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La résistance domestique à la position communautaire : exemple de la révision du Code Visa

Partie II : Les facteurs du changement de la politique française de visa

C. La résistance domestique à la position communautaire : exemple de la révision du Code Visa

Contrairement aux institutions intergouvernementales de Schengen, la Commission prône un cadrage libéral du visa. Les communications de 2012 et 2014 introduisent un projet de proposition de réforme du Code Visa52, discuté à partir de 2015. Elle vise à harmoniser et assouplir les procédures afin que le visa puisse « stimuler l’attractivité de l’UE et sa croissance ». La simplification des démarches s’adresse aux demandeurs déjà connus du VIS,

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Commission Européenne, COM(2014) 164 final 2014/0094 (COD) “Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on the Union Code on Visas (Visa Code)”

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à qui il est proposé d’attribuer systématiquement un visa à entrées multiples. Le projet de réforme contient une autre proposition visant à créer un visa court séjour d’itinérance 53

: il permettrait aux étrangers à « l’intérêt économique certain » (chercheurs, artistes en tournée, sportifs, étudiants etc.) de rester au-delà de 90 jours par période de six mois, à condition de ne pas rester plus de 90 jours dans un même Etat-membre et justifier de moyens de subsistance.

Ces propositions provoquent une résistance au niveau domestique. Les discussions à la Commission des Affaires Européennes de l’Assemblée Nationale font état d’une opposition fondée sur des critères de sécurité54 : la facilitation procédurale élargie aux parents proches des citoyens de l’Union est refusée au nom d’une définition trop large qui négligerait le risque migratoire, de même que tout principe d’octroi automatique d’un visa à entrées multiples sur la base du VIS est catégoriquement rejeté, au profit d’une étude des dossiers au cas par cas. La justification donnée par le Sous-Directeur des Visas, René Consolo, lors d’un entretien, met en avant l’argument du risque migratoire :

« On a eu des cas de personnes qui avaient des visas de circulation de cinq ans55. Les premières années, elles l’ont utilisé de manière tout à fait correcte. Puis un jour, il y a un revers de fortune dans leur vie, ou un mouvement politique qui leur a été défavorable : elles ont utilisé leur visa et elles ne sont pas revenues. Elles étaient considérées comme sans problème d’irrégularité pour nous, et elles se sont révélées irrégulières. Rien ne nous permet à dire qu’une fois le visa de circulation délivré, cette personne ne va pas commencer à avoir des activités qui nous déplaisent.»56

La proposition de visa d’itinérance fait elle aussi l’objet d’un rejet par le niveau domestique, prétextant un public cible trop largement défini et des modalités de contrôle trop floues. Néanmoins, les députés de la Commission des Affaires Européenne finissent par approuver la proposition de refonte du Code des visas, « dont de nombreuses dispositions vont dans le bon sens d’une meilleure harmonisation et d’une simplification des procédures »57

, tout en préconisant que la procédure automatique de délivrance de visa à entrées multiples soit retirée du projet.

53 Commission Européenne, COM (2014) 163 final - Texte E 9281 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant création d’un visa d’itinérance et modifiant la convention d’application de l’accord de Schengen ainsi que les règlements (CE) no 562/2006 et (CE) no 767/2008

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Commission des Affaires Européennes de l’Assemblée Nationale, Compte rendu n°218, Mardi 24 juin 2015 55 Equivalent de visa court séjour à entrées multiples

56 Source : Entretien réalisé avec M. René Consolo, Sous-Directeur des Visas, 21/01/2016, 442 à 448 57

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Les dynamiques de résistance domestique à la proposition de réforme de la Commission démontrent l’existence d’un misfit entre les deux niveaux de gouvernance, qui ont des visions dissonantes de l’objectif à assigner au visa. Un changement modeste peut opérer à partir du moment où les éléments les plus clivants sont écartés de la réforme. Le niveau moyen du misfit permet une accommodation du contenu national au contenu européen (Börzel, Risse, 2000). En d’autres mots, la compétition entre la Commission et l’Etat-membre se solde sur un changement de second degré (Hall, 1993) : les paramètres du visa sont affectés, toutefois, il n’est pas question que le niveau européen impose sa propre hiérarchisation des objectifs de sécurité et de compétitivité. Il y a donc un véto sur tout changement de troisième degré dont la source serait communautaire.

Pour conclure sur notre hypothèse (H1), la comparaison des contenus français et européens tout au long de la carrière politique de visa ne permet pas d’établir l’européanisation comme facteur principal de la progression de cet instrument d’une logique de sécurité vers une logique de compétitivité :

 Le mécanisme de pression adaptative n’explique pas la dynamique de rationalisation de la bureaucratie, dont les causes sont davantage endogènes. Le passage d’un référentiel bureaucratique à un référentiel managérial est un processus incrémental dans lequel le changement d’échelle est un « point de bifurcation » qui révèle les anomalies d’une administration jusqu’ici peu considérée.

 L’étude de la variable institutionnelle fournit davantage d’éléments de réponse à notre question de recherche. Le contenu normatif du visa diffère de la phase intergouvernementale à la phase communautaire. Cependant, le changement qui en résulte est modeste. La compatibilité sur l’objectif de sécurité lors de la phase intergouvernementale favorise l’inertie, tandis que la promotion d’un visa au service de la croissance par la Commission se heurte à des résistances nationales, pour ne déboucher sur un changement n’affectant que les paramètres de l’instrument.

Ainsi l’hypothèse de l’européanisation ne permet pas, à elle seule, d’expliquer le processus de changement du visa.

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Chapitre 4 : La concurrence dans l’activité de délivrance des visas, un facteur de développement des transferts

Dans ce chapitre, l’enjeu est de valider l’hypothèse (H2), qui propose que Plus la concurrence entre Etats-membres dans l’activité de délivrance des visas est forte, plus le recours à des transferts de solutions d’action publique pour rendre la politique de visa plus attractive est élevé. Compte tenu de la portée limitée de l’européanisation pour expliquer les transformations du visa, nous déplaçons notre recherche vers les dimensions plus globales du changement. Nous mobilisons l’approche des transferts, qui explique le changement comme la diffusion et la convergence des solutions d’action publique d’un système politique à un autre (Dolowitz, Marsh, 2000). Par quels mécanismes les dynamiques de la globalisation affectent-elles l’activité de délivrance des visas, au point de faire naitre une compétition entre les Etats de destination des flux de la mobilité internationale ? Nous voulons démontrer notre hypothèse de la concurrence comme facteur du changement en plusieurs étapes. Tout d’abord, il s’agira de questionner le développement croissant d’un potentiel lucratif du visa comme un effet autonome de l’instrument. Nous chercherons ensuite des indices de compétition entre les Etats, puis l’existence de mimétismes dans les différents ajustements marchands autour de l’instrument du visa, pour fournir les preuves de transferts dont le but est de rendre la politique de visa la plus compétitive possible.

VIII/ Le potentiel de recettes du visa : un effet propre et non prévu de cet instrument

Nous voulons désormais tester l’hypothèse (H2) selon laquelle la politique de visa se transforme à cause de la mise en concurrence des Etats-membres. Pour déconstruire ce phénomène, il convient tout d’abord d’expliquer le potentiel lucratif du visa. En effet, on considère que l’activité de délivrance de visa est concurrentielle à partir du moment où elle rapporte. Le cadre conceptuel de l’instrumentation, fil théorique de ce travail, nous permet de formuler l’hypothèse secondaire suivante : le visa développe un effet autonome, la rentabilité. En effet, selon Lascoumes et Le Galès (2005), un instrument est dynamique, et développe au cours de sa carrière politique des effets non prévus du but initial de régulation qui lui a été assigné. L’enjeu est de repérer la formation de cet effet autonome dans la carrière politique du visa, initialement prévu pour réguler voire filtrer la circulation des individus, et de voir comment cet effet contribue au développement d’un nouvel objectif de compétitivité.

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