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II.2.1. Objectifs

Au vu des méthodologies précédemment décrites dans la littérature, les composés nitroaromatiques se sont révélés être des partenaires de choix dans des réactions de cycloadditions [3+2] désaromatisantes avec des hétérodipôles (ylures d’azométhine, iminoazométhines ou isothiocyanates) ou, dans un unique exemple décrit par Trost, avec un dipôle entièrement carboné.

Nous nous sommes donc demandés si les vinylcyclopropanes – qui sont des précurseurs directs de dipôles-1,3 entièrement carbonés, pouvaient être en mesure de promouvoir la désaromatisation de nitroarènes par le biais de réactions de cycloaddition [3+2] palladocatalysées (Schéma 57).

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Schéma 57

Un prérequis à l’emploi de nitroarènes dans ce type de cycloaddition [3+2] de vinylcyclopropanes concerne l’électrophilie de ces composés. En effet, en vertu du mécanisme réactionnel proposé par Tsuji22 et confirmé par Trost,62,63 la première étape de cette transformation est l’addition conjuguée du résidu nucléophile de l’intermédiaire zwitterionique A sur l’espèce dipolarophile. Un des paramètres clés pour le succès d’une telle réaction repose donc sur un caractère électrophile prononcé des nitroarènes pour pouvoir interagir avec l’intermédiaire π-allylique A. Les études réalisées par l’équipe de Terrier ont montré que certains composés nitroaromatiques possédaient une électrophilie particulièrement marquée ; c’est par exemple le cas du 4,6-dinitrobenzofuroxane 124. L’addition d’espèces nucléophiles faibles telles que l’eau89a ou le méthanol89b a ainsi été réalisée de manière spontanée sur ce nitroarène pour former les complexes de Meisenheimer 125 et 126. Ces résultats démontrent qu’en dépit de leur caractère aromatique, certains nitroarènes peuvent posséder un caractère électrophile très important (Schéma 58).

Schéma 58

Afin de déterminer la gamme d’électrophilie dans laquelle certains composés nitroaromatiques pourraient s’inscrire, il est possible de comparer les paramètres d’électrophilie, notés E, de certains de ces composés par rapport à d’autres espèces électrophiles usuelles sur l’échelle de réactivité conçue par Mayr.90 Cette échelle permet d’ordonner diverses

89 (a) Terrier, F.; Millot, F.; Norris, W. P. J. Am. Chem. Soc. 1976, 98, 5883-5890. (b) Terrier, F.; Chatrousse, A. P.; Soudais, Y.; Hlaibi, M. J. Org. Chem. 1984, 49, 4176-4181.

90 (a) Mayr, H.; Patz, M. Angew. Chem. Int. Ed. 1994, 33, 938-957. (b) Mayr, H. Tetrahedron 2015, 71, 5095-5111.

61 espèces par électrophilie croissante indépendamment du solvant ou du partenaire nucléophile de la réaction. (Figure 4).

Figure 491

91 Les paramètres d’électrophilie présentés dans cette figure ont été extraits de la base de données mise en place par le groupe du Prof. Mayr : http://www.cup.lmu.de/oc/mayr/reaktionsdatenbank/

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La paramétrisation de l’électrophilie de divers composés nitroaromatiques a été réalisée par l’équipe de Terrier et Goumont selon la méthode développée par Mayr.92 Les auteurs ont démontré que certains composés nitroaromatiques tels que la 6,8-dinitrotétrazolo[1,5-a]pyridine (E = -4,67) ou le 4,6-dinitrobenzofuroxane (E = -5,06) possédaient un caractère électrophile extrêmement fort, se rapprochant même de celui d’un carbocation tel que l’ion tropylium (E = -3,72). Ces mesures rentrent en accord avec les observations expérimentales faites par Terrier et al. concernant l’addition aisée de nucléophiles très faibles sur le 4,6-dinitrobenzofuroxane 124.89

Terrier et Goumont ont également montré que d’autres nitroarènes moins fortement activés, tels que le 2,4-dinitrothiophène (E = -12,33) ou le 1,3,5-trinitrobenzène (E = -13,19) possédaient des électrophilies très proches de celles d’accepteurs de Michael comme le benzylidène malononitrile, le trans-β-nitrostyrène ou encore le benzaldéhyde, composés employés comme dipolarophiles dans les réactions de cycloaddition [3+2] avec des vinylcyclopropanes décrites dans le chapitre précédent.

Au vu de ces paramètres d’électrophilie très similaires, il semblait donc envisageable d’employer certains nitroarènes dans des réactions de cycloaddition [3+2] palladocatalysées avec les vinylcyclopropanes.

II.2.2. Etude de la réaction de cycloaddition [3+2] désaromatisante de vinylcyclopropanes et de 3-nitroindoles

Au sein de la famille des composés nitroaromatiques, nous nous sommes d’abord intéressés aux 3-nitroindoles. En effet, depuis les travaux pionniers de Gribble, ces composés se sont révélés être d’excellents partenaires de cycloadditions [3+2] désaromatisantes en présence d’une gamme étendue de dipôles. De plus, l’addition désaromatisante d’espèces nucléophiles stabilisées sur les nitroindoles a également été décrite dans la littérature.93,94

En effet, le groupe de Gribble a montré en 1999 que l’addition conjuguée de l’anion sodé du malonate de diéthyle sur la position 2 du N-phénylsulfonyl-3-nitroindole 127a pouvait être

92 (a) Terrier, F.; Lakhdar, S.; Goumont, R.; Boubaker, T.; Buncel, E. Chem. Commun. 2004, 22, 2586-2587. (b) Terrier, F.; Lakhdar, S.; Boubaker, T.; Goumont, R. J. Org. Chem. 2005, 70, 6242-6253.

93 Pelkey, E. T.; Gribble, G. W. Synthesis 1999, 7, 1117-1122.

94 Andreini, M.; Chapellas, F.; Diab, S.; Pasturaud, K.; Piettre, S. R.; Legros, J.; Chataigner, I. Org. Biomol. Chem.

63 réalisée.93 L’indoline 128 résultant de cette addition a ainsi été obtenue après une étape d’hydrolyse acide avec un rendement de 58% sous la forme de son isomère trans (Schéma 59).

Schéma 59

Plus récemment, l’équipe de Chataigner a étendu la gamme de nucléophiles stabilisés utilisables dans cette réaction d’addition sur les 3-nitroindoles à l’utilisation d’énamines.94

L’énamine 129, obtenue par condensation de la morpholine avec la cyclohexanone, a très rapidement réagi avec le N-tosyl-3-nitroindole 127b dans le dichlorométhane à température ambiante pour former l’indoline 130 avec un rendement de 95%. Les auteurs ont expliqué la formation de ce produit par l’addition conjuguée de l’énamine sur la position 2 électrophile du 3-nitroindole. A l’issue de cette étape, un intermédiaire zwitterionique iminium-nitronate serait formé. La protonation intramoléculaire diastéréosélective de ce nitronate par abstraction du proton Hα’ permettrait alors de former le produit observé de façon hautement régio- et diastéréosélective (Schéma 60).

Schéma 60

Ces deux exemples d’addition conjuguée de nucléophiles carbonés ont démontré qu’il était possible de réaliser la désaromatisation des 3-nitroindoles par l’addition d’une espèce nucléophile stabilisée, et constituent un premier élément encourageant dans le développement de réactions de désaromatisation de 3-nitroindoles par cycloaddition [3+2] palladocatalysée de vinylcyclopropanes (Schéma 61).

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Cette réaction de désaromatisation permettrait de former 2 liaisons carbone-carbone et d’établir 3 centres stéréogènes contigus, dont un centre quaternaire particulièrement encombré en une seule étape. De plus, cette transformation s’inscrirait parfaitement dans une thématique de chimie verte, avec l’emploi de la catalyse et une excellente économie d’atomes pour former, à partir de molécules simples et faciles d’accès, des composés structurellement complexes appartenant à la famille des cyclopenta[b]indolines, motifs que l’on peut retrouver dans certains produits naturels tels que la vindolinine, la spermacocéine ou la kopsinitarine E (Schéma 62).95

Schéma 62 II.2.2.1. Préparation des substrats