs, aux pensées, et conséquemment à la littérature et à la philosophie de son époque. Il s’est tellement identifié à ces idées, à ces mœurs, il est tellement imprégné de cet atmosphère [sic] qui l’enveloppe et qui nourrit incessamment son être, qu’il en porte partout avec lui l’odeur et qu’il en subit, bon gré, mal gré, l’influence bénigne ou morbide. Même l’écrivain qui combat le plus ardemment les tendances de son siècle, et qui, pour retremper ses armes émoussées par le contact, les plonge sans cesse dans la source du siècle qu’il préconise, en se mêlant avec ses adversaires dans la lutte, ressent plus ou moins, sans qu’il s’en aperçoive, les influences qu’il déteste, et quelquefois est emporté avec la digue qu’il voulait y opposer, par le torrent impétueux des idées qui, du sommet d’une époque nouvelle, se précipite vers l’avenir (2).

Soudainement, la philosophie de l’Histoire paraît plutôt entachée par une idéologie qui, bien qu’involontairement adoptée, est sans conteste malsaine.

Bref, si des lecteurs de l’Histoire apprécient l’œuvre pour sa valorisation du peuple canadien qui lui permet d’éclipser les histoires du Canada antérieures, un malaise subsiste visiblement quant à l’idéologie historique qu’elle choisit d’adopter. Et pour Thomas- Benjamin Pelletier, cette tare de l’œuvre garnélienne est suffisamment grave pour que l’histoire de Michel Bibaud lui soit préférée comme outil d’enseignement :

Il est vrai que, tout récemment encore, le pays avait été doté déjà d’une histoire du Canada, qui, dans le temps, toute brève qu’elle est, excita néanmoins une réclamation assez importante. Mais, comme l’auteur n’entendait nullement philosopher, son œuvre, utile à bien des égards a un point de vue pratique, suivra sa destinée, nous pensons, en servant comme de précis entre les mains prudentes des instituteurs de la jeunesse canadienne (12 décembre 1845, 1).

Du vivant de Garneau, donc, il est indéniable que si certains admirent l’Histoire pour le point de vue plus moderne, plus laïque, qu’elle adopte, d’autres, qui préconisent plutôt une histoire catholiquement édifiante, retiennent ce même élément contre l’œuvre garnélienne.

1.2.2.2. Sources d’inspiration néfastes de Garneau

Ce malaise, sur le plan historiographique, résulte notamment de l’inspiration que Garneau trouve du côté de certains auteurs dont l’idéologie est jugée néfaste d’un point de vue catholique, et plus spécifiquement ultramontain. Lançant la discussion sur ce sujet, le Journal de Québec du 28 août 1845 se montre plus particulièrement inconfortable face à Voltaire et à l’historien anglais Edward Gibbon, qu’il présente sans trop expliquer comme les précurseurs d’un mouvement historiographique dont les « rives s’élargissent bientôt démesurément », quand elles ne sont pas « submergées et englouties » (2).

Sur ce point, les critiques se font rapidement plus sévères, en particulier chez des auteurs d’allégeance ultramontaine. Thomas-Benjamin Pelletier, notamment, se penche

longuement sur la question des modèles historiographiques de Garneau dans Le Canadien du 12 décembre 1845. Plus précisément, il y recense les auteurs cités par l’historien dans son Discours préliminaire afin de les évaluer les uns après les autres. Le verdict général est simple : ceux-ci sont presque tous « plus ou moins imbus du principe d’indépendance posé en dogme par le moine de Wittemberg36 » (1). Sont alors dénoncés comme hérétiques,

parmi d’autres, Laurent Valla et Glaréan37, « dormant depuis trois siècles dans la poudre

de leur métaphysique nébuleuse et anti chrétienne » (1), Érasme, « dont la plupart des œuvres […] furent définitivement mises à l’index du concile de Trente » (1), puis Sismondi et Michelet, dont la mention « suffit pour faire juger d’une œuvre qui leur devrait ses inspirations » (1). Le dernier, en particulier, est qualifié par Pelletier de « vil pamphlétaire » dont l’un des ouvrages, Du prêtre, de la femme, de la famille, est « honni de toute la France chrétienne, censuré par les évêques et retourné à la fange qui l’a produit » (1).

Et le supérieur du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière n’est pas le seul à dénoncer des auteurs ayant inspiré Garneau. « Un Ultramontain38 », dans le Journal de Québec du

14 mai 1850, fait de même :

Montesquieu, aux principes irreligieux [sic] ; Raynal, le prétendu philosophe ; Robertson, imbu d’un fanatisme anti-chrétien ; Millot, le mauvais raisseur ; Sismondi, Guizot, Michelet, le jésuitophobe et l’impie. Comme de raison, je ne soutiens pas que l’on ne puisse citer ces auteurs à l’occasion […]. Ce qui ne se conçoit pas chez un écrivain sérieux, c’est de s’imaginer que ces historiens, les derniers surtout, ont produit une véritable révolution dans le monde littéraire (1).

36 Martin Luther.

37 Nommé Glareanus par Pelletier.

38 En un mois, deux auteurs s’identifiant sous le pseudonyme « Un Ultramontain » répondent à une précédente

lettre parue (et abordée plus loin) dans le Journal de Québec du 13 avril 1850 et signée « Un Catholique ». Le premier voit son texte être reproduit en trois parties dans les éditions du 20, du 23 et du 27 avril du Journal

de Québec. Quant au second, son texte paraît en deux parties dans le Journal de Québec des 14 et 16 mai.

Or, malgré le fait qu’ils soient annoncés comme les quatrième et cinquième articles d’« Un Ultramontain », ils se présentent à nouveau comme une réponse à « Un Catholique » et reprennent des éléments présentés dans les trois premiers articles. Ils sont donc d’une autre plume.

En outre, dans un appendice consacré à la critique de diverses œuvres de Garneau de son Dictionnaire historique des hommes illustres du Canada et de l’Amérique (1858)39,

Maximilien Bibaud reproduit la « Lettre d’un membre du clergé du diocèse de Trois- Rivières » qui revient sur sa Revue critique de 1855 en qualifiant Garneau de « dogmatiseur indiscret […] qui s’est plié un peu trop bénévolement aux dires de Simondi [sic], Raynal et consorts, peu amis des institutions religieuses qui ont illustré le Canada » (371).

En discréditant les auteurs « condamnables » auxquels Garneau emprunte, des critiques tels que Pelletier, « Un Ultramontain » et Bibaud cherchent à décrédibiliser l’Histoire. Pour eux, il ne se « conçoit pas, chez un historien religieux […] [qu’on] prenne pour guide et pour flambeaux » (Un Ultramontain, 14 mai 1850, 1) de tels auteurs. Or, et le Journal de Québec du 28 août 1845 souligne clairement la chose, Garneau n’est pas un « historien religieux », et c’est justement ce que les tenants d’une philosophie religieuse de l’histoire, les ultramontains en tête, lui reprochent en soulignant ses emprunts à des auteurs qu’ils condamnent.

Tout cela ne nous informe qu’abstraitement sur ce qui pose problème, dans l’Histoire, à ceux qui favorisent une histoire catholiquement édifiante. Contre quelles affirmations de Garneau, inspirée par la philosophie laïque qu’il adopte et les auteurs dont il s’inspire, les critiques ultramontains en ont-ils ?

39 Cet appendice, qui se retrouve dans un œuvre portant sur un tout autre sujet que l’œuvre de Garneau,

démontre bien l’hostilité particulièrement intense que Maximilien Bibaud ressent envers l’historien. Non content de son pamphlet de 1855, Bibaud ajoute, dans le troisième appendice de la seconde livraison de cet ouvrage (369-382), deux critiques de son article sur Garneau parues respectivement dans Le Canadien et dans Le Courrier du Canada ainsi que sa réponse à ceux-ci, cinq critiques (quatre lettres personnelles et un article du True Witness) appuyant le propos de sa Revue critique, une critique d’un extrait des Voyages de Garneau et une « simple liste des erreurs à corriger » dans l’Abrégé de l’histoire de Garneau.

1.2.2.3. Erreurs de doctrine religieuse

La question des huguenots

C’est en abordant la question de l’immigration des huguenots en Nouvelle-France que Garneau déclenche ce qui s’avère être l’une des principales polémiques tournant autour de son œuvre : « Richelieu fit donc une grande faute, [sic] lorsqu’il consentit à ce que les protestans [sic] fussent exclus de la Nouvelle-France ; s’il fallait expulser une des deux religions, il aurait mieux fallu, dans l’intérêt de la colonie, faire tomber cette exclusion sur les catholiques qui émigraient peu ; il portait un coup fatal au Canada en en fermant l’entrée aux Huguenots [sic] d’une manière formelle par l’acte d’établissement de la compagnie des cent associés » (1845, 156-157). Et s’il reconnaît, plus loin, tout en qualifiant l’acte de Richelieu de « criante tyrannie » (176), que les troubles fomentés en France dans les années 1620 par les protestants français avec la complicité des Anglais donnaient au cardinal « un prétexte plausible pour agir ainsi » et qu’« [ils] ajoutai[en]t de la force aux assertions des catholiques qui ne cessaient de répéter qu’il n’y avait pas de sûreté à les laisser s’établir dans le voisinage des colonies protestantes anglaises, parce qu’à la moindre difficulté avec le gouvernement, ils se joindraient à elles » (176), il renchérit ultimement sur son propos initial :

De quel avantage n’eût pas été une émigration faite en masse et composée d’hommes riches, éclairés, paisibles, laborieux, comme l’étaient les Huguenots [sic], pour peupler les bords du St.- Laurent [sic], ou les fertiles plaines de l’Ouest. Du moins ils n’auraient pas porté à l’étranger le secret des manufactures de France, et enseigné aux diverses nations à produire des marchandises qu’elles étaient accoutumées d’aller chercher dans les ports de celle-ci. Une funeste politique sacrifia tous ces avantages aux vues exclusives d’un gouvernement armé, par l’alliance du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, d’une autorité qui ne laissait respirer ni la conscience ni l’intelligence. Si vous et les vôtres ne vous êtes convertis avant tel jour, l’autorité du roi se chargera de vous convertir, écrivait Bossuet aux schismatiques. Nous le répétons, sans cette politique, nous ne serions pas, nous Canadiens, réduits à défendre pied à pied contre une mer envahissante, notre langue, nos lois, et notre nationalité ? Comment jamais pardonner au fanatisme les angoisses et les souffrances de tout un peuple, dont il a rendu la destinée si douloureuse et si pénible, dont il a compromis si gravement l’avenir (494-495).

On ne peut que difficilement imaginer qu’en soutenant l’idée que la Nouvelle-France aurait été plus prospère si elle avait été peuplée de huguenots plutôt que de catholiques, Garneau n’avait pas conscience du coup de pied qu’il donnait là dans un nid de guêpes idéologique. Mais qu’il ait réalisé ou non la portée de son propos, les critiques se feront nombreuses.

Celles-ci seront de divers degrés de virulence. Ainsi, Thomas-Benjamin Pelletier choisit, dans Le Canadien du 4 mars 1846, de s’exprimer sur un ton ironique :

Que n’êtes-vous-même [sic] aujourd’hui huguenot ! […] Que n’êtes-vous ce peuple avancé qui n’a d’autres maîtres que se passions, d’autre loi que sa volonté générale ! […] L’industrie, avec ses canaux, ses chemins de fer, ses manufactures, vous inscrirait aujourd’hui avec gloire parmi les nations éclairées du globe. Avec un peu plus de vices, il est vrai, avec l’inconvénient de vivre sans foi ou avec une foi bâtie par la raison ; avec le tiers ou la moitié de votre population croupissant dans les caves fangeuses de vos filatures et de vos usines ; avec des prisons pleines, des écoles publiques de vices ; avec des suicides, du libertinage régulier, des violations de tout genre : toutefois pour compenser amplement tout cela, vous auriez un nom et des vertus dignes de l’époque (1).

« Un Ultramontain », dans le Journal de Québec du 14 mai 1850, opte de son côté pour le ton scandalisé : « En vérité, est-ce bien un catholique qui a écrit de pareilles choses ? […] Un Canadien catholique regretter que sa patrie ne soit pas un pays protestant, que ses compatriotes ne soient point des calvinistes ! Voir dans la religion sainte de ses pères un coup fatal, un malheur, pour le Canada, qui rend la destinée du peuple qui l’habite douloureuse et pénible, et compromet gravement son avenir ! » (2). Plus posé, Pierre- Télesphore Sax, qui étudie alors au Séminaire de Québec (il est ordonné prêtre l’année suivante), cherche plutôt à comprendre (évidemment sans lui donner raison) le point de vue de Garneau dans Le Canadien du 21 novembre 1845 :

Si M. Garneau aime le Canada, ne doit-il pas aimer cette population toute catholique, remplie d’une foi, d’une piété, d’une moralité que tous les étrangers admirent ? ne doit-il pas aimer ces établissements précieux que le catholicisme seul sait fonder et maintenir et auxquels il rend lui- même un si éclatant et si juste hommage ? [...] Non, non, je ne ferai pas à M. Garneau l’injure de croire que son patriotisme se borne à nos Laurentides [...] ; il aime aussi ses compatriotes, il les aime tels qu’ils sont aujourd’hui, avec leurs institutions, et il a une affection plus grande pour ce que ses frères aiment aussi du plus profond du cœur. [...]

Ce n’est pas que je veuille attribuer à ce monsieur aucun sentiment indigne d’un homme qui aime sa patrie ; je comprends son erreur. Il croit que son pays aurait été plus riche en industries de

toutes espèces ; douce illusion qui fait honneur à son cœur patriotique, et que tout Canadien lui pardonnera en faveur de son motif (2-3).

Il n’est pas douteux que de telles opinions s’expliquent par l’ultramontanisme de ceux qui les émettent : dans une optique ultramontaine, la religion catholique est la seule « vraie » religion, et pour eux, c’est d’abord la religion catholique qui doit être considérée en toute chose. Par conséquent, il ne peut être que scandaleux à leurs yeux de déclarer qu’il aurait fallu laisser les huguenots entrer en Nouvelle-France, et à plus forte raison que la France aurait peut-être dû ne laisser émigrer que les huguenots en Amérique.

Mais la doctrine ultramontaine n’est pas le seul élément qui motive l’opposition à Garneau sur ce point. Comme l’historien lui-même l’a mentionné, à l’époque de Richelieu, le fait que les huguenots se soient alliés aux Anglais a contribué à leur forger une réputation de traîtres aux yeux des catholiques français. Sur ce point, la pensée a peu évolué depuis le règne de Louis XIII, comme le laisse transparaître Sax :

Les rapports nécessaires d’une colonie avec la mère patrie n’eussent-ils pas continuellement entretenu en France un parti favorable à leur cause et défavorable à la paix de ce royaume ? En traversant les mers, les Huguenots [sic] eussent-ils perdu cet esprit d’indépendance qui donnait tant d’ombrage au gouvernement et causa leur ruine ? Louis XIV [sic] savait bien qu’en introduisant les Huguenots [sic] au Canada, c’était le perdre pour la France […] (21 novembre 1845, 2).

Sax soutient ici que si les protestants français avaient pu émigrer en Nouvelle-France, leurs différends idéologiques avec leurs compatriotes catholiques les auraient menés à les combattre. Le résultat final, dans le meilleur des cas, n’aurait donc pas amélioré la situation de la France. Et dans le pire, les huguenots, en déclarant leur indépendance, auraient fait perdre sa colonie à la métropole française.

Cette dernière idée est d’ailleurs renforcée plus tard par Ignace Moreau, qui rappelle en 1854 dans Le Correspondant que les huguenots, au XVIIe siècle, ont effectivement fait

Québec fut pris par les Anglais […], la France le dut à deux huguenots français, les frères Louis et Thomas Kirtk [sic] […]. Ce fut encore deux huguenots français, Desgroisilliers [sic] et Radisson, qui conduisirent les Anglais dans la baie d’Hudson en 1663 et y construisirent le fort Rupert […] » (353).

De toute évidence, les huguenots n’ont toujours pas bonne presse à l’époque de Garneau. Même le libéral Henri-Émile Chevalier, pourtant fervent admirateur de Garneau