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Les résultats connus jusqu'alors en méthode de Mahler permettent de dé-montrer la transcendance et l'indépendance algébrique de larges familles de valeurs de fonctions mahlériennes. Cependant, si l'on souhaite montrer par la méthode de Mahler que le nombre2 n'est pas automatique en base 10, un résultat général est nécessaire. On doit en eet être capable de montrer qu'aucune fonction mahlérienne dont les coecients appartiennent à l'en-semble {0, . . . , 9} ne prend de valeur algébrique irrationnelle au point 1

10, et ce, sans imposer aucune condition sur le système ou l'équation mahlérienne. De même, si l'on souhaite montrer qu'un nombre irrationnel 2-automatique ne peut pas également être 3-automatique, on doit montrer que l'intersection entre l'ensemble des valeurs des fonctions 2-mahlériennes et l'ensemble des valeurs des fonctions 3-mahlériennes, aux inverses des entiers, est égale à Q. Trois problèmes sont à la source des travaux que nous présentons dans cette thèse, lesquels requièrent une telle généralité.

(I) Démontrer la conjecture Co68.

(II) Démontrer qu'un réel irrationnel ne peut pas être automatique dans deux bases multiplicativement indépendantes (conjectureA).

(III) Montrer que les séries génératrices de suites automatiques, associées à des entiers deux à deux multiplicativement indépendants, sont algébri-quement indépendantes (conjectureB).

Pour résoudre le problème(I), c'est la méthode de Mahler en une variable qu'il faut utiliser. Montrer la transcendance d'une fonction f(z) en un point α revient à montrer qu'il n'existe pas de relation linéaire sur Q entre 1 et f(α). Pour cela, le théorème de Nishioka ne sut pas. Le théorème de Philippon nous montre qu'aux points réguliers, il sut de savoir gérer les relations linéaires entre la fonction constante égale à 1 et les fonctions du système mahlérien. On peut toujours se ramener au cas où il n'y a pas de telles relations, en prenant un système minimal contenant les fonctions 1 et f(z). Cette opération crée cependant, potentiellement, de nouvelles singularités et on ne peut pas obtenir la conjecture Co68 sans savoir les gérer. Nous déduisons des résultats des chapitresIetIIle résultat suivant, qui démontre et renforce la conjectureCo68.

Théorème 1. Soient K un corps de nombres, f(z) une fonction mahlérienne à coecients dans K et α ∈ Q, 0 < |α| < 1, qui n'est pas un pôle de f. On a l'alternative suivante : soit f(α) est transcendant, soit f(α) ∈ K(α). De plus, il existe un algorithme permettant de trancher cette alternative.

Nous verrons que l'on ne peut se soustraire à cette alternative et qu'il existe des fonctions mahlériennes transcendantes prenant des valeurs algé-briques en une innité de points algéalgé-briques du disque unité.

La conjectureCo68est un énoncé portant sur les relations linéaires entre une valeur de fonction mahlérienne et la constante égale à 1. On peut, de façon plus générale, se poser la question suivante :

À quelles conditions les valeurs en un point algébrique de fonc-tions q-mahlériennes, linéairement indépendantes sur Q(z), sont-elles linéairement indépendantes sur Q ?

Le théorème de Philippon ne permet pas de répondre directement à la ques-tion, puisqu'une relation linéaire entre les valeurs des fonctions ne se relève qu'en une relation linéaire entre la fonction constante égale à 1 et les fonc-tions du système. On doit alors établir une version homogène du théorème de Philippon.

Théorème 2. Dans la conclusion du théorème Ph15, si P est un poly-nôme homogène, alors on peut supposer que le polypoly-nôme Q est homogène en X1, . . . , Xm.

Le caractère homogène de cet énoncé en fait un analogue exact du théo-rème de Beukers. Deux limitations empêchent toutefois ce théothéo-rème de ré-pondre à la question posée. Tout d'abord, il impose de regrouper les fonc-tions considérées dans un système mahlérien, faisant par là apparaître des fonctions additionnelles et donc, potentiellement, une multitude de relations linéaires. De plus, ce théorème ne s'applique pas aux singularités du système. Nos résultats permettent de venir à bout de ces deux dicultés.

Dénition 3. On appelle relation q-orbitale entre des séries f1(z), . . . , fr(z) la donnée d'un entier m ≥ 0 et d'un polynôme Q ∈ Q[z, X1, . . . , X(m+1)r] tels que

Q z, f1(z), . . . , fr(z), f1(zq) , . . . , fr zqm = 0 .

On dit qu'une relation q-orbitale est homogène si Q est homogène en les variables X1, . . . , X(m+1)r, et qu'elle est linéaire si, de plus, Q est de degré 1.

Théorème 3. Soient f1(z), . . . , fr(z) des fonctions q-mahlériennes et α, 0 < |α| < 1, un nombre algébrique qui n'est pôle d'aucune de ces fonctions. Soit P ∈ Q[X1, . . . , Xr]un polynôme homogène tel que P (f1(α), . . . , fr(α)) =

0. Alors, il existe une relation q-orbitale homogène Q, entre les fonctions f1(z), . . . , fr(z), telle que

Q(α, X1, . . . , Xr, Xr+1, . . . , X(m+1)r) = P (X1, . . . , Xr) .

En particulier, toute relation linéaire sur Q entre les valeurs de fonc-tions q-mahlériennes quelconques, en n'importe quel point algébrique non nul du disque unité, provient, par spécialisation, d'une relation q-orbitale linéaire entre ces fonctions. Le théorème3 est à mettre en perspective avec le théorème de Lindemann-Weierstrass, qui indique que, pour α1, . . . , αr des nombres algébriques, les éventuelles relations algébriques entre les nombres eα1, . . . , eαr proviennent toutes de la relation fonctionnelle exey = ex+y.

Le théorème3se démarque des résultats obtenus jusqu'à présent en mé-thode de Mahler, au sens où il n'impose aucune condition sur les systèmes mahlériens dans lesquels interviennent les fonctions f1(z), . . . , fr(z) et qu'il s'applique sans restrictions à tous les points algébriques non nuls de leur domaine d'holomorphie, et plus seulement aux points réguliers.

Quand on s'intéresse aux problèmes (II) et(III), la méthode de Mahler en une variable ne sut plus. Comme nous en avons discuté dans la première partie de l'introduction, cela nécessite de développer une théorie des fonc-tions mahlériennes de plusieurs variables. On doit être également capable de considérer simultanément des fonctions mahlériennes associées à des opéra-teurs diérents. Cette théorie était jusqu'ici très peu développée, en dehors des équations inhomogènes d'ordre 1. Répondre aux problèmes(II) et (III)

nécessite a contrario d'être capable de traiter n'importe quels systèmes mah-lériens, puisqu'on ne connaît a priori ni la taille, ni la forme des systèmes dans lesquels nos séries apparaissent. Les résultats que nous présentons dans les chapitres IIIetIV, s'ils ne répondent pas totalement aux problèmes(II)

et(III), orent un cadre général pour une telle théorie. Dans ces deux cha-pitres, nous développons la méthode de Mahler pour les fonctions régulières singulières. Sans dénir ici précisément cette notion (nous renvoyons pour cela au chapitre III), signalons qu'une fonction q-mahlérienne est régulière singulière si elle est solution d'une équation de la forme

p0(z)f (z) + p1(z)f (zq) + · · · + pm(z)f zqm = 0,

avec p0(z), . . . , pm(z) ∈ Q[z], et p0(0)pm(0) 6= 0. En ce sens, les fonctions régulières singulières forment une classe générique de fonctions mahlériennes. Toutefois, cette restriction ne permet pas de traiter l'ensemble des séries génératrices de suites automatiques. À titre d'exemple, on peut montrer que la série génératrice de la suite de Rudin-Shapiro (voir exemple22) n'est pas régulière singulière.

Théorème 4. La conjectureCest vraie si chacune des fonctions est régulière singulière.

En prenant alors α1 = · · · = αr := α, pour un point α soigneusement choisi, on peut alors répondre au problème(III), dans le cadre régulier sin-gulier.

Théorème 5. La conjectureBest vraie si chacune des fonctions est régulière singulière.

Note sur mon parcours de recherche. J'ai eectué en 2012 une an-née de pré-doctorat à l'Université Lyon 1, sous la direction de Boris Adamc-zewski. À cette occasion, je me suis intéressé à la méthode de Mahler, théorie qui, à ce moment, n'avait pas une actualité très importante. J'ai nalement choisi, l'année suivante, d'aller travailler dans un collège de région parisienne, établissement dans lequel j'enseigne toujours. Nous avons alors commencé un travail en collaboration avec Boris Adamczewski, reprenant les recherches que j'avais eectuées à l'occasion de cette année de pré-doctorat. Cette collabo-ration a donné lieu aux quatre articles [13,14,15,16] dont nous présentons les résultats dans ce manuscrit. Le fait que la plupart de mon temps de re-cherche coïncide avec les vacances scolaires explique le temps long sur lequel s'étend le développement de nos travaux.