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L’inscription de la libéralisation des régimes de visa à l’agenda global

Partie II : Les facteurs du changement de la politique française de visa

Chapitre 5 : Le rôle des acteurs dans le changement domestique Luttes d’influence sur le

A. L’inscription de la libéralisation des régimes de visa à l’agenda global

Jusqu’à présent, la démonstration de notre hypothèse (H3) nous a appris que la fragmentation de l’administration à elle seule n’expliquait pas le changement du visa : elle doit être combinée avec un facteur extérieur, à savoir l’évolution des profils de demandeurs de visa. Le caractère incomplet de notre hypothèse de départ sert de rappel pour prendre en compte les facteurs exogènes du changement domestique. On tâche alors de mettre en perspective la lutte d’influence interministérielle avec les dynamiques de la mondialisation. Tout d’abord, la logique classique du jeu à deux niveaux invite à observer les liens entre gouvernements et arènes internationales. Dans le domaine des visas, l’inscription des facilitations de voyage à « l’agenda global » permet de compléter notre hypothèse sur la variable stratégique. Cet agenda est développé par le T20 : cette plateforme regroupe les Ministres du Tourisme des Etats membres du G20. Le quatrième sommet du T20 à Merida, au Mexique, en mai 2012, fait suite à la déclaration du G20 à Los Cabos quelques mois plus tôt, s’engageant à faciliter les procédures de voyage à l’échelle globale pour soutenir l’emploi et

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la croissance. La déclaration de Merida est un document clé invitant les Etats à assouplir leurs régimes de visa afin de maximiser l’impact des facilitations de voyage sur la demande touristique, et in fine la création d’emploi. Le contenu des recommandations est particulièrement flou, mais l’objectif est clairement tourné vers la croissance : « Travel facilitation of tourist travel is closely interlinked with tourism development and can be a tool to foster increased demand and generate economic development, job creation and international understanding. This objective is of particular relevance in a moment where most economies look to stimulate their exports and economic growth »107. Lors de sa dernière réunion à Londres en 2013, le T20 a formulé des recommandations cette fois-ci davantage ciblées sur les visas : externaliser les procédures pour réduire les délais et augmenter la capacité, augmenter la productivité des consulats voire en ouvrir de nouveaux dans les marchés émergents stratégiques, ou encore généraliser les visas de circulation108.

D’après la grille de lecture de juridicisation des OI de Goldstein (2000), l’influence du T20 est destinée à être limitée : c’est un groupe ad hoc, qui ne se réunit pas régulièrement et dont les déclarations ont un faible degré de précision. La contrainte exercée est donc faible. Néanmoins, le T20 a présenté une arène pour le portefeuille du Tourisme, afin de porter un objectif de compétitivité et d’être associé à la gestion des flux internationaux. Surtout, on remarque que l’objectif et le contenu des déclarations du T20 sont repris dans recommandations de la Commission européenne en matière de visa Schengen. Nous avons vu dans le chapitre 3 que depuis le début des années 2010, la Commission intègre le visa uniforme dans la stratégie Europe 2020 afin d’attirer les touristes et les investissements étrangers dans l’UE. L’alignement entre recommandations internationales, communautaires et intérêt stratégique de certains corps de l’Etat à développer un objectif de compétitivité du visa complète l’analyse que nous avons esquissée dans le chapitre 3. En effet, il semble pertinent de questionner l’existence d’usages de l’Europe (Jacquot, Woll, 2004). La convergence vers l’objectif de compétitivité des agendas du MAE, du T20 et de la Commission européenne, en particulier depuis 2012, permet d’envisager un usage stratégique de la position supra- nationale par les fonctionnaires du Quai d’Orsay, afin d’augmenter leur marge de manœuvre par rapport au réseau de professionnels de sécurité. Néanmoins, on remarque l’absence de référence européenne dans les prises de position du MAE. De même, nous avions mis en évidence l’existence d’un rejet domestique un certain nombre de propositions de réformes du

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Source : T.20, 4th T20 Meeting Final Declaration, Merida, Mexico, 16th May 2012 108 Source : T.20, 5th T20 Meeting full Communiqué, London, 4th November 2013

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Code Visa par la Commission européenne. Nous pouvons l’interpréter comme un refus d’imputer la priorité à l’objectif de compétitivité au niveau européen, plus qu’un refus du cadrage lui-même. Ceci se comprend au regard du contexte concurrentiel de la délivrance des visas uniformes : pour maximiser l’attractivité du visa, la France a plutôt intérêt à développer une stratégie reposant sur la différenciation, plutôt que sur l’harmonisation. En outre, selon l’analyse de Menz des négociations de dispositifs communautaires relatifs aux frontières, également en terme de jeu à deux niveaux, l’intérêt des gouvernements consiste à limiter l’influence top-down et des coûts de transactions trop élevés (Menz, 2009). Ainsi, la convergence entre les agendas global et européen et celui du Quai d’Orsay ne suffit pas à démontrer l’existence d’un usage explicite par le MAE pour gagner en influence au niveau domestique.

La prise en compte du niveau international dans notre démonstration met en évidence une arène de négociations pour les Ministres du Tourisme dont l’intérêt est de renforcer l’attractivité du visa, mais elle n’est ni formelle, ni contraignante. Cette plateforme internationale contribue aux transferts propres à l’instrument du visa, en incitant les Etats à libéraliser leurs régimes (Knill, Lenschow, 2005). En calquant les recommandations du T20, l’UE joue un rôle d’intermédiaire dans la dimension internationale de ce jeu à deux niveaux. Or l’absence d’usage stratégique de la part des acteurs nationaux montre une influence limitée.

B. Au niveau domestique : l’ébauche d’un réseau d’action publique pour développer