• Aucun résultat trouvé

En somme, notre méthode de travail appliquera les deux outils inhérents à la dialectique telle que décrite plus haut – l’analyse et la synthèse – aux corpus sélectionnés. Plusieurs moyens seront mis en œuvre pour établir ces derniers. Les écrits historiographiques et archivistiques seront l’objet d’une lecture intertextuelle tandis que ceux de Walter Benjamin seront sélectionnés en fonction des concepts dont ils traitent. Les œuvres d’art étudiées, quant à elles, seront choisies à partir d’un corpus mis en lumière par les travaux existants qui sera enrichi au fil des lectures et en fonction de la notoriété des artistes et des questions archivistiques soulevées par les œuvres23.

Le traitement analytique des textes et des œuvres sera effectué selon des grilles de lecture variant en fonction de nos questions de recherche. Ainsi, notre premier objectif, développer les bases d’une pensée dialectique des archives, nécessite de dégager, d’une part, les visions des archives définitives sous-tendues par les différents

31

courants archivistiques, et d’autre part, la possibilité de développer une pensée dialectique de l’archive à partir des écrits de Walter Benjamin. Nous analyserons dans un premier temps la littérature archivistique et historiographique en nous attachant aux définitions des archives définitives qui permettent d’en dégager la nature. Nous examinerons le lien établi par les auteurs entre les archives définitives et le passé, leur relation avec l’avenir, l’importance des créateurs de documents ainsi que celles des utilisateurs de manière à mettre en lumière la temporalité des archives définitives telle qu’elle est donnée par les archivistes en fonction de leur vision. Dans un second temps, les principaux textes de Benjamin seront étudiés au prisme des définitions de concepts clés pour notre étude que sont ceux d’histoire, de temps continu et d’image dialectique. Notre lecture sera aussi orientée par la recherche d’une applicabilité de ces concepts aux archives.

Notre deuxième objectif, montrer les limites des modèles du cycle de vie des documents (théorie des trois âges et du Records continuum) au regard des archives définitives, nous conduira d’abord à mettre en lumière la place des archives définitives dans les modèles de cycle de vie des documents. Nous analyserons les deux modèles de gestion du cycle de vie au regard de leurs différences et de la place qu’ils accordent aux archives définitives. Ensuite, la synthèse des éléments révélés par les analyses précédentes nous permettra de répondre à la quatrième sous-question : « L’utilisation des archives peut-elle être considérée comme un nouveau moment d’existence des documents d’archives distinct mais non subséquent à leur création et leur conservation? » Il s’agira de mettre en relation la temporalité chez Benjamin avec les visions qui auront émergé de l’analyse de la littérature archivistique et la vision du temps selon les modèles de gestion des documents. Nous nous attacherons alors à vérifier l’applicabilité des concepts benjaminiens à une pensée de l’archive telle que nous l’aurons proposée à l’issue de l’analyse des textes de Benjamin. Cette première synthèse nous permettra de dégager certaines caractéristiques des archives définitives au regard de leur temporalité.

Nous pourrons alors envisager notre troisième objectif, présenter l’émotion et la capacité d’évocation comme des qualités des archives définitives et notre cinquième

32

sous-question : « À quels rôles et à quelles fonctions les artistes associent-ils les archives définitives? » Les œuvres et la littérature qui leur est relative seront analysées au prisme des conditions d’utilisation et de la typologie des thématiques (mémoire, authenticité, moyen d’appropriation du monde et poétique de l’archive) qui révèleront le discours des œuvres, des historiens d’art et des critiques sur les archives dans l’art contemporain. Par ailleurs, l’analyse de la littérature produite par les artistes, les historiens d’art et les critiques au regard des notions d’émotion et d’archives nous permettra de répondre à notre sixième sous-question : « Quelle pourrait être la place de l’émotion et de l’évocation dans la caractérisation des archives définitives? »

Notre quatrième objectif vise à identifier les champs d’existence des archives définitives, c’est-à-dire les domaines d’activité associés à ces documents, et de définir leur cadre de référence. Il nous faudra alors répondre à la septième sous-question : « Quels sont les domaines d’activités associés aux archives par les archivistes? » Pour cela, nous dégagerons de la littérature archivistique la manière dont les archivistes caractérisent les usagers et les usages des archives définitives. Pour finir, avec la synthèse des éléments mis au jour, nous pourrons conclure à la possibilité d’un nouveau champ de référence pour les archives définitives et répondre ainsi à notre huitième sous- question : « Est-il possible de circonscrire un nouveau champ référentiel pour l’évaluation des archives définitives? » Nous pourrons alors dégager certaines caractéristiques des archives définitives au regard de leur utilisation par les artistes.

À partir de l’ensemble de ces éléments, nous serons en mesure d’établir une synthèse archivistique qui mettra en jeu la question du cycle de vie au travers de la temporalité des archives définitives; qui reviendra sur les valeurs et fonctions assignées aux archives définitives en postmodernité en établissant l’émotion comme valeur archivistique et la capacité d’évocation comme fonction des archives définitives; qui montrera que la création doit être considérée comme un champ référentiel au même titre que l’administration, la recherche et le patrimoine; qui proposera, enfin, une vision dialectique des archives articulant les visions traditionnelle et postmoderne dans une conception totalisante et dynamique.

2 Les archives définitives selon la vision traditionnelle

Le principe de respect des fonds et le modèle de cycle de vie selon l’approche des « trois âges » distinguent l’archivistique des autres disciplines documentaires tout en impliquant, au sein même de la discipline, une vision singulière de ce que sont les archives définitives. Cette vision particulière est d’abord le fait des textes et auteurs fondateurs de la discipline en Occident que sont la circulaire de 1841 imposant la méthode de classement des archives départementales françaises (Ministère français de l’Instruction publique et des beaux-arts 1884), Samuel Muller, Johan Adriaan Feith et Robert Fruin (1910), Hilary Jenkinson (1922), Theodore R. Schellenberg (1956) et Yves Pérotin (1961). Elle est ensuite maintenue par les archivistes contemporains qui réfèrent à ces textes et auteurs, tels que Carol Couture (1994b, 1998, 1999), Jean-Yves Rousseau

(1990, 1994), Luciana Duranti (1995, 1998, Duranti, Eastwood et MacNeil 2002) et Terry Eastwood (1992, 1993, 2000, Eastwood et MacNeil 2010). Certains textes, isolés mais essentiels, sont aussi à considérer pour explorer cette pensée traditionnelle. Ainsi, les textes de Michel Duchein (1977, 1993, 1998), qui constitue une référence internationale en matière de respect des fonds, seront analysés.

La lecture de ces textes amènera, dans un premier temps, à comprendre comment, au cours des siècles et en lien étroit avec l’évolution de l’historiographie, l’archivistique est devenue une discipline dotée de principes, d’outils et de méthodes propres à cette catégorie documentaire particulière que sont les archives. Ensuite, l’analyse des différentes définitions formelles des archives et du principe de respect des fonds permettra de mettre en lumière certaines des caractéristiques des documents – leur origine et leur finalité – qui, aux yeux des archivistes, en font des documents d’archives. Dans un troisième temps, l’étude des textes relatifs au principe de respect des fonds montrera quelle vision des archives définitives est sous-tendue par ce principe érigé en fondement de la discipline. Le dernier point abordé, l’approche des trois âges et le modèle de cycle de vie des documents, sera l’objet d’une réflexion sur les valeurs et les fonctions assignées aux archives définitives. Nous observerons, au cours de ce chapitre, trois aspects des archives définitives prédominants dans le courant traditionnel de

34

l’archivistique : leur nature d’abord – leur caractère naturel et fini; leur temporalité ensuite – leur rapport au passé; leurs valeurs et fonctions enfin – preuve, témoignage, administration, recherche et patrimoine.

2.1 Archivistique et histoire traditionnelles : à la source des