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Résumé

Chapitre III

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Après la découverte des isomères métastables du nitroprussiate de sodium, complexe de fer à ligand nitrosyle (Na2[Fe(CN)5(NO)]), l’intérêt pour ce genre de complexes métalliques n’a pas cessé de croître dans le domaine de la photocristallographie. Cet intérêt est dû principalement à leur réponse photochromique sous irradiation électromagnétique, propriété qui rend ces composés susceptibles d’être utilisés pour la production de nouveaux dispositifs optiques de stockage massif. Le changement de couleur est dû à une photoisomérisation d’enchaînement du ligand nitrosyle, qui pour une longueur d’onde appropriée, bascule entre ses formes nitrosyle GS (lié par l’azote), isonitrosyle MS1 (lié par l’oxygène) ainsi qu’une forme intermédiaire d’hapticité deux appelé MS2. Malgré les nombreuses études théoriques et expérimentales, la compréhension mécanistique de la photoisomérisation d’enchaînement depuis l’absorption initiale d’un photon jusqu’à la formation d’un nouvel isomère (photoproduit) restait à élucider.

La stratégie utilisée dans cette étude, similaire à celle mise à point pour décrire la photoréactivité de divers complexes polypyridines de ruthénium, a permis d’établir le mécanisme de photoisomérisation d’un complexe de ruthénium mononitrosyle, trans-[RuCl(NO)(py)4]2+, qui présente un taux de photoconversion sans précédent (ca. 100%). Cette étude basée sur la caractérisation du chemin photochimique sur la surface d’énergie potentielle de l’état excité triplet le plus bas, calculée à l’aide de la Théorie de la Fonctionnelle de la Densité (DFT), montre comment, grâce à plusieurs points de croisement inter-système le long de ce chemin, la photoisomérisation de Ru−NO vers Ru−ON peut se produire, malgré les hautes barrières énergétiques trouvées.

La caractérisation théorique par DFT de la surface d’énergie potentielle de l’état fondamental (singulet) reproduit parfaitement la tendance énergétique mesurée expérimentalement pour les trois isomères avec comme isomère le plus bas en énergie GS (ground-state), un isomère métastable MS1 plus haut et un dernier isomère métastable MS2 qui d’un point de vue énergétique et géométrique est à mi-chemin entre GS et MS1. L’ordre énergétique des trois isomères trouvés est parfaitement expliqué à l’aide d’une analyse par orbitales naturelles de liaison (NBO). GS étant l’isomère le plus stable, présente trois hyperliaisons, tandis que MS2 en présente seulement une. En revanche, à la différence de GS et de MS1, MS2 est décrit par un seul fragment car une orbitale de liaison est trouvée entre l’azote et le ruthénium. Finalement, avec une énergie légèrement plus élevée que MS2, MS1 présente deux hyperliaisons. D’un point de vue cinétique, comme observées

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expérimentalement, les barrières énergétiques trouvées dans l’état fondamental sont trop élevées pour que la réaction d’isomérisation se produise thermiquement.

La caractérisation de la surface triplet de plus basse énergie montre aussi l’existence de trois isomères le long de cette surface : 3GS toujours lié par l’azote, 3MS1 lié par l’oxygène

et une forme intermédiaire entre les deux, 3MS2, également d’hapticité deux comme son

homologue dans l’état fondamental. À la différence des autres complexes polypyridines de ruthénium aucun état triplet centré sur le métal (3MC) n’a été identifié. En revanche, tous les

états triplets trouvés peuvent être décrits comment étant des états à transfert de charge du métal vers le ligand (3MLCT) nitrosyle. Quant aux barrières énergétiques trouvées, une

photoisomérisation adiabatique de Ru−NO vers Ru−ON le long de cette surface triplet est encore défavorable dû à la hauteur de la première barrière ainsi qu’au caractère endothermique du processus.

La description des spectres d’absorption des trois isomères GS, MS2 et MS1 à l’état fondamental fournie par la DFT dépendante du temps (TD-DFT) donne des éléments fondamentaux pour la compréhension du mécanisme de photoisomérisation pour l’aller comme pour le retour du complexe trans-[RuCl(NO)py4]2+. MS2 présente des bandes d’absorption communes à l’isomère GS ainsi qu’à l’isomère MS1, ce qui le singularise comme une structure clé pour les deux mécanismes de photoisomérisation d’enchaînement ; celui d’aller de Ru−NO (GS) vers Ru−ON (MS1) et celui de retour de Ru−ON (MS1) vers Ru−NO (GS). Une autre caractéristique très importante des spectres est l’absence de bandes d’absorption de l’isomère MS1 dans la zone d’irradiation expérimentale. Une fois formé, MS1 ne subit pas de réaction photochimique. C’est ainsi que des taux de photoconversion aussi élevés peuvent être expliqués.

Grâce à la caractérisation des différents croisements entre la surface de l’état fondamental et la surface de plus basse énergie de l’état triplet, les différents mécanismes de photoisomérisation d’aller-retour ont pu être éclaircis. Le mécanisme de photoisomérisation d’enchaînement de GS vers MS1 peut être conçu comme un processus séquentiel à deux étapes : l’absorption d’un premier photon permet la photoisomérisation du GS vers MS2, tandis que l’absorption d’un deuxième photon permet la transformation du MS2 en MS1. Après l’absorption initiale d’un premier photon bleu à 473 nm à partir de l’isomère GS dans son état fondamental, le système est excité vers des états singulets. Grâce au phénomène

121 relativiste du couplage spin-orbite la désactivation non-radiative du système vers des états triplets depuis les états singlets excités par croisement inter-système est tout à fait possible. En effet, la transition non-radiative très efficace vers les états triplets est très bien documentée pour les complexes polypyridines de ruthénium. En supposant que le système se désactive vers les états triplets, il peut, par conversion interne, se relaxer vers le triplet de plus basse énergie 3GS, et ensuite se dépeupler par croisement inter-système vers l’isomère MS2.

Alternativement, l’isomère MS2 pourrait être peuplé depuis des états triplets de plus haute énergie. Pour essayer de clarifier ce dernier point, une étude dynamique qui complèterait cette étude statique d’exploration des surfaces d’énergie potentielles pourrait être envisagée (voir Chapitre V). Une fois que le système est relaxé à la géométrie de l’isomère MS2 à l’état fondamental, il est ré-excité par absorption d’un deuxième photon bleu, et en suivant un processus de relaxation similaire à celui décrit pour l’isomère GS, le système peut se relaxer vers l’isomère 3MS2. Une fois dans l’état 3MS2, la réaction de photoisomérisation devient

favorable du point de vue cinétique (petite barrière énergétique pour passer de 3MS2 à 3MS1) ainsi que du point de vue thermodynamique (étape exothermique). Un croisement entre les surfaces triplet de plus basse énergie et la surface de l’état fondamental permet le passage du 3MS1 à MS1 par un dernier croisement inter-système, qui amène le système au photoproduit final.

La photoisomérisation de retour de l’isomère MS1 vers l’état fondamental GS peut être déclenchée par deux types différents de longueurs d’onde (rouge et infrarouge), lesquels conduisent à des chemins de réaction différents. Expérimentalement, sous irradiation dans le rouge, l’isomère MS1 est directement converti en isomère GS, alors que sous irradiation infrarouge, un mélange 1:1 de GS et MS2 est observé.

Le premier mécanisme de photoisomérisation du MS1 vers GS a beaucoup de points en commun avec celui du sens inverse (GS vers MS1). Il peut impliquer soit un mécanisme séquentiel à deux photons, soit un mécanisme à un photon. Après l’absorption initiale d’un premier photon rouge à 782 nm à partir de l’isomère MS1 à l’état fondamental, le système est excité vers des états singulets plus hauts en énergie. En suivant un mécanisme de relaxation similaire à celui décrit pour l’isomère GS, le système peut se relaxer vers 3MS1, et ensuite

surmonter une petite barrière pour former 3MS2. Alternativement, l’état 3MS2 pourrait être

peuplé depuis des états triplets de plus haute énergie. À partir de 3MS2, le système peut se

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aussi à 782 nm. L’absorption d’un deuxième photon rouge à partir du MS2 amène le système vers des états excités qui peuvent se relaxer vers le triplet 3MS2 ou directement vers le triplet 3GS qui ensuite conduit à l’isomère GS. De plus, il existe une voie de réaction alternative une

fois que le système atteint 3MS2, impliquant un seul photon. En franchissant une petite

barrière, 3MS2 peut former 3GS, qui par un croisement inter-système reconduit à la formation

de l’isomère GS.

Le deuxième mécanisme de photoisomérisation du MS1 vers GS est initié par l’absorption d’un photon infrarouge à 980 nm. Afin de pouvoir expliquer cette photoréactivité il faut admettre que dans une première étape du mécanisme un croisement inter-système amène le complexe de l’isomère MS1 vers le triplet 3MS1, et c’est justement cet état triplet qui

absorbe un photon dans l’infrarouge. L’absorption d’un photon à partir de 3MS1 excite le

système vers des états triplets plus hauts en énergie, lesquels peuvent se relaxer par conversion interne vers l’état triplet 3MS2. Exactement comme dans le mécanisme avec des photons rouges, une fois que le système atteint 3MS2, il peut soit se relaxer vers l’isomère MS2 à l’état fondamental singulet, soit se transformer en 3GS qui ensuite devient l’isomère GS. À la différence des deux autres mécanismes avec de la lumière bleue et rouge, MS2 n’absorbe pas dans l’infrarouge, et c’est pour cette raison qu’expérimentalement un mélange de GS et MS2 est observé à l’issue d’une irradiation avec de la lumière infrarouge.

Pour conclure, cette étude mécanistique de la photoisomérisation d’enchaînement réversible du complexe trans-[RuCl(NO)py4]2+ a pu montrer que trois isomères, Ru−NO (GS), Ru−η2

−NO (MS2) et Ru−ON (MS1) sont successivement peuplés pendant la photoisomérisation comme il avait déjà été bien établi expérimentalement. Les surfaces de l’état fondamental singulet ainsi que de l’état triplet de plus basse énergie montrent que l’isomérisation de GS vers MS1 est un processus non favorable ni d’un point de vue cinétique ni d’un point de vue thermodynamique, et c’est pour cette raison que l’intervention de deux photons est nécessaire. Pour la photoisomérisation du MS1 vers GS avec la lumière rouge, deux mécanismes différents qui impliquent l’absorption d’un ou de deux photons coexistent. En revanche, un seul mécanisme mettant en jeu uniquement un photon est impliqué dans la photoconversion avec l’infrarouge donnant un mélange du GS et MS2 dans le même cristal. Il est important de rappeler le rôle crucial de l’isomère MS2, autant au niveau géométrique, car il a une structure intermédiaire entre GS et MS1, qu’au niveau optique, car il présente des bandes d’absorption communes à GS et MS1, condition fondamentale pour les mécanismes

123 séquentiels à deux photons. Pour compléter ce travail, il faudrait mener une étude dynamique qui pourrait répondre aux questions qui restent encore en suspens comme par exemple celle concernant le chemin de relaxation conduisant à l’isomère MS2 dans son état fondamental lors du mécanisme de photoisomérisation du GS vers MS1.

Chapter IV

Photorelease vs.

Photoisomerization in

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