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Les falaises crayeuses (cap Blanc-Nez s.s.)

II. Le rythme et les causes du recul à court et moyen termes

1. L’analyse du rythme de recul des falaises

1.1 Les falaises crayeuses (cap Blanc-Nez s.s.)

Les types de mouvements de terrain (écroulements et éboulements) du secteur crayeux du site du cap Blanc-Nez sont propices à l’analyse du rythme d’évolution, d’autant que la documentation photographique sur ces falaises ne manque pas.

La figure 48 localise les accumulations de débris, disparues ou non, identifiées entre 1939 et 2004. Elle est établie à partir de trois types de documents photographiques :

● 28 missions aériennes verticales entre effectuées entre 1939 et 2003 (tab. 1) ;

● des vues aériennes obliques ponctuelles des archives de La Voix du Nord (1966, 1971) et de la DIREN (1982, 1984, 1986, 1988) ;

● des vues panoramiques prises depuis l’estran (1981, Colbeaux, inédit ; 1989, Wissocq, iné- dit ; 1998 à 2004).

Figure 48 – Rythme de recul entre le promontoire Saint-Pô et l’ancien cimetière allemand (période 1939– 2003), mis en relation avec les types de mouvement, le taux et la variabilité spatiale du recul.

(En partie d’après Lahousse et Pierre, 2002 et Pierre et Lahousse, 2004).

Cette figure met en avant la répartition spatiale homogène des écroulements qui, sur une soixantaine d’années, n’épargnent aucun secteur du linéaire considéré, ainsi que la fréquence du phénomène : seule la mission de 1979 ne présente pas d’événements nouveaux, ce qui ne signifie d’ailleurs pas nécessairement qu’il ne s’est rien produit cette année-là. En effet, le suivi régulier de l’évolution de la falaise depuis 1998 a montré que des éboulements ou des petits écroulements peuvent survenir plusieurs fois par année mais ne laisser de traces que quelques semaines, voire quelques jours : la longévité des accumulations de débris est varia- ble (Lahousse et Pierre, 2002).

Aux Crupes, par exemple, où la falaise semble épargnée par les mouvements de terrain (fig. 48), il se produit en fait de nombreux éboulements et petits écroulements dont les débris sont vite déblayés par la mer pour deux raisons : la hauteur modeste de la falaise (entre 25 et 40 m) limite le volume des accumulations (2 000 m3 maximum en novembre 2000), et surtout les débris sont de granulométrie fine. En effet, la craie grise en position de fond de vallon est très altérée et elle est en outre recouverte de deux mètres de formations superficielles argilo- limoneuses qui participent aux mouvements de terrain. Ainsi, toutes les accumulations de débris recensées aux Crupes en novembre 2000 avaient disparu dès le mois suivant. Il ne fait donc aucun doute que le secteur est le siège d’au moins un mouvement de terrain annuel. Ail- leurs, la longévité des amas de débris, pourtant volumineux (8 000 m3), excède rarement quelques années (4 à 5 ans), sauf aux endroits où la configuration de la falaise maintient hors de portée de la mer la partie haute des débris. C’est le cas au Petit Blanc-Nez où subsistent des accumulations datant de 1999, de 1975 et de 1970, ainsi qu’au nord du cap Blanc-Nez où de- meurent un reliquat de cône de 1971, et un autre de 1994 (au fond du Guet). Au promontoire Saint-Pô, l’écroulement de 1994 n’est sapé par la mer que par temps houleux (et à marée haute de vive-eau), son déblaiement se fait donc lentement.

Deux accumulations anciennes et volumineuses subsistent au pied de la haute falaise du cap Blanc-Nez (altitude : 80 à 100 m). La première, repérée sur la mission aérienne de 1963, a plus de quarante ans. Réduite au tiers de sa longueur initiale en 2004, elle devance encore de 25 m le pied de la falaise. L’écroulement s’est soldé par un recul du haut de la falaise de 20 m. La seconde accumulation, repérée sur la mission aérienne de 1993 et corrélative d’un recul de 40 m (soit plus de 120 000 m3 de matériaux), s’avance encore (en 2004) d’une cin- quantaine de mètres sur l’estran, soit un peu plus de la moitié de sa longueur initiale. La lon- gévité exceptionnelle de ces accumulations est bien sûr due à leur volume, mais aussi à la taille des blocs (plusieurs mètres cubes) que livre la craie parfois fracturée mais jamais altérée sur les pentes fortes et bien drainées du cap Blanc-Nez.

Sur 60 ans, les secteurs où la falaise est la plus haute reculent à un rythme lent. Les écroulements sont d’autant plus rares qu’ils sont volumineux et se traduisent par le retour d’un état stable durable. Ils sont en outre irrégulièrement répartis dans l’espace : les valeurs de recul sont dispersées, comme l’indiquent les coefficients de variation calculés sur la période 1939–2002 (54,4 % au Petit Blanc-Nez et 73,7 % au cap Blanc-Nez). Les secteurs le long desquels l’altitude est plus basse reculent au contraire à un rythme plus rapide. Les mouve- ments de terrain y sont moins amples et plus fréquents, et leur répartition spatiale est cette fois plus régulière (coefficient de variation aux Crupes : 28,6 %). Cependant, cette différence de rythme ne se répercute pas de façon significative sur les taux de recul moyen, puisque la vi- tesse de recul est de 0,19 m/an entre le cran d’Escalles et le cap Blanc-Nez où le rythme est lent, et de 0,21 m/an aux Crupes où le rythme est rapide. Sur 60 ans, donc, la fréquence des mouvements de terrain aux Crupes compense largement leur importance réduite. Cette rela- tion se vérifie également sur 150 ans, durée sur laquelle les vitesses de recul deviennent iden- tiques (0,15 m/an) le long de la basse falaise des Crupes et de la haute falaise du cap Blanc- Nez s.s. (fig. 48).

La comparaison des taux de recul et de la dispersion spatiale des valeurs de recul calcu- lés sur 60 ans (analyse photogrammétrique) et sur 150 ans (méthode cadastrale) illustre la variabilité temporelle et spatiale du rythme de recul et permet de détecter une tendance dans la vitesse d’évolution des falaise (la vitesse d’évolution tient compte du rythme et du taux de recul). Il faut tout d’abord souligner que, entre le Petit Blanc-Nez et le fond du Guet, l’analyse du recul par la méthode cadastrale (1834–1987 ou 1834–1991) donne des résultats que confirme l’analyse photogrammétrique (stabilité au fond du Guet, plus grande dispersion des

valeurs de recul au cap Blanc-Nez et évolution plus homogène aux Crupes), ce qui justifie leur utilisation (fig. 49).

Figure 49 – Recul annuel moyen des falaises crayeuses.

A : sur 150 ans (méthode cadastrale ; 1834–1987, Sangatte ou 1834–1991, Escalles). B : sur 60 ans (méthode photogrammétrique, 1939–2002 ou 1944–1999, pour un court segment au nord du cran d’Escalles) (d’après Pierre et Lahousse, 2003, modifié).

Aux Crupes, le taux de recul calculé sur 60 ans (0,21 m/an) est supérieur à celui calculé sur 150 ans (0,15 m/an), tandis que le coefficient de variation reste identique dans les deux cas (26 % et 27 %). La fréquence des écroulements a donc dû s’accroître au cours des soixante dernières années, entraînant une accélération de la vitesse d’évolution. À l’inverse, au cap Blanc-Nez s.s., la diminution concomitante du taux de recul et du coefficient de varia- tion (de 0,25 m/an à 0,15 m/an et de 56 % à 33 % sur 60 et 150 ans respectivement) traduit une homogénéisation spatiale du rythme de recul qui se solde, de fait, par une diminution du taux de recul à moyen terme, ce qui masque les éventuelles variations de vitesse d’évolution. Ce deuxième cas s’explique par l’influence positive et durable des écroulements majeurs sur la stabilité de la falaise : au cours d’un cycle d’une soixantaine d’années, le long des secteurs à recul irrégulier, les pans de falaises qui s’écroulent sont ceux qui n’ont pas ou peu bougé durant le cycle précédent, ce qui au total atténue la dispersion des valeurs de recul. La figure 48 montre en effet que les secteurs du cap Blanc-Nez où se sont produits les écroulements gigantesques repérés sur les missions de 1963 et de 1993 ont été épargnés lors des épisodes de recul subséquents de 1966, 1971, 1988, et 2000. Cette figure montre aussi que ces deux écrou- lements sont à eux seuls responsables du recul de ces deux sections du cap Blanc-Nez sur 60 ans (c’est-à-dire depuis 1939). Mais la rareté de ces écroulements volumineux pondère leur impact sur la vitesse d’évolution de la falaise à moyen terme. Il s’avère donc que les secteurs à évolution continue sont finalement plus à même de nous renseigner sur une éventuelle mo- dification de la vitesse d’évolution des falaises crayeuses à moyen terme. Cela montre à quel point il est nécessaire, pour en déterminer le rythme, de considérer l’évolution d’une falaise sur une durée suffisamment longue. Au total, et conformément aux conclusions de T. Suna- mura (1992) sur la mauvaise corrélation entre taux de recul et hauteur de la falaise, sur 150 ans les falaises du cap Blanc-Nez, toutes choses égales par ailleurs, reculent de façon uni- forme : le taux de recul et la dispersion des valeurs de recul (là où elle était forte) diminuent avec la durée (fig. 49). Certaines sections, pour des raisons structurales (l’amont du fond du

Guet, où le sommet de la falaise est armé par un banc résistant) ou liées à la topographie du revers de la falaise (le cran Saint-Pô, qui réunit les eaux de ruissellement de surface), reculent cependant plus ou moins vite.

La variabilité temporelle du rythme de recul peut aussi se traduire par l’occurrence d’épisodes de recul affectant l’ensemble ou une grande partie du linéaire. Cette uniformisation momentanée du rythme d’évolution s’est produite huit fois depuis 1939 (fig. 48). Les épisodes de 1971 et de 2000 ont affecté l’ensemble du site (les mouvements de terrain mineurs n’ont pu être cartographiés pour l’épisode de 1971 analysé sur photographies aériennes). Ceux de 1939, 1966, 1981, 1986, 1988 et 1994 se sont soldés par des reculs partiels : le long de cer- tains secteurs, les écroulements ont été plus nombreux et surtout plus volumineux que les au- tres années (le deuxième critère permettant d’isoler les années 1981 et 1986 au fond du Guet, et l’année 1994 autour du cran Saint-Pô). Il n’est pas exclu cependant qu’en 1939 et en 1988 se soit produit un recul généralisé, puisque, pour ces deux années, il ne manque de témoigna- ges que dans les secteurs produisant des accumulations peu volumineuses, vite exportées par la mer.

Figure 50 – Recul du haut de falaise entre 1999 et 2002 (en noir) et entre 1939/1944 et 2002 (en gris). (D’après Pierre et Lahousse, 2003, modifié).

La contribution au recul sur 60 ans de la dernière de ces périodes (2000) peut être préci- sément évaluée, en superposant les hauts de falaise de 1939 (ou de 1944 sur un court secteur), 1999 et 2002 entre le Petit Blanc-Nez et le fond du Guet. Par endroits, le long des secteurs où la dispersion des valeurs de recul est forte, l’essentiel voire la totalité du recul depuis 1939 s’est produit en 2000 (fig. 50). Par ailleurs, lors de cet épisode, la répartition spatiale des écroulements et des valeurs de recul concorde avec celle déterminée sur 60 ans : petits écrou- lements et éboulements rapprochés aux Crupes, gros écroulements espacés vers le Petit Blanc- Nez et vers le cap Blanc-Nez, rien au cap Blanc-Nez lui-même où la stabilité est proportion- nelle à la taille des écroulements de 1963 et 1993, presque rien à l’amont du fond du Guet où le recul est lent à cause de la lithologie. Cet épisode de recul est donc représentatif des moda- lités d’évolution de la falaise à plus long terme, d’où l’intérêt d’établir les causes de son dé- clenchement.