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5.1 Formation de la jonction en magnésium

5.1.1 Résultats préliminaires

Comme nous l’avons vu précédemment au chapitre 4, former la jonction dans notre configuration de micromanipulation demande tout d’abord de sous-enrouler la double hélice d’ADN de façon à dénaturer partiellement la molécule. Ceci permet ensuite aux simples brins dénaturés de s’apparier sur eux-mêmes et de constituer ainsi les bras horizon- taux de la jonction. La présence d’ions magnésium dans la solution a pour effet d’écranter les charges des molécules présentes en solution. Les simples brins de l’ADN étant chargés négativement, ces derniers ont tendance à se repousser, sans toutefois que cette tendance contrebalance l’énergie de liaison issue de l’appariement des bases complémentaires. Ce-

80 Etudes en présence d’ions magnésium pendant, les ions en solution écrantent les charges portées par l’ADN et diminuent de façon importante la répulsion entre les simples brins. Cette effet a pour conséquence de stabiliser le double brin vis-à-vis du simple brin [206]. On peut tout d’abord penser que les ions magnésium, en rendant la séparation des deux simples brins plus difficile, im- posent de franchir une barrière énergétique plus importante pour former la jonction, et vont donc défavoriser son extrusion. Mais ils peuvent également favoriser l’extrusion de la jonction en favorisant l’appariement des simples brins sur eux-mêmes pour former les bras horizontaux. Il n’est donc pas évident de prévoir l’effet que les ions vont produire. Il s’agit ici d’un problème de compétition entre un effet thermodynamique (stabilité du double brin) et un effet cinétique (formation de la jonction) [207].

Les figures 5.1 à 5.3 illustrent le comportement typique observé en présence d’ions magnésium pour la formation d’une jonction.

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Figure5.1 – Formation de la jonction en présence de 10 mM d’ions magnésium (1) : extension de la molécule en fonction du sur-enroulement imposé. La courbe mauve est obtenue à 0.3 pN et permet de déterminer la valeur de rotation correspondant au zéro de sur-enroulement (maximum d’extension : absence de plectonèmes). Les autres courbes sont obtenues à 1.5 pN, avec une vitesse de 2 tr/s et une mesure de l’extension tous les 10 tr, en moyennant la mesure sur 2 s. La molécule est tout d’abord sous-enroulée jusqu’à ∆Lk = −1000 tr (courbe noire), puis un retour est effectué jusqu’à ∆Lk = +100 tr (courbe verte). Les flèches numérotées indiquent pour chaque courbe l’ordre et le sens dans lequel le sur-enroulement est effectué.

Sur la figure 5.1, lors du sur-enroulement négatif (courbe noire), le couple exercé sur la molécule induit une dénaturation de la molécule [208], et le passage d’un ADN double brin à de l’ADN sous la forme d’un double simple brin (voir aussi chapitre 4). L’inclinaison de la courbe est essentiellement due à la différence d’extension relative entre la forme en double hélice de l’ADN et sa forme dénaturée. A la force ici choisie, l’ADN

Formation de la jonction en magnésium 81 dénaturé a en effet un extension relative plus faible que l’ADN en double hélice, d’où une diminution progressive de l’extension de la molécule au fur et à mesure de son sous- enroulement [204, 206]. Le retour (courbe verte) se fait tout d’abord de façon réversible (le tracé de retour se superpose à celui de l’aller). Nous interprétons ce comportement comme correspondant à la refermeture des bulles de dénaturation. Un décrochement est ensuite observé vers ∆Lk = −500 tr. L’extension diminue alors de façon continue jusqu’à environ ∆Lk = −200 tr, où la courbe rattrape alors une droite ayant une pente d’environ 3 nm/tr. Cette droite rejoint la courbe noire à ∆Lk = 0 tr, et si elle était prolongée du côté négatif, l’extension serait réduite à zéro vers ∆Lk = −1000 tr.

Ces éléments indiquent donc que le décrochage correspond à l’apparition de la jonction (voir chapitre 4) qui commence alors à absorber lentement les supertours dans les bras horizontaux en même temps que l’on referme progressivement les bulles de déna- turation. La pente d’environ 3 nm/tr observée est alors atteinte lorsque toutes les bulles de dénaturation se sont refermées et que l’évolution de l’extension de la molécule est alors uniquement due à la migration de la jonction sous l’effet de la torsion.

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Figure5.2 – Formation de la jonction en magnésium (2). Mêmes conditions que figure 5.1. La molécule est sous-enroulée jusqu’à ∆Lk = −800 tr (courbe noire). Après ∼ 2 h de pause, un retour est effectué (courbes verte), puis la molécule est à nouveau sous-enroulée jusqu’à ∆Lk = −1000 tr (courbe rouge).

Pour la figure 5.2 les conditions sont les mêmes, excepté que l’on a attendu ∼ 2 h après le premier aller (courbe noire) avant d’effectuer le retour (courbe verte). Sur cette figure, comme pour la figure précédente, le retour (courbe verte) rattrape une droite qui rejoint la valeur de l’extension de la courbe noire à ∆Lk = 0 tr, indiquant qu’une jonc- tion de Holliday s’est formée dans la molécule. Cependant, deux différences apparaissent clairement par rapport à la figure 5.1 précédente. Premièrement, entre la fin du premier aller et le début du retour (passage de la courbe noire à la courbe verte), l’extension

82 Etudes en présence d’ions magnésium de la molécule a diminué, indiquant que la jonction de Holliday a en partie commencé à se former mais que cette formation est lente ou a été interrompue. Deuxièmement la pente de la fin de la courbe verte (entre ∆Lk = −400 tr et ∆Lk = −100 tr) n’est pas aussi bien définie que sur la figure précédente, indiquant que le sous-enroulement n’a pas totalement été absorbé dans les bras horizontaux de la jonction et que les bras verticaux restent en partie dénaturés. La persistance de cette dénaturation, qui est claire jusqu’à environ ∆Lk = −200 tr, suggère qu’à partir de ∆Lk = −400 tr, les tours ajoutés dans la molécule entraînent en partie une migration de la jonction au lieu de refermer les bulles de dénaturation. Le fait que les bulles de dénaturation semblent ne pas pouvoir se refer- mer pourrait s’expliquer par la présence de structures secondaires : celles-ci auraient eu le temps de se former au cours des 2 h d’attente, piégeant ainsi les simples brins d’ADN dans une conformation empêchant leur renaturation (voir aussi figure 5.5).

Le deuxième aller (courbe rouge) décroche presque immédiatement de la courbe verte et l’extension reste au dessus de la pente d’environ 3 nm/tr que l’on attendrait dans le cas d’une migration de jonction. Ce résultat indique que le sous-enroulement entraîne la formation de bulles de dénaturation plutôt que la migration de la jonction, même si jusqu’à ∆Lk ≃ −500 tr l’extension diminue plus vite que pour la courbe noire, suggérant tout de même une migration progressive mais lente de la jonction.

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Figure5.3 – Formation de la jonction en magnésium (3). Même chose que pour les deux figures précédentes, excepté que la force est imposée à 2.4 pN. De plus, le premier sous-enroulement (courbe grise) est effectué à 0.9 pN. La courbe noire, obtenue à 2.4 pN, montre que l’extension reste constante sous l’effet de la dénaturation, indiquant qu’à cette force-ci et dans les conditions ioniques présentes, l’ADN double brin et sa forme dénaturée ont la même extension relative.

Pour la figure 5.3, l’expérience est similaire aux précédentes excepté que la force imposée est de 2.4 pN. Dans cette expérience, au cours du premier sous-enroulement

Formation de la jonction en magnésium 83 (courbe grise (1)), l’extension diminue de façon linéaire. Cependant, étant donné le niveau de force de 0.9 pN et la présence d’ions magnésium, cette diminution correspond, au moins en partie (voir plus bas), non pas à la migration de la jonction, mais à la formation d’ADN dénaturé dont l’extension relative est plus faible que celle de l’ADN double brin [204,206]. Cette dénaturation peut en outre être mêlée à la formation de plectonèmes et d’ADN- Z [209]. On observe d’ailleurs au cours de ce premier trajet d’importantes fluctuations, phénomène caractéristique associé à ce régime [204].

Néanmoins, à la fin de ce premier sous-enroulement à 0.9 pN, quand la force est augmentée à 2.4 pN pour le premier retour (courbe verte), l’extension de la molécule passe alors à une valeur d’environ 2.5 µm, c’est-à-dire inférieure à l’extension initiale de 3.3 µm. La courbe verte reste ensuite approximativement à la même extension jusqu’au moment où elle rejoint vers ∆Lk = −300 tr une droite correspondant à la migration de la jonction. La jonction était donc déjà présente à la fin de la courbe grise et le début de la courbe verte peut donc être associé à la fermeture des bulles de dénaturation.

Au cours d’un second aller-retour (courbes rouge et bleue) un décrochement par rapport à la pente de 3 nm/tr se produit vers −300 tr lors du sous-enroulement. Ce- pendant, une diminution progressive de l’extension signale ici un mélange de dénatu- ration et de migration. La courbe bleue finit par rejoindre la droite de migration vers ∆Lk = −550 tr. Il ressort donc de ces courbes qu’en présence de magnésium la jonction migre facilement lorsqu’on lui impose une contrainte de torsion positive, mais dans le sens d’une contrainte de torsion négative, il y a compétition entre migration et dénaturation.

En conclusion, ces observations montrent tout d’abord que la présence du magné- sium rend la formation de la jonction plus difficile. D’autre part, concernant la migration de la jonction une fois celle-ci formée, on observe une dissymétrie entre migration posi- tive et migration négative (figure 5.3) : la migration de la jonction dans le sens positif étant visiblement plus facile et régulière que dans le sens négatif. L’interprétation de cette dissymétrie est la suivante. En présence de magnésium, la migration du point de branchement dans le sens négatif est un phénomène lent (environ une minute pour 10 tours). Ce retard à la migration quand on impose du sur-enroulement négatif induit une contrainte de torsion qui est suffisante pour commencer à ouvrir des bulles de dénatu- ration. Le couple maximal pouvant être exercé sur la jonction dans le sens négatif est donc limité par ce couple de dénaturation de l’ADN et il y a alors compétition entre migration et ouverture de bulles de dénaturation (le couple de dénaturation vaut environ Γd ≃ 2 kBT ≃ 9 pN · nm/rad [210,211]). En revanche, dans le sens positif, le couple limite

est le couple de formation des plectonèmes qui, aux valeurs de force ici choisies, est plus élevé que le couple de dénaturation (ΓP ≃ 17 pN · nm/rad à ≃ 2 pN : voir paragraphe

5.3.4). Ainsi, dans le sens positif, la contrainte de torsion peut être plus élevée que dans le sens négatif, entraînant plus efficacement la migration de la jonction. Dès lors, la migra- tion dans le sens du sous-enroulement (sens négatif) ne se fait correctement qu’à condition d’effectuer le sous-enroulement suffisamment lentement (moins de 5 tr/s).

5.1.2 Méthode employée pour la formation de la jonction en ma-