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II. Les processus du recul

1. La craie du cap Blanc-Nez

1.1 La résistance de la craie

Selon A. Bonte (1959), les falaises crayeuses du cap Blanc-Nez s’effondrent sous leur propre poids. En effet, d’après les analyses de cet auteur, la résistance à l’écrasement du Cé- nomanien supérieur (craie blanche) est de 4 300 à 4 700 kN/m2, et le poids des 130 m de ter- rain du cap Blanc-Nez représente 2 750 kN/m2. Cependant, la craie est fissurée, et surtout sa

résistance à l’écrasement est affectée par les efforts de longue durée, de sorte que la rupture est susceptible de se produire pour une charge valant 60 % de la charge limite, soit 2 800 kN/m2, c'est-à-dire presque exactement la charge supportée par la base de la falaise. Ce rai- sonnement ne saurait pourtant expliquer à lui seul l’instabilité des falaises, puisque les mou- vements de terrain affectent tout le linéaire, indépendamment de l’altitude. Il met cependant en avant le caractère intrinsèquement instable de ces falaises, et incite en outre à prendre en compte l’ensemble des paramètres structuraux de la craie.

Les processus d’érosion affectant la craie sont variés, et dépendent largement des carac- téristiques mécaniques de la roche. La cohésion de la craie est conditionnée par la météorisa- tion chimique, dont l’avancement dépend avant tout de la topographie du sommet de la fa- laise. En effet, en position de fond de vallon, et donc au débouché des crans, la craie est alté- rée sur plusieurs mètres. Elle est aussi parfois recouverte de formations limoneuses meubles, alluviales ou colluviales, qui favorisent l’ambiance humide et participent au mouvement de masse de type éboulement comme au Crupes, ou de type coulée comme au cran Saint-Pô. Au contraire, sur les versants en pente forte et bien drainés, la craie reste saine et ne donne le plus souvent lieu qu’à des écroulements. De fait, des faciès identiques et même des niveaux identi- ques peuvent avoir des comportements opposés. Par exemple, les hardgrounds de la base de la craie grise forment un saillant en pied de falaise au nord du cran d’Escalles mais, ameublis par l’altération, ils s’éboulent du haut de la falaise des Crupes. Outre une météorisation chi- mique (qui aboutit pour les craies à un comportement plastique), l’eau de percolation entraîne, le long des discontinuités de toutes tailles, une diminution de la résistance au cisaillement (ou à la compression) conduisant à des glissements ou à des écroulements. La résistance de la craie est donc directement affectée par sa teneur en eau (qui abaisse le seuil de rupture quelles qu’en soient les modalités) et, sur la durée, par l’affaiblissement de la roche lié aux succes- sions d’humectation et de dessiccation. Cet affaiblissement physique est d’autant plus marqué que l’eau est salée, si toutefois les conditions sont propices à la cristallisation du sel dans les interstices de la roche (Cardell et al., 2003 ; Duperret et al., 2005).

La fracturation ne constitue pas nécessairement un facteur de faiblesse vis-à-vis de la météorisation chimique par les eaux douces, puisqu’aussi bien elle améliore le drainage (Bracq et Brunin, 1999). Par ailleurs, il ne faut pas confondre fracturation d’origine tectonique et fissuration de détente. L’ouverture de fissures de détente dépend essentiellement de l’appel au vide, et leur répartition est donc contrôlée par la géométrie de l’escarpement plus que par les paramètres structuraux (système de joints). Si l’apparition de fissures est parfois un signe avant-coureur d’instabilité, elle est d’autres fois consécutive à un mouvement de masse, au- quel cas l’ouverture de fissures constitue, dans un premier temps, un gain de stabilité. Certai- nes fissures plurimétriques et béantes, apparues au cap Blanc-Nez s.s. après les écroulements de novembre 2000, ne semblent pas affecter la stabilité de la falaise et améliorent sans doute aussi le drainage. Dire que les falaises reculent par détente ne résout donc rien en terme de processus.

Par contre, l’examen des paramètres structuraux des craies du cap Blanc-Nez fait ressor- tir la diversité de leurs caractéristiques mécaniques, et partant de leur comportement différen- tiel vis-à-vis de l’érosion. Ces paramètres expliquent en outre la nature et le déroulement des mouvements de terrain. Ainsi, la craie blanche livre les plus faibles valeurs de poids spécifi- que apparent sec (γd), soit 16,4 à 19,2 kN/m3 contre 19,5 à 20,4 kN/m3 pour les autres faciès du Cénomanien et du Turonien (Doremus, 1978). Cette faible densité traduit une porosité to- tale (ηT) élevée. Les écarts très faibles, voire nuls, entre les valeurs de ηT et de celles de η in- diquent que cette porosité est ouverte (tab. 4). À saturation, la densité (γ) de la craie blanche atteint donc 43 à 48 kN/m3, ce qui représente un gain de poids de 60 %, contre seulement 30 % pour la craie turonienne et la craie bleue, et 38 % pour la craie grise. Ce gain de poids

est un premier facteur d’instabilité potentielle pour la falaise, l’augmentation de la masse de la craie sur un plan de rupture (quel qu’il soit) pouvant provoquer un cisaillement. À cela s’ajoute le fait qu’à saturation, la résistance à la compression, la cohésion (c’) et l’angle de frottement interne (ϕ’) de la craie diminuent (Doremus, 1978). Une étude récente indique par ailleurs que la diminution de la résistance à la compression de la craie commence pour des teneurs en eau très faibles, inférieures à 20 % de la teneur à saturation (Duperret et al., 2005) ; or les craies dont la densité sèche (γd) est ≤ 17 kN/m3 enregistrent les variations de teneur en eau les plus rapides (Mortimore et al., 2004b) : leurs paramètres physiques changent donc fréquemment, ce qui induit une fatigue des matériaux d’autant plus rapide (tab. 5). Cette pro- priété accentue encore le rôle déstabilisateur de la craie blanche, peu dense.

faciès Poids spécifique des grains γs (kN/m3) Porosité totale ηT et porosité ouverte (η) Teneur en eau à saturation w (%) Poids à saturation γ (kN/m3) Déformation de gonflement Gf Poids spécifique apparent sec γd (kN/m3) Craie turonienne 27,1 0,25 (0,224) 13 30,34 (+30%) 180.10-6 20,2 Craie blanche 27,1 (0,36 à 0,389) 0,36 à 0,39 21 à 24 43,84 à 48,74 (+61%) 260.10-6 16,4 à 19,2 Craie grise 27,1 0,28 (0,28) 14 31,76 (+38%) 5000.103000 à -6 19,5 Craie bleue 27,1 0,25 (0,237) 12 à 13 28,18 à 30,35 (+31%) 40 000.1020 000 à -6 20,2 à 20,4

* poids légèrement inférieur si l’on prend la porosité ouverte pour la craie

Tableau 4 – Paramètres d’identification géotechnique des craies du cap Blanc-Nez. (En partie d’après Doremus, 1978).

Faciès γd (kN/m3)

Hardgrounds et lits crayeux noduleux >19,5

Craie dure 18–19,5 Craie moyennement dure à très tendre 15–18

16,4–20,4*

Tableau 5 – Classification de la craie en fonction de son poids spécifique apparent sec.

(D’après Mortimore et al., 2004b ; * valeurs extrêmes obtenues dans la série cénomano-turonienne, voir tab. 4).

La nature des minéraux argileux ne peut avoir d’influence déstabilisante que sur la craie grise, à la fois perméable et moyennement riche en argiles gonflantes (tab. 6). La craie blan- che, pauvre en smectite, ne subit au contraire qu’un faible gonflement à l’humidité (Gf, tab. 4). Très riche en smectite, la craie bleue est susceptible de subir de fortes variations de volume. Cependant, compte tenu de sa qualité d’aquitard, et en l’absence de phénomène de météorisation de surface là où elle affleure, son expansion reste théorique en conditions naturelles.

faciès smectite kaolinite illite Craie turonienne ++ ++

Craie blanche + ++ ++ Craie grise + (++) ++ (+) ++ Craie bleue ++ (+++) + ++

Tableau 6 – Minéralogie des argiles, série albo-cénomano-turonienne. (D’après Doremus, 1978).

Figure 26 – Les types de mouvements de terrain observés le long du secteur crayeux.

1 : craie bleue ; 2 : craie grise ; 3 : craie blanche ; 4 : niveau à Actinocamax plenus ; 5 : craie noduleuse et craie marneuse ; 6 : craie blanche à silex (hardgrounds) ; A : surface d’arrachement ; B : débris ; B1 : débris anciens ; C : plan de glissement ; D : niveau de débordement de la nappe ; E : suintements de l’eau du sol ; F : formations superficielles et sol (en partie d’après Lahousse et Pierre, 2003a).